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    Le boulot est un don gratuit

    Yudo, maître zen
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    Message par Yudo, maître zen Ven 25 Jan 2019 - 9:47

    Il y a peu, Brad Warner a parlé du don gratuit (les quatres vertus du Bodhisattva: don gratuit, parole aimable, esprit secourable et coopération), et récemment quelqu'un lui a posé la question suivante:
    Anonyme a écrit:I’m confused. I was waiting for you to explain how to do everything as an act of free giving, but the explanation never came.
    [Je suis confus. J'attendais que vous expliquiez comment tout faire en tant qu'acte de don gratuit, mais j'attends toujours]

    Voici la réponse de Brad:
    Brad Warner a écrit:Je pense que c'est à chacun de nous de trouver notre propre façon d'y arriver.

    Je ne suis pas sûr de pouvoir expliquer comment je faisais quand je travaillais chez Tsuburaya Productions. C'est juste que je me suis mis à voir tout ce que je faisais comme un service.

    Dôgen dit aussi que travailler pour gagner sa vie est à l'origine don gratuit. En japonais l'expression qu'il emploie est moto yori, qui veut dire "à la base", "dès le départ", "tout le temps". Moto signifie "origine", "base" ou "fondation" et yori signifie "à partir de". Je pense que "à la base" est une très bonne traduction dans ce contexte, mais que "tout le temps" pourrait tout aussi bien faire.

    Pour moi, cette utilisation de l'expression "à la base" signifie qu'au coeur d'un boulot en échange d'une paie, il y a l'acte du don gratuit. Même si on ne le voit pas.

    Avant que l'argent existe, les gens travaillaient au bénéfice de la société dans son ensemble parce que c'est comment on fait. Si personne ne coupait du bois, il n'y en aurait pour personne. Donc quelqu'un le faisait. Et qui le faisait en retirait les bénéfices non seulement de sa propre action de couper du bois, mais des actions de tous au bénéfice de la société. Ceux qui le faisaient étaient vus comme dignes de cueillir les bénéfices du travail des autres au bénéfice de la société.

    De nos jours, la relation entre ce que nous faisons et la façon dont cela nous profite ainsi qu'à la société dans son ensemble sont bien plus difficiles à voir. Les choses sont plus compliquées, avec bien plus de gens à faire bien plus de choses différentes.

    Comme je l'écrivais dans l'article et dans la vidéo, quand je travaillais pour Tsuburaya, j'étais en conflit. J'avais l'impression de faire un boulot qui ne profitait qu'à moi. Ou peut-être qu'il profitait à d'autres dans la compagnie parce que ça nous faisait gagner de l'argent. Mais ça n'allait pas plus loin, à ce que je pouvais voir.

    Je me disais qu'Ultraman était un produit purement commercial. C'était un spectacle autour d'un superhéros géant de 40 mètres, qui se battait contre des monstres tout aussi gigantesques. Il était produit à peu de frais avec des types dans des costumes en latex et des maquettes d'immeubles et de villes. Il était populaire, donc il rentrait beaucoup d'argent. Mais ça n'avait aucune utilité, non?

    Quand j'étais petit, je regardais l'émission Ultraman. A l'époque, c'était assez populaire aux USA, en particulier dans la zone de Cleveland/Akron ou j'habitais. Ultraman n'arrivait pas à la hauteur de Superman, Spiderman, ou de Batman en termes d'audience, mais pour certains gamins comme moi, il était ultra-cool.

    Regarder Ultraman quand j'étais gamin a eu un effet profond et durable sur ma façon de voir le monde.

    Pour vous donner un exemple, mon superhéros favori en tant que gamin était d'une autre ethnie et d'une culture entièrement différente (Hayata, l'humain qui se transforme en Ultraman étant japonais). Cela m'a rendu bien plus curieux des autres cultures et bien moins nerveux envers des gens d'ethnies différentes que j'aurais pu l'être si je n'avais jamais eu regardé cette émission.

    C'est aussi lors de l'épisode 35, "Le Cimetière des monstres", que j'ai eu mon premier contact avec le Bouddhisme. Dans cet épisode, ils tiennent des funérailles bouddhiques pour les monstres tués par Ultraman dans le passé, auxquelles assiste Ultraman pour exprimer ses regrets.

    Tout dans cet épisode était différent des émission de superhéros américains. On n'imagine pas un superhéros américain exprimer des regrets pour quoi que ce soit qu'il aurait fait. Même aujourd'hui, l'idée serait plutôt radicale. A cette époque, c'était inoui. Les superhéros sont bons. Leurs ennemis sont mauvais. Fin de l'histoire.

    Serait-ce que ceux qui faisaient cette émission avaient l'intention inconsciente d'envoyer un étrange message quelque peu ambigu sur la nature du bien et du mal? Et qu'en est-il du message que j'en tirais de faire confiance aux étrangers? Etait-il délibéré? Peut-être. Le scénariste principal Tetsuo Kinjo venait d'Okinawa, et en tant que tel, faisait partie d'une minorité et était étranger à Tokyo. Le scénariste de cet épisode, Mamoru Sasaki, et son producteur, Akio Jissoji, avaient des idées plus nobles que la plupart de ceux qui travaillent sur les émission de télévision. Donc, c'est possible.

    Et pourtant, même eux ne pouvaient soupçonner l'effet que leur émission aurait sur un gamin de l'Ohio qui finirait par venir travailler avec eux. Ils ne pouvaient pas savoir que travailler pour eux aurait pour effet de me faire rencontrer Gudo Nishijima et de me lancer dans la tâche d'amener la philosophie de maître Dôgen en Occident.

    La morale de cette histoire est pour moi: On ne sait jamais quel bien on peut faire dans un boulot qui peut nous paraître trivial ou inutile. Alors qu'on est au boulot, à haïr son patron et à tenter juste de passer à travers la journée pour un chèque de paie à la fin du mois, on ne se rend pas compte qu'on est peut-être en train de changer le monde d'une façon qu'on ne pourrait même pas imaginer.

    Je pense qu'une partie de ce qui est arrivé dans le cas Ultraman, c'est que ceux qui faisaient cette émission considéraient que c'était un service à rendre à l'humanité. Ils étaient sérieux et se refusaient à faire de la daube juste pour le profit.

    C'est sûr qu'ils auraient eu plus de bon points avec étoile brillante si, au lieu de faire une émission télévisée, ils étaient partis, disons en Inde, pour apporter de la nourriture aux pauvres. Mais peut être que ça n'aurait pas été la meilleur utilisation de leur énergie. Bien difficile à dire.

    Gudo Nishijima a travaillé pour une entreprise de cosmétiques bien longtemps après l'âge de la retraite. Il aurait pu aller se retirer dans un temple à la campagne s'il l'avait voulu. Mais il a préféré rester à Tokyo, dans la pollution, pour travailler pour une compagnie qui fabrique du savon. S'il ne l'avait pas fait, je ne l'aurais jamais rencontré.

    Pour moi, tout ça montre que ce que nous croyons faire à n'importe quel moment pourrait bien être totalement différent de ce que nous faisons en réalité. C'est pour cette raison qu'il me semble important de faire ce que nous faisons avec toute la sincérité et aussi bien qu'il nous soit possible.

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