Zen et nous

Le zen, sa pratique, ses textes, la méditation, le bouddhisme, zazen, mu

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    le zen de la Terre

    lausm
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    Message par lausm Lun 17 Déc 2012 - 17:52

    Voilà la transcription d'un enseignement de Tokuda, que je trouve vraiment profondément instructif, un regard très intéressant sur un zen incarné, qui m'a touché et que j'ai envie de partager.





    Teishô N° 1
    Durant cette sesshin, je vais parler de dozen (« le zen de la terre »).
    Je vis en Europe depuis environ cinq ans. J’ai commencé à visiter l’Europe il y a près de dix ans, mais depuis ces cinq dernières années où je vis de façon permanente en France, je constate qu’ici le mouvement zen est en fait un zen pour les laïcs. A l’heure actuelle, il n’existe pas (en France) de monastère zen authentique, bien que le zazen et l’enseignement y soient bien implantés et c’est le principal.
    Nous commençons une sesshin d’une semaine pendant laquelle nous ne ferons que huit zazen par jour ce qui est très faible.
    Je vais parler de ce zen de la terre, ce qui n’a rien de nouveau. Il s’agit pour nous de retourner vers les origines du zen.
    Historiquement, les maîtres zens viennent de l’école Vinaya. (Dans le Vinaya) il y a beaucoup de préceptes, de commandements (plus ou moins deux cent cinquante), qui bien sûr sont fondamentaux pour les bouddhistes zen, car (tous) ces petits détails (énoncés) dans les préceptes contrôlent en fait toute notre vie. Mais si on laisse cela s’installer (exagérément), il n’y aura plus ni de liberté, ni d’énergie dynamique.
    Lorsque le Sixième patriarche Houei-neng pratiquait en tant que laïc, il lavait le riz pour cinq cents moines. Puis, Maître Hyakujô est arrivé, qui a mis en place un système basé sur l’indépendance des monastères zen. (Maître Hyakujô) a écrit un livre (aujourd’hui disparu) appelé Hyakujô Shingy (« les règles de Hyakujô pour la communauté »). Bien sûr, ces règles sont à la base proches du Hînayâna, avec cependant une vision très différente de celle de l’école Hînayâna.
    C’est à cette époque que les moines zen ont commencé à travailler la terre. En Inde, les moines ou les religieux ne travaillaient pas. On raconte que le Bouddha Gautama, alors qu’il était en voyage et faisait la mendicité, rencontra un paysan qui lui dit : « Je travaille durement toute la journée, et vous, vous ne faites rien, sinon demander de la nourriture. Ceci ne me paraît pas (être une attitude) juste. » Le Bouddha répondit : « Vous avez tord, moi aussi je travaille, et moi aussi je cultive. » Le paysan répondit : « Non, non, vous êtes un menteur, vous ne faites absolument rien. ». Le Bouddha dit : « Si, si, je cultive, je cultive l’esprit de chaque personne, et (moi aussi) je plante des choses. »
    Donc, en Inde, les religieux ne travaillaient pas le sol, ils n’avaient pas d’activités commerciales, ils ne vivaient que de la mendicité mais quand le bouddhisme est arrivé en Chine, du fait des conditions historiques, ils ont dû travailler et ont commencé à travailler la terre. (En effet) certains empereurs taoïstes attaquaient les bouddhistes, brûlant les temples, les sûtras, détruisant les statues. (Aussi) pour continuer à transmettre le Dharma, les moines ont-ils appris à se passer de tout (ce dont ils bénéficiaient) auparavant, (et commencer à travailler la terre.)
    Dans ce travail de la terre, il y a autre chose que le simple respect du travail, ça va beaucoup plus loin, c’est quelque chose de plus global. Notre pratique du zen est bien sûr une pratique spirituelle, religieuse : on cherche des réponses à des questions parfois métaphysiques, on s’interroge sur la finalité de cette existence. Pourtant, nous ne sommes pas que des philosophes, puisqu’en en fin de compte, il faut bien revenir à cette réalité, à savoir qu’il nous faut travailler, non seulement avec l’esprit mais aussi avec le corps, ce corps qu’il faut nourrir, soigner etc.
    Dans les monastères zen, il y a sept constructions principales, (ces constructions) symbolisent le corps humain. (Il s’agit de Smile La porte principale, le pavillon du Bouddha, le hattô (la salle des cérémonies où on donne également l’enseignement) le zazendô, la cuisine, le bain et enfin les toilettes. Il n’y a pas de tour, et la bibliothèque ne fait pas partie de ces sept principaux bâtiments. Les toilettes sont un dojo pour pratiquer, de même que la salle de bain et la cuisine. La pratique dans ces lieux est plus importante que la pratique dans la bibliothèque, car manifester le Dharma par le corps est ce qu’il y a de plus important. C’est pourquoi le samu – le travail physique – est le plus important.
    (Au sujet de) Maître Hyakujô il y a une histoire devenue très célèbre à savoir : « Un jour sans travail, un jour sans nourriture. » Contrairement aux pays communistes où (de façon autoritaire) on décide que celui qui ne travaille pas ne reçoit rien, Maître Hyakujô, de lui-même s’imposait cette règle. Maître Hyakujô a vécu jusqu’à l’âge de quatre-vingt quinze ans et bien que très âgé il voulait continuer à travailler avec les jeunes moines. Tout le monde connaît cette anecdote : Un jour, les moines qui avaient pitié de lui parce qu’ils considéraient qui était trop âgé pour travailler, ont dissimulé ses outils. Maître Hyakujô a alors commencé une grève de la faim (et l’a continuée jusqu’à ce qu’on lui rende ses outils). La plupart des gens souhaitent travailler le moins possible et recevoir un gros salaire, mais là (avec Maître Hyakujô) c’est le contraire…
    Si, à la fin de l’année, nous recevons du Japon (les fonds nécessaires) pour (l’achat) de ce terrain, il y aura énormément de travail. Ce sont des choses que l’on a déjà pratiquées au Brésil. Au Japon, (on dit qu’un fondateur est celui qui ouvre (un temple dans) une montagne mais de nos jours, au japon, c’est très symbolique. En ce qui nous concerne, il s’agit simplement d’entrer dans la montagne, d’ouvrir un passage dans la forêt, de défricher et construire quelque chose.
    Lors de mon dernier voyage au Brésil, pendant cinquante jours, ce fut pour ainsi dire un marathon de sesshin, de conférences, de cours sur le bouddhisme. J’ai fait plus de dix sesshin et des samu (tous) très fatigants. En ce moment, (au Brésil) un nouveau monastère est en train de se construire dans un parc national. Pour arriver là-bas il y a cent kilomètres à faire – soit trois heures de voiture. Ensuite il faut remplacer cette voiture par une Jeep, car la route (qui conduit à ce lieu) est très difficile, mais arrivés là, c’est très bien entretenu et c’est très beau. La responsable de ce monastère nous a raconté que l’an passé des loups étaient venus se réfugier dans le monastère, car ils avaient peur des chiens. Aussi cette responsable est-elle allée voir les voisins (propriétaires de ces chiens) pour leur dire : « Je vous en prie, nourrissez vos chiens, sinon ils attaquent les loups. »…
    Drôle d’histoire n’est-ce pas ? Mais, bon, ça arrive.
    (Dans les monastères, au Japon) il y a beaucoup de travail (de samu) : plantation des légumes, coupe du bois pour la cuisine ou pour chauffer pendant l’hiver. A Shogôji (ce temple japonais ouvert aux occidentaux) il y a également un « samu-toilettes » qui consiste à enlever les excréments et à les transporter (ailleurs). C’est un travail de vidangeur, que les pratiquants occidentaux ne veulent plus faire parce qu’ils considèrent que ça n’est pas hygiénique. Il y a tout de même un système d’évacuation avec de l’eau, mais on tient à maintenir ces toilettes à l’ancienne pour que (les pratiquants) puissent expérimenter ce travail de nettoyage des toilettes.
    (Toujours au Japon,) nous avons un samu qui consiste à ramasser les navets – ce légume avec une longue racine – pour nourrir le bétail. Avec ces navets (haji) on fait des takuan (pickles). On ramasse les navets pendant l’hiver, on les nettoie dans la rivière, (et comme) il fait très froid, c’est un travail très dur. Nous avons également le samu des ume (les prunes) que nous produisons pour faire des umeboshi (prunes macérées).
    En hiver, on transporte le contenu des toilettes pour les étaler au pied des arbres et les protéger pendant l’hiver. Après fermentation, ça devient un compost.
    (Pour en revenir au Brésil) nous avons aussi un « samu-fourmis » :
    Ici, on ne peut pas s’imaginer ce que sont ces fourmis, mais (on peut dire) qu’au Brésil, les fourmis travaillent plus que les brésiliens car elles travaillent même pendant la nuit… En une nuit, un arbre comme celui (en face de nous) couvert de feuilles, peut devenir totalement nu ! Certaines fourmis grimpent aux arbres, tandis que d’autres attendent au pied, réceptionnent les feuilles et les transportent (ailleurs), non pas sur de courtes distances mais sur des centaines de mètres. C’est pourquoi, la nuit, il faut les débusquer et suivre leur trace afin d’y mettre un terme sinon, en une seule nuit, toutes les plantations peuvent être détruites. Pour (combattre ces fourmis) on pratique un peu l’agriculture biodynamique qui consiste à planter (loin des cultures à protéger)) du sésame ou de la citronnelle dont elles raffolent : de ce fait, elles s’installent (dans ces plantes) et délaissent les autres.
    Nous avons aussi un « samu-thé vert » :
    Maintenant, ce travail (de fabrication) du thé est mécanisé mais dans les temps anciens, il fallait chauffer les feuilles à la vapeur, puis les rouler en appuyant fortement sur chacune d’elles. C’était un travail très dur, et il faisait très chaud.
    (Dans la pratique) il n’y a pas que zazen. Il y a dokusan, l’entretien avec le maître et aussi takuhatsu (la mendicité) ce qui veut dire qu’il faut marcher plus de dix kilomètres, y compris marcher dans la montagne, monter, descendre… Si on n’a pas une bonne pratique de zazen, si on ne sait pas se détacher de la souffrance, ça se remarque pendant takuhatsu, et on ne peut pas le faire (correctement).
    Il y a un responsable de takuhatsu. C’est important car physiquement, chacun est différent : il y a des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes… Parfois, il y a une compétition entre les jeunes moines qui veulent marcher très vite pour arriver au but, et c’est pourquoi il faut faire très attention à savoir placer le plus faible non pas en dernier, mais avant-dernier afin que celui qui le suit (et qui est moins faible) puisse le stimuler (pour avancer).
    Cette ligne des moines qui font takuhatsu est appelée gankô, parce qu’elle ressemble aux lignes (très belles) qu’adoptent les canards (sauvages) pour se déplacer dans le ciel. (Faire takuhatsu de façon harmonieuse) est très difficile car, si certains sont fatigués, (ils ralentissent, et ce faisant) un espace se creuse entre eux. Alors, pour rattraper (les autres, ceux qui ont pris du retard) se mettent à courir, mais après avoir couru, ils ne peuvent plus marcher (normalement) et ils sont encore plus fatigues. Cette pratique, qui se fait à la saison la plus froide, est appelée Kango Quand on marche dans la neige avec les sandales de paille, (ces sandales) provoquent des blessures aux pieds, qui saignent, mais (par contre) on reçoit davantage d’argent… Pendant trois mois d’affilée, tous les matins, on continue takuhatsu.
    Parfois, il y a un « samu-neige » :
    Dans certains monastères, il peut tomber parfois deux mètres de neige en une nuit, et il faut enlever la neige des toits, sinon les tuiles pourraient se briser et provoquer d’énormes dégâts.
    D’un côté, l’entraînement du zen est effectivement très métaphysique, très philosophique, poétique même, mais d’un autre côté, c’est un entraînement très physique et sans le corps, on ne peut pas continuer. L’entraînement du zen est global, c’est un entraînement du corps-et-de- l’esprit.
    Au temps de l’âge d’or du zen, c’est à dire sous la dynastie des Tang, beaucoup de kôan se sont échangés pendant le samu. On a tendance à privilégier la métaphysique à la réalité. (C’est une erreur) car dans la réalité, les plus belles théories ne fonctionnent pas. C’est la raison pour laquelle ce contact direct avec le sol est important. Le bouddhisme indien est très, très philosophique ; arrivé en Chine, il devient beaucoup plus réaliste, et quand il s’installe au Japon, (c’est encore autre chose) car on dit que le Japon est plus sentimental, plus émotionnel. Cette façon d’avoir une posture et d’exprimer des sentiments déchirants, chanter d’une voix profonde, (c’est quelque chose comme le tango argentin) ça, c’est le Japon. Maintenant le zen arrive en France. J’ignore quelle sera la caractéristique française, peut-être le sens de la beauté ou de l’élégance…
    Maître Ungan demande à Maître Hyakujô : « Chaque jour vous travaillez très durement, pourquoi ? »
    Maître Hyakujô répond : « Parce que quelqu’un en a besoin. »
    L’autre dit : « Pourquoi cette personne ne va-t-elle pas travailler elle-même ? »
    Hyakujô répond : « Il n’y a pour lui aucune façon de travailler. »
    En fait, ce kôan parle de l’état ultime de notre âme. Ce « je travaille pour cela », c’est dharmakâya, ce qui signifie que cet état ultime et cette réalité ne sont pas deux choses séparées.
    Un autre exemple :
    Quelqu’un amène le thé. Le maître dit : « Quelqu’un veut-il du thé ? »
    Un moine répond : « Pourquoi est-ce qu’il ne le demande pas lui-même ? »
    Le maître dit : « Heureusement que je suis là pour boire le thé. »
    Donc, je peux le boire à sa place. Cà se fait comme cela, de façon très dynamique, dans le mouvement.
    (Une autre histoire Smile Pendant le samu, un maître (est assis) le pied étendu devant lui. Un disciple passe avec une brouette dans laquelle il transporte des citrouilles (ou peut-être du maïs) et lui dit : « Attention, ouvrez-moi la voie, j’arrive. »
    Le maître dit : « Non, non, mon pied est là, et je n’ai pas envie de replier la jambe. »
    Le disciple dit : « Et moi, je n’ai pas envie d’arrêter. »
    Et il lui passe sur la jambe et continue à avancer. Le maître ne se met pas en colère. Dans ce kôan, il y a quelque chose de très dynamique. Il se crée une relation et un échange très dynamiques.
    Franck Barron
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    Message par Franck Barron Sam 22 Déc 2012 - 11:45

    lausm a écrit: On raconte que le Bouddha Gautama, alors qu’il était en voyage et faisait la mendicité, rencontra un paysan qui lui dit : « Je travaille durement toute la journée, et vous, vous ne faites rien, sinon demander de la nourriture. Ceci ne me paraît pas (être une attitude) juste. » Le Bouddha répondit : « Vous avez tord, moi aussi je travaille, et moi aussi je cultive. » Le paysan répondit : « Non, non, vous êtes un menteur, vous ne faites absolument rien. ». Le Bouddha dit : « Si, si, je cultive, je cultive l’esprit de chaque personne, et (moi aussi) je plante des choses. »

    Il n' y a que les imbéciles qui croient que réaliser l'éveil et l'enseigner est un travail de fainéant parce ce que cela n'est pas un travail physique, les mêmes imbéciles qui croient maintenant que l'éveil est un travail physique, et que parce qu'ils récurent des casseroles ou font n'importe qu'elle samu ils sont en train de réaliser l'éveil.
    Méditer correctement demande infiniment plus de détermination, de patience, de relâchement et d'attention en même temps, ce qui est très dure, que de planter n'importe qu'elle clou. Méditer en se concentrant sur la respiration, tout ne créant pas d'attachement aux flux mentaux qui surgissent, qui peuvent provoquer autant de la souffrance que de la jouissance, tout en ne créant pas d'attachement à son corps, tout en s'apercevant que la souffrance qui apparait est crée par le jugement que l'on a de soi, des autres, ou de la réalité, comme étant de nature distincte de soi, réaliser que tout cela est en définitive de nature impermanente parce que cela n'a pas de soi, comme nous même, et ainsi...non mais je crois que l'on va trop loin, lol.

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