La méditation peut-elle nous rendre parfaits au plan moral?
Publié par Brad le 25 mai 2016
J'ai posté la citation qui suit de Gudo Wafu Nishijima, mon maître, sur ma page Facebook:
Tenter d'obéir aux préceptes est une tâche désespérée. Plus nous essayons, plus cela devient difficile. Le Bouddha Gautama, maître Dogen, et les grands patriarches ont tous laissé tomber l'idée d'obéir aux préceptes. Ils ont compris qu'on ne pouvait pas y arriver par un effort conscient, et ils ont donc travaillé le problème à partir d'un autre angle. Ils ont vu qu'en pratiquant zazen tous les jours, leurs vies devenaient simples et claires. Ils ont compris que, dans les faits, ils ne pouvaient pas désobéir aux préceptes.
Dans la vie, on doit prendre des décisions instant par instant. Ces décisions sont instantanées, elles dépendent de la condition de notre corps-et-esprit à l'instant présent. Donc, quand notre corps-et-esprit est équilibré et posé, notre action en est le reflet. Quand nous sommes dans le 'juste', nos actions aussi le seront. La seule façon d'obéir aux préceptes est donc de transformer notre corps-et-esprit par la pratique de zazen. En pratiquant zazen, nous revenons à notre nature originelle — notre Nature-de-Bouddha. Nous nous retrouvons en harmonie avec l'Univers à tout moment. Dans cet état, il nous est impossible d'enfreindre les préceptes. En pratiquant zazen, nous devenons des personnes incapables d'enfreindre les préceptes.
Un type qui poste habituellement des commentaires qui sont, disons, contrariants, a immédiatement objecté que ceci était "dangereux" et un exemple de "logique sectaire.”
Voici son raisonnement: “Ceci signifie que quiconque pratique zazen peut prétendre être en mesure de désobéir aux préceptes et faire tout ce dont il a envie, et que cela sera tout 'en harmonie avec l'Univers' à tout moment. Ce qui est précisément comment les chefs de sectes justifient leurs actions égoïstes. On peut ainsi justifier et défendre tout acte qu'on accomplit avec cette logique. Tout ce qu'on a à faire est de pratiquer zazen, et c'est instantanément parfait.”
Je comprends son objection. Mais je lis pour ma part la citation autrement. Pour moi, la clé se trouve dans, “En pratiquant zazen nous devenons des personnes incapables de désobéir aux préceptes.” Les trois premiers mots font toute la différence. Ce sont "en pratiquant zazen.”
Mon ami de Facebook imagine que le sens de cette phrase serait: "en pratiquant zazne pendant 40 minutes (ou comme vous voudrez) tous les jours, pour tout le reste de sa vie, on devient par magie incapable d'enfreindre les préceptes, donc permets moi de te tripoter pendant que tu goûtes cette bonne tasse de jus synthétique.” Mais ce n'est pas ce que dit Nishijima. Ce qu'il dit, c'est que pendant l'acte de zazen, il est impossible d'enfreindre les préceptes. Pour ma part, je ne vois vraiment pas comment on pourrait!
En répétant cette action tous les jours sans trève, on change de façon subtile. Comme l'écrit mon ami Facebook, “on devient de plus en plus conscient de son égotisme.”
Cela ne va pas vous tranformer par magie en une personne dont les actions seront toujours irréprochables. C'est impossible. Ne fut-ce que parce que, peu importe vos efforts, il y a toujours quelqu'un qui pourra vous prendre en défaut.
Non seulement, mais rien n'effacera jamais ce que les bouddhistes appellent "notre ancien karma tordu né de l'avidité, de l'aversion et de l'illusion éternelles.” Autrement dit, vous traînerez toujours votre “bagage” spécifique, pour dire comme les Américains de nos jours.
Je peux aussi voir pourquoi mon ami a un problème avec le passage, “En pratiquant zazen, nous revenons à notre nature originelle — notre Nature-de-Bouddha. Nous nous retrouvons en harmonie avec l'Univers à tout moment. Dans cet état, il nous est impossible d'enfreindre les préceptes.” On pourrait effectivement lire ceci comme une prétention à l'effet que zazen va nous transformer en quelqu'un d'autre. On pourrait alors s'en servir comme d'une excuse pour agir comme un abruti et prétendre que parce qu'on fait zazen régulièrement, même nos actions d'abruti sont en accort avec la Nature-de-Bouddha. Ce qui serait ridicule.
Je le lis un peu différemment. Je le vois ainsi: en pratiquant zazen, on découvre qu'à tout moment on est en harmonie avec l'Univers, qu'on le sache ou pas. Quand on est dans l'état d'harmonie avec l'Univers, on ne peut pas enfreindre les préceptes.
Or, c'est ici que cela commence à être bizarre.
Nous sommes en harmonie avec tout, il nous est impossible de ne pas être synchro. Ce qui ne nous empêche pas de nous comporter en abrutis, parfois. Dogen l'avait reconnu et disait, “Même si l'Univers tout entier n'est rien d'autre qu'un tas d'abrutis qui font toutes sortes de trucs d'abrutis, il y a quand même libération dans le fait de n'être tout simplement pas un abruti.” Il disait aussi que tout enseignement qui ne dit quelque chose comme "ne faites pas l'abruti" n'est pas du Bouddhisme.
Il y a plein de chefs de sectes qui ont prétendu à une justification surnaturelle de leurs actions d'abrutis. Sans doute y en aura-t-il bien d'autres. Mais cela est en soi un exemple de comportement d'abruti.
Il n'existe pas d'état d'Eveil qui, une fois qu'on l'aurait, nous rendrait moralement parfait. C'est une de mes raisons pour m'objecter vigoureusement aux méthodes de méditation et à l'usage de drogues qui sont censés vous apporter une sorte d'éveil instantané.
En fait, c'est tout le contraire. Une personne qui fait l'expérience de l'unité avec l'univers hors contexte peut vraiment devenir une plus grande menace pour la société qu'avant. Ne fut-ce que parce qu'on prend conscience de la facilité qu'il y a à manipuler les gens. C'est trop tentant.
C'est pour cela que le coeur de l'enseignement bouddhiste est "ne soyez pas un abruti." C'est pour cette raison que Dogen dit qu'un enseignement qui manquerait à inclure "ne soyez pas un abruti" n'est pas du Bouddhisme.
Et pourtant, et pourtant…
Ceci fut la grande question de Dogen, celle qui l'entraîna à pratiquer toute cette méditation. Et le bonhjomme en a fait un tas! Mais quand il a commencé, alors qu'il était gamin, il a demandé aux autres moines, “Le Bouddha a dit que nous étions tous parfaits tels que nous sommes, pourquoi donc avons nous besoin de pratiquer?”
La seule magie de zazen est que cela répond à sa question. On peut résister tant qu'on veut à la réponse. Ne fut-ce que parce qu'elle est une contradiction logique. Nous sommes parfaits et incapables de faire des erreurs, et pourtant nous en faisons des tonnes. Et la seule façon de cesser d'en faire, c'est de cesser d'être de tels abrutis.
La question évidente est donc: “Qu'en est-il de (mettez ici le nom de votre maître de méditation en disgrâce préféré)? Il a médité toute sa vie et c'est pourtant toujours un abruti!”
Je ne peux pas répondre à cette question, à part pour me demander comment aurait été cette personne si elle n'avait pas pratiqué autant.
Mais cette personne n'est pas vous. Votre boulot, ce n'est pas de comprendre pourquoi c'est un abruti. Votre boulot, c'est de comprendre pourquoi vous êtes un tel abruti et de vous débarrasser de cette merde.
Publié par Brad le 25 mai 2016
J'ai posté la citation qui suit de Gudo Wafu Nishijima, mon maître, sur ma page Facebook:
Tenter d'obéir aux préceptes est une tâche désespérée. Plus nous essayons, plus cela devient difficile. Le Bouddha Gautama, maître Dogen, et les grands patriarches ont tous laissé tomber l'idée d'obéir aux préceptes. Ils ont compris qu'on ne pouvait pas y arriver par un effort conscient, et ils ont donc travaillé le problème à partir d'un autre angle. Ils ont vu qu'en pratiquant zazen tous les jours, leurs vies devenaient simples et claires. Ils ont compris que, dans les faits, ils ne pouvaient pas désobéir aux préceptes.
Dans la vie, on doit prendre des décisions instant par instant. Ces décisions sont instantanées, elles dépendent de la condition de notre corps-et-esprit à l'instant présent. Donc, quand notre corps-et-esprit est équilibré et posé, notre action en est le reflet. Quand nous sommes dans le 'juste', nos actions aussi le seront. La seule façon d'obéir aux préceptes est donc de transformer notre corps-et-esprit par la pratique de zazen. En pratiquant zazen, nous revenons à notre nature originelle — notre Nature-de-Bouddha. Nous nous retrouvons en harmonie avec l'Univers à tout moment. Dans cet état, il nous est impossible d'enfreindre les préceptes. En pratiquant zazen, nous devenons des personnes incapables d'enfreindre les préceptes.
Un type qui poste habituellement des commentaires qui sont, disons, contrariants, a immédiatement objecté que ceci était "dangereux" et un exemple de "logique sectaire.”
Voici son raisonnement: “Ceci signifie que quiconque pratique zazen peut prétendre être en mesure de désobéir aux préceptes et faire tout ce dont il a envie, et que cela sera tout 'en harmonie avec l'Univers' à tout moment. Ce qui est précisément comment les chefs de sectes justifient leurs actions égoïstes. On peut ainsi justifier et défendre tout acte qu'on accomplit avec cette logique. Tout ce qu'on a à faire est de pratiquer zazen, et c'est instantanément parfait.”
Je comprends son objection. Mais je lis pour ma part la citation autrement. Pour moi, la clé se trouve dans, “En pratiquant zazen nous devenons des personnes incapables de désobéir aux préceptes.” Les trois premiers mots font toute la différence. Ce sont "en pratiquant zazen.”
Mon ami de Facebook imagine que le sens de cette phrase serait: "en pratiquant zazne pendant 40 minutes (ou comme vous voudrez) tous les jours, pour tout le reste de sa vie, on devient par magie incapable d'enfreindre les préceptes, donc permets moi de te tripoter pendant que tu goûtes cette bonne tasse de jus synthétique.” Mais ce n'est pas ce que dit Nishijima. Ce qu'il dit, c'est que pendant l'acte de zazen, il est impossible d'enfreindre les préceptes. Pour ma part, je ne vois vraiment pas comment on pourrait!
En répétant cette action tous les jours sans trève, on change de façon subtile. Comme l'écrit mon ami Facebook, “on devient de plus en plus conscient de son égotisme.”
Cela ne va pas vous tranformer par magie en une personne dont les actions seront toujours irréprochables. C'est impossible. Ne fut-ce que parce que, peu importe vos efforts, il y a toujours quelqu'un qui pourra vous prendre en défaut.
Non seulement, mais rien n'effacera jamais ce que les bouddhistes appellent "notre ancien karma tordu né de l'avidité, de l'aversion et de l'illusion éternelles.” Autrement dit, vous traînerez toujours votre “bagage” spécifique, pour dire comme les Américains de nos jours.
Je peux aussi voir pourquoi mon ami a un problème avec le passage, “En pratiquant zazen, nous revenons à notre nature originelle — notre Nature-de-Bouddha. Nous nous retrouvons en harmonie avec l'Univers à tout moment. Dans cet état, il nous est impossible d'enfreindre les préceptes.” On pourrait effectivement lire ceci comme une prétention à l'effet que zazen va nous transformer en quelqu'un d'autre. On pourrait alors s'en servir comme d'une excuse pour agir comme un abruti et prétendre que parce qu'on fait zazen régulièrement, même nos actions d'abruti sont en accort avec la Nature-de-Bouddha. Ce qui serait ridicule.
Je le lis un peu différemment. Je le vois ainsi: en pratiquant zazen, on découvre qu'à tout moment on est en harmonie avec l'Univers, qu'on le sache ou pas. Quand on est dans l'état d'harmonie avec l'Univers, on ne peut pas enfreindre les préceptes.
Or, c'est ici que cela commence à être bizarre.
Nous sommes en harmonie avec tout, il nous est impossible de ne pas être synchro. Ce qui ne nous empêche pas de nous comporter en abrutis, parfois. Dogen l'avait reconnu et disait, “Même si l'Univers tout entier n'est rien d'autre qu'un tas d'abrutis qui font toutes sortes de trucs d'abrutis, il y a quand même libération dans le fait de n'être tout simplement pas un abruti.” Il disait aussi que tout enseignement qui ne dit quelque chose comme "ne faites pas l'abruti" n'est pas du Bouddhisme.
Il y a plein de chefs de sectes qui ont prétendu à une justification surnaturelle de leurs actions d'abrutis. Sans doute y en aura-t-il bien d'autres. Mais cela est en soi un exemple de comportement d'abruti.
Il n'existe pas d'état d'Eveil qui, une fois qu'on l'aurait, nous rendrait moralement parfait. C'est une de mes raisons pour m'objecter vigoureusement aux méthodes de méditation et à l'usage de drogues qui sont censés vous apporter une sorte d'éveil instantané.
En fait, c'est tout le contraire. Une personne qui fait l'expérience de l'unité avec l'univers hors contexte peut vraiment devenir une plus grande menace pour la société qu'avant. Ne fut-ce que parce qu'on prend conscience de la facilité qu'il y a à manipuler les gens. C'est trop tentant.
C'est pour cela que le coeur de l'enseignement bouddhiste est "ne soyez pas un abruti." C'est pour cette raison que Dogen dit qu'un enseignement qui manquerait à inclure "ne soyez pas un abruti" n'est pas du Bouddhisme.
Et pourtant, et pourtant…
Ceci fut la grande question de Dogen, celle qui l'entraîna à pratiquer toute cette méditation. Et le bonhjomme en a fait un tas! Mais quand il a commencé, alors qu'il était gamin, il a demandé aux autres moines, “Le Bouddha a dit que nous étions tous parfaits tels que nous sommes, pourquoi donc avons nous besoin de pratiquer?”
La seule magie de zazen est que cela répond à sa question. On peut résister tant qu'on veut à la réponse. Ne fut-ce que parce qu'elle est une contradiction logique. Nous sommes parfaits et incapables de faire des erreurs, et pourtant nous en faisons des tonnes. Et la seule façon de cesser d'en faire, c'est de cesser d'être de tels abrutis.
La question évidente est donc: “Qu'en est-il de (mettez ici le nom de votre maître de méditation en disgrâce préféré)? Il a médité toute sa vie et c'est pourtant toujours un abruti!”
Je ne peux pas répondre à cette question, à part pour me demander comment aurait été cette personne si elle n'avait pas pratiqué autant.
Mais cette personne n'est pas vous. Votre boulot, ce n'est pas de comprendre pourquoi c'est un abruti. Votre boulot, c'est de comprendre pourquoi vous êtes un tel abruti et de vous débarrasser de cette merde.