Je crois bien que ce qu'il se passe ou ne se passe pas pendant la méditation n'est pas très important, et que c'est un des points fondamentaux du zazen.
Ted, tu sembles assez intrigué par le fait que l'on puisse pratiquer sans but, sans objectif, sans rechercher une amélioration quelconque. Comme toujours, quoique l'on puisse dire sur ce sujet sera partiel, et donc un peu faux.
Cependant, et tout ce que je dis n'est que le point de vue de quelqu'un dont la pratique est trop rachitique pour que cela ait plus de valeur que celle d'un simple témoignage, j'aimerais essayer de partager avec toi mon ressenti sur ce point.
Donc, je disais que, selon moi, ce qui se passe ou ce qui ne se passe pas pendant zazen n'est pas très important. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas lieu d'essayer de penser pour ensuite arrêter de penser, ni d'essayer de penser à l'arrêt des pensées, ni aucune tournures bizarres impliquant leurs contraires.
La paix en zazen consiste à laisser être, et il s'avère que cela demande une certaine forme d'entraînement, d'habitude. Nous ne sommes pas habitués à "laisser être", et quand on veut pratiquer ce "laisser être", on est un peu déboussolé. On ne veut pas croire que cela soit aussi simple, alors on est déçu. Un peu comme s'il fallait, pour que notre égo soit satisfait, que ce qui est à accomplir soit une tâche très compliquée, et qu'on puisse ensuite être fier d'y être arrivé, type : "wahou, j'ai enfin atteint l'éveil insurpassable, on est pas plus d'une centaine depuis des kaplas de kaplas à l'avoir atteint, quelle classe !" [kapla : une très très grande période de temps, genre plusieurs milliards de milliards d'années].
Et ceci à tel point que, si l'on atteint effectivement l'éveil en zazen, on peut bien ne pas s'en rendre compte, car c'est "juste ceci ou cela", rien de plus, rien d'extra-ordinaire. Je suis intiment persuadé que de nombreux non-bouddhistes ont parfois des moments de bien-être et d'harmonie qu'ils ne remarquent pas passer, par exemple une matinée qui se déroule toute seule, alors qu'on ne fait rien de spécial.
L'éveil pour moi n'est pas un état supra-normal de béatitude éternelle, (et je pense être grosso modo dans tradition zen soto en disant cela), ce n'est donc pas quelque chose que l'on recherche. A la limite, c'est plutôt quelque chose que l'on laisse arriver. A quoi bon rechercher ce qui est déjà là ? Dans le christianisme, Jésus dit (d'après Pascal) : "Ne t'inquiète pas, tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé."
C'est un contexte très différent, et il est osé de tenter un parallèle. Pourtant, c'est un peu la même chose avec les raisons qui nous poussent à avoir une pratique bouddhiste. Ceci explique un petit peu l'absence de motif, le "juste s'asseoir" : on ne cherche pas quelque chose de spécial, de même que l'on ne cherche pas quelque chose que l'on aurait déjà trouvé, on laisse arriver ce qui arrive, en nous et en dehors de nous (même si cette distinction est plutôt illusoire). Cela rejoint le "tout est là ici et maintenant".
C'est pourquoi quoi qu'il se passe, que le zazen soit bon ou mauvais, ce n'est pas différent du réel, et si l'on est simplement celui qui accueille, ce qui arrive est simplement accueilli. Rien de plus.
Si on reprend un langage métaphorique : le train ne peut pas ne pas passer. Là où il y les rails, c'est comme si le train était là. Il y sera, et il n'y sera plus. Et les rails aussi disparaîtront. Peu importe.