Zen et nous

Le zen, sa pratique, ses textes, la méditation, le bouddhisme, zazen, mu

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    Baudelaire et le zen

    Fenrir
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    Message par Fenrir Ven 7 Nov 2014 - 13:31

    "CHACUN SA CHIMÈRE



    Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.

    Chacun d’eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu’un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d’un fantassin romain.

    Mais la monstrueuse bête n’était pas un poids inerte ; au contraire, elle enveloppait et opprimait l’homme de ses muscles élastiques et puissants ; elle s’agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture ; et sa tête fabuleuse surmontait le front de l’homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l’ennemi.

    Je questionnai l’un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu’il n’en savait rien, ni lui, ni les autres ; mais qu’évidemment ils allaient quelque part, puisqu’ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.

    Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n’avait l’air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos ; on eût dit qu’il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d’aucun désespoir ; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d’un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.

    Et le cortège passa à côté de moi et s’enfonça dans l’atmosphère de l’horizon, à l’endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.

    Et pendant quelques instants je m’obstinai à vouloir comprendre ce mystère ; mais bientôt l’irrésistible Indifférence s’abattit sur moi, et j’en fus plus lourdement accablé qu’ils ne l’étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères."




    Deux écueils que la voie du milieu cherche à éviter : l'attachement au monde (ceux qui ont une chimère à porter) et l'absence de concentration (l'indifférence qui pousse à ne plus rien regarder) ?


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    Message par Fred Ven 7 Nov 2014 - 19:54

    Bonsoir,
    Magnifique ce texte je trouve.
    Quelque part, il faudrait y faire écho de manière poétique, peut-être parce que la poésie serait une forme de sensibilité qui servirait par le maniement habile du langage, de contrepoids à ce qui dans "l'être au monde" et dans la manière de décrire cette expérience de manière si tellement et essentiellement imparfaite, véhicule en effet parfois, par cet usage même de la description, cette forme de dégoût propre à une chose qu'on ne se résigne pas à abandonner tout à fait alors qu'on la considère comme vaine. En effet Baudelaire ne l'abandonne pas il me semble cette description puisqu'il apporte sa lumière consciente sur cette "irrésistible indifférence" à vouloir "comprendre le mystère" qui en dit long précisément sur ce mystère.
    Je dirais que la voie du milieu se trouve déjà en quelque sorte dans l'expression poétique elle même pour celui qui parvient a rendre de manière aussi juste que Baudelaire un sentiment aussi profondément humain et propre à toute personne ayant le désir de mettre des mots, de donner une forme à l'expérience qu'est celle de vivre. Mais rien ne dit que ce qui sert la Voie du milieu du poète, qui le maintient dans une certaine forme d'équilibre psychique grâce à cet usage merveilleux de la forme poétique, puisse servir son lecteur. Rien ne nous certifie fondamentalement que ce que nous considérons pour les besoins de notre propre équilibre puisse servir l'équilibre des autres. Certains auteurs à l'écriture sombre ont trouvé la lumière par là, celle de la créativité, mais cette lumière nous pourrions la considérer comme ce qui pour eux serait semblable à ce que donne le fruit bien mure et bien sucré arrivé à maturité lorsque pour le lecteur en revanche cette même lumière pourrait s'avérer devenir ce qui s'emploi a faire de l'ombre à sa force vitale.
    Là où pour un poète, écrire s'avère être "son faire" "son horizontalité" ce qui fait qu'il est tel individu, et donc ce qui par là le sauve en tant que tel, en tant que personne, peut s'avérer être ce qui précipite certains hommes vers une forme d'incapacité à trouver leur propre "faire" ayant été guidés vers cette forme de dégoût à croire en quelque chose, à exprimer pleinement leur individualité, leur horizontalité, à porter des projets véritables sans ce soucier du fait que ces derniers puissent être "une énorme chimère".
    Laisser les nuages passer dans le ciel OK, mais s'agripper parfois à l'un d'entre eux, cela peut être pas mal aussi, cela peut permettre de concrétiser un "faire" et donner lieu à une belle poésie, à la décision de pratiquer zazen, de faire telle ou telle chose pour telle ou telle raison.
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    Message par Fenrir Sam 8 Nov 2014 - 9:41

    Ce que tu écris me fait penser à une belle explication de H. Hesse, tirée du "Jeu des perles de verre" :

    "Peut-être le poète dont les vers nous ravissent a-t-il été un triste solitaire, et le musicien un rêveur mélancolique : cela n'empêche leurs œuvres de participer de la sérénité des dieux et des étoiles. Ce qu'ils nous donnent, ce ne sont plus leurs ténèbres, leur douleur ou leur crainte, c'est une goutte de lumière pure, d'éternelle sérénité. Même quand des peuples entiers, des langues entières cherchent à explorer les profondeurs cosmiques dans des mythes, des cosmogonies, des religions, l'ultime et suprême terme qu'ils puissent atteindre est cette sérénité."
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    Message par Fred Sam 8 Nov 2014 - 15:18

    J'ai trouvé aussi ce petit extrait sur la place de la parole sur la Chose : deux petites phrases qui pourraient nous réconcilier quant à ce "dégoût" énoncé par ce gourmand Baudelaire, pour que la sainte modération soit sauvée du néant en quelque sorte, (Voie du milieu oblige) : 


    (...)Puisque l'univers est un, comment peut-on en parler ?
    Puisqu'il est appellé un, comment peut-on ne pas en parler ?
    (...)

    Extrait

    Tchouang Tseu
    Oeuvre complète

    (II La réduction Ontologique)
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    Message par Invité Lun 10 Nov 2014 - 11:49

    Bonjour,

    si la vérité se cachait dans l'illusion, ce serait une bonne cachette.

    ça me fait penser aussi à un conte indien bien connu:

    << Un vieil Indien Cherokee racontait la vie à ses petits-enfants...

    Il leur dit : " Je ressens un grand tourment.
    Dans mon âme se joue présentement une grande bataille.

    Deux loups se confrontent.

    Un des loups est méchant: il "est" la peur, la colère, l'envie, la peine,
    les regrets, l'avidité, l'arrogance, l'apitoiement, la culpabilité,
    les ressentiments, l'infériorité, le mensonge, la competition, l'orgueil.

    L'autre est bon: il "est" la joie, la paix, l'amour, l'espoir, le partage,
    la générosité, la vérité, la compassion, la confiance.

    La même bataille se joue présentement en vous,
    en chacun de nous, en fait.

    Silencieux, les enfants réfléchissaient... Puis l'un d'eux dit :
    " Grand-papa, lequel des loups va gagner " ?

    Le vieux Cherokee répondit simplement :
    " Celui que tu nourris". >>


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