Zen et nous

Le zen, sa pratique, ses textes, la méditation, le bouddhisme, zazen, mu


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    Le chien de maître Joshu (mu)

    Yudo, maître zen
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    Message par Yudo, maître zen Sam 8 Mar 2014 - 19:12

    Je viens de retrouver un texte de Nishijima roshi, traduit par Brad Warner.

    Je vous le fais passer.
    ___________________________________________________________
    Le chien de maître Joshu
    par Gudo Wafu Nishijima (traduit du Japonais par Brad Warner)

    "On m'a demandé de fournir une contribution pour une collection d'articles sur le fameux kôan zen "Mu" ou "Non". Une des idées fondamentales du Bouddhisme (Mahayana) est que tout possède la Nature-de-Bouddha. Mais dans cette histoire, un maître zen célèbre semble nier cette idée. Afin de pouvoir ajouter mes propres commentaires à cette histoire, j'ai décidé de traduire ceux de mon maître (Nishijima roshi).Le kôan "Mu" est célèbre comme étant le kôan de départ traditionnel dans le cursus de l'école Rinzaï. L'école Sôtô l'enseigne, elle aussi, mais de façon totalement différente. Dans ce court texte, Nishijima explique la différence d'approcher fondamentale. Ceci est la première partie d'un très court livre que Nishijima avait publié en 2004, en commentant douze des kôans de la collection Rinzaï appelée Mumonkan, ou "Portail sans porte". Allez, Nishijima sensei..."

    ___________________________________________________________
    Un jour, un moine demanda à maître Joshu: "Un chien a-t-il la Nature-de-Bouddha ou pas?" Maître Joshu répondit: "Non."

    Dans le chapitre du Shôbôgenzô intitulé Bussho ou “Nature-de-Bouddha,” maître Dôgen parle du sens de ce "Non" dans son rapport avec une conversation entre le cinquième et le sixième patriarches. Il y dit: “Ce ‘non’ n'est pas le ‘non’ de ‘avoir’ ou de ‘ne pas avoir.’ C'est le non de non non.”

    Le non de non non est une façon de s'exprimer qu'on n'entend guère. Cela signifie que même non est nié.
    Autrement dit, ce n'est pas la sorte de non que l'on conçoit dans son cerveau en réponse à la question de savoir si quelque chose existe ou non. Le sens de non, ainsi qu'il est ici utilisé, ne requiert aucune sorte de réflexion.

    Dans le cas de ce kôan, on ne manque nullement d'explications à l'effet que ce "non" représente le non de non, autrement dit, le non absolu, ou qu'il représente la vacuité absolue, ou qu'il est quelque chose qu'on ne peut absolument pas comprendre, ou autre sottises du même genre que même ceux qui les bredouillent ne semblent même pas comprendre.

    Mais en salissant la vérité du Bouddha avec ces sottises, ceux qui fournissent ce type d'explications ne font que trébucher dans l'obscurité, sans savoir ce qui est quoi et en goûtant les misères de l'Enfer.

    Dans le chapitre du Shôbôgenzô intitulé "Soutra des montagnes et des rivières", maître Dôgen dit que tout kôan possède un sens théorique splendide. Le but des kôans est d'éclaircir des points difficiles de la philosophie bouddhique en utilisant un exemple concret. La tendance chez de nombreux moines chinois à considérer les kôans comme une sorte d'énigme dont le sens originel serait impénétrable faisait beaucoup rire maître Dôgen.

    Un chien qui existe devant vos yeux est très certainement un chien. Il n'y a rien d'extra ajouté à ce chien. Et il n'y manque rien non plus, rien qui serait séparé de lui et dont il aurait besoin afin d'être ce qu'il est: un chien. Un chien est un chien. Joshu comprenait que d'échafauder des théories sur la question de savoir si un chien a ou non la Nature-de-Bouddha n'est rien d'autre que d'ajouter un extra. Lorsqu'on traite n'importe quel kôan, il est nécessaire de le lire de cette façon à partir de la philosophie bouddhique.

    Je suis un vieux moine de plus de 70 ans qui a passé les dernières cinquante années à étudier le Shôbôgenzô de maître Dôgen. Je suis donc un amateur, lorsqu'il s'agit des kôans inclus dans le Mumonkan et j'ai quelques préventions. Mais, à partir de la philosophie bouddhique que j'ai absorbée tout au long de mes années d'étude du Shôbôgenzô, il n'y a en moi pas l'ombre d'un doute sur le sens de ce kôan. C'est donc avec ce sens en tête que je voudrais poursuivre l'étude de quelques uns des autres kôans de la collection.
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    Message par Yudo, maître zen Sam 8 Mar 2014 - 19:13

    Là, je sens que Zendo va fumer...
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    Message par Kaïkan Sam 8 Mar 2014 - 19:53


    Perso je trouve que la réponse : "rien" est tout à fait appropriée.
    Répondre oui ou non est inadéquat.
    - "Ouah ouah" c'est pas mal non plus..
    Laughing 


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    Message par Yudo, maître zen Sam 8 Mar 2014 - 21:46

    SELECTION BONUS :

    Voici les commentaires de maître Dôgen sur ce kôan, tel que présentés dans le chapitre Bussho du Shôbôgenzô dont il est fait mention plus haut. La traduction (d'où est tirée la version française) qui suit est de Gudo Nishijima et de Chodo Cross. Cette partie se trouve page 29 du volume deux.

    Un moine demande au grand maître Shinsai de Joshu, "Est-ce que même un chien possède la nature de Bouddha ou pas?"

    Nous devons clarifier le sens de cette question. "Un chien" est un chien. La question ne demande pas si la nature-de-Bouddha peut ou ne peut pas exister dans le chien; elle demande si même un homme de fer peut apprendre la vérité. Tomber sur une question aussi empoisonnée peut sans doute entraîner de profonds regrets, et en même temps, la scène rappelle la rencontre, après trente ans, avec la moitié d'une personne sacrée.

    Joshu dit: "Il est sans." Lorsqu'on entend cette expression, il y a des pistes concrètes pour en tirer une leçon: l' "être sans" avec lequel la nature-de-Bouddha se décrit peut s'exprimer ainsi; le "n'avoir pas" qui décrit le chien lui-même peut s'exprimer ainsi; et "il n'y a rien," comme s'exclame un observateur, peut s'exprimer ainsi. Il peut même venir un jour où cet "être sans" n'est plus que l'usure d'une pierre à aiguiser.

    Le moine dit: "Tous les êtres vivants ont totalement la nature-de-Bouddha. Pourquoi le chien est-il sans?" L'intention est ici comme suit: "Si aucun des êtres vivants n'existait, alors la nature-de-Bouddha n'existerait pas et le chien n'existerait pas. Qu'en est-il? Pourquoi la nature-de-Bouddha du chien dépendrait de la 'non-existence'?"

    Joshu répond: "Parce qu'il a une conscience karmique." L'intention de cette expression est que même si la raison pour laquelle il existe est la conscience karmique et que d'avoir une conscience karmique est la raison de son existence, le chien est sans rien, et la nature-de-Bouddha est sans rien. La conscience karmique ne comprendra jamais intellectuellement ce qu'est le chien, alors comme le chien pourrait-il rencontrer la nature-de-Bouddha? Que nous rejetions la dualité ou que nous acceptions les deux côtés, l'état n'est que le fonctionnement constant de la conscience karmique.

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    Message par Kaïkan Sam 8 Mar 2014 - 22:41


    Yudo a écrit:Joshu répond: "Parce qu'il a une conscience karmique."
    Chao-chou répondit : « Parce que celui-ci (le chien) a l'ignorance karmique. »

    Le sens de cela est comme ce qui suit : "Parce qu'il a" est équivalent à "ignorance karmique ". Bien que l'ignorance karmique a (l'existence d'un chien) et est équivalent à "Parce qu'il est", les deux c'est-à-dire le chien et la nature-de-bouddha sont "Mu". L'ignorance karmique est seulement l'ignorance karmique, juste comme un chien est seulement un chien. Comment, alors, un chien pourrait être équivalent à la nature de Bouddha ? Que l'on croit en l'existence de la nature-de-Bouddha et d'un chien ou pas, ils sont la manifestation de l'ignorance karmique.

     baboo
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    Message par Yudo, maître zen Dim 9 Mar 2014 - 10:32

    (Suite)

    Un moine demande à Joshu: "La nature-de-Bouddha existe-t-elle même dans un chien ou non?"

    Cette question est peut-être due au fait que ce moine est capable de tenir tête à Joshu. Ainsi, les assertions et les questions sur la nature-de-Bouddha sont le thé et les repas quotidiens des patriarches bouddhistes. Joshu répond: "Elle existe." La situation de ce "Elle existe" est au delà de l' "existence" des enseignants de commentaires scolastiques et assimilés, et au de là de l' "existence" dogmatique de l'Ecole de l'Existence. Nous devons avancer et apprendre l'Existence du Bouddha. L'Existence du Bouddha est le "Elle existe" de Joshu. Le "Elle existe" de Joshu est "le chien existe" et "le chien existe" est "la nature-de-Bouddha existe."

    Le moine dit: "Elle existe déjà; donc, pourquoi faut-il qu'elle entre à toute force dans ce sac de peau concret?" L'expression de la vérité que fait ce moine pose la question de savoir si c'est l'existence présente, ou l'existence passée, ou si c'est déjà Existence. Et quoique l'existence ressemble déjà aux autres "existences," l'Existence se tient déjà clairement toute seule. Est-ce que l'Existence a déjà besoin de se frayer un chemin en nous? Ou est-ce que l'Existence n'a déjà pas besoin de se frayer un chemin en nous? L'action d'entrer à toute force dans ce sac de peau concret ne consent pas les considérations oiseuses et inattentives.

    Joshu dit: "C'est parce qu'il commet sciemment une violation délibérée!" En tant que dit séculier, ces paroles se sont depuis longtemps répandues de par les rues, mais elles sont désormais l'expression que Joshu a de la vérité. Ce dont ils discutent est une violation délibérée. Ceux-là qui ne doutent pas de cette expression de la vérité pourraient bien être rares. Le mot "entrer" qu'on a ici est difficile à comprendre; et en même temps, le mot "entrer" est en lui-même inutile. Qui plus est, si nous voulons connaître la personne immortelle dans la hutte, comment pourrait-on quitter ce sac de peau concret ici et maintenant?  Même si l'immortel est n'importe qui, à quel moment est-il [nécessaire de dire] "Ne quittez pas votre sac de peau"? Une violation délibérée n'est pas toujours l'entrée dans un sac de peau, et d'avoir entré par force dans un sac de peau n'est pas toujours commettre sciemment une violation délibérée. A cause de la connaissance, il peut y avoir une violation délibérée. Rappelez-vous, cette violation délibérée peut contenir l'action de se libérer du corps -- ce qui est exprimé par "entrer en force." L'action de se libérer du corps, juste au moment du confinement, contient le soi et contient les autres. Au même moment, ne vous plaignez jamais qu'il est impossible d'éviter d'être une personne devant un âne et derrière un cheval. Encore mieux, la patriarche fondateur Ungo dit: "Même d'avoir appris des choses en périphérie du Bouddha-Dharma est déjà avoir adopté une démarche erronée." Cela étant, même s'il y a longtemps que nous avons commis l'erreur -- qui s'est approfondie en jours et en mois -- d'apprendre à moitié des choses en périphérie du Bouddha-Dharma, cela pourrait bien être l'état du chien qui est entré en force dans un sac de peau concret. Quoiqu'il commette sciemment une violation délibérée, il a la nature-de-Bouddha.
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    Message par Yudo, maître zen Dim 9 Mar 2014 - 11:33

    Notes de maître Nishijima pour mieux comprendre le texte de maître Dôgen.

    Maître Joshu Jushin (778-897) successeur de maître Nansen Fugan. "Grand Maître Shinsai" est son titre posthume.

    Cette conversation est rapportée dans la seconde moitié du Shinji Shôbôgenzô, deuxième partie, chap. 14; ainsi que dans le Wanshi-zenji-go-roku, chap. 1 et dans le Rento-Eyo, chap. 6.

    Maître Dôgen explique les caractères chinois 狗子 (ku-su) par le mot japonais いぬ (inu).

    Un homme de fer symbolise une personne extrêmement déterminée dans sa poursuite de la vérité. Ce moine ne demande pas un simple oui ou non, mais veut s'enquérir de l'aire qui est au de là de la pensée ordinaire.

    "La moitié d'une personne sacrée": Maître Shakkyo Ezo (un élève du maître Baso Do-itsu/Mazu Daoi) disait: "Pendant trente ans j'ai gardé mon arc bandé et ma flèche encochée et je n'ai pu tirer que sur la moitié d'une personne sacrée!"

    "Elle est sans" => 無 (mu).
    Maître Dôgen considère différents sens du caractère 無 (mu). Etat réel, absence de possession, absence tout court.

    "Usure d'une pierre à aiguiser" => Le problème de sens de 無 (mu) peut être résolu en suivant un processus concret.

    "Conscience karmique" est ici 業識 (gôshiki). 業 (gô) représente le sanscrit "karma", qui veut dire action. 識 (shiki) signifie conscience ou vijñâna. 業識 (gôshiki) signifie la conscience qui existe au présent en tant que résultat concret d'actions passées. Maître Joshu se sert donc de 業識 (gôshiki) pour suggérer l'état concret, réel, à l'instant présent.

    Dans la deuxième conversation, la question du moine est strictement la même que dans la première. Pour le dire simplement, elle serait comme suit: "Est-ce que même un chien a la nature-de-Bouddha ou non?" "Il l'a" "[Le chien] a déjà la nature-de-Bouddha. Pourquoi s'est-il frayé un chemin dans ce sac de peau?" "Parce qu'il commet une violation délibérée".

    La réponse de maître Joshu ressemble à une simple réponse affirmative ("Un chien a-t-il la nature-de-Bouddha?" "Il l'a"). Mais l'interprétation qu'en fait maître Dôgen est que le mot 有 (U) n'est que le prêche direct de l'existence réelle.

    "Ecole de l'Existence", dans le texte 有部 (U-Bu) est l'école Sârvâstivâda, fondée par Kâtyânîputra environ 300 ans après la mort du Bouddha. En général, maître Dôgen estimait assez hautement les enseignements sârvâstivâdins. Ceux-ci sont représentés en chinois par les mots 我空法有 (Ga-kû-hô-u), "Le soi est vide, le Dharma existe", par 三世実有 (san-ze-jitsu-u), "les trois temps sont existence réelle", et par 法体恒有 (hottai-gô-u), "l'Univers est existence éternelle".

    "L'Existence n'a déjà pas besoin de se frayer ..." : Quand on vit dans la réalité, est-il vraiment nécessaire de faire un effort intentionnel?

    "L'immortel dans la hutte" est une référence au poème de Sekito Kisen. Il s'agit ici d'une personne qui réalise l'état éternel dans une vie simple.

    "devant un âne et derrière un cheval" => une personne ordinaire, quelqu'un qui n'a rien de spécial.

    Ungo est Ungo Doyo/Yunju Daoying (?-902),  le successeur de Tôzan Ryôkai/Dongshan Liangjie.

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