Je me suis dit que c’était peut-être bon de m’en remettre à votre bienveillance et votre mansuétude en débutant sur le forum par un témoignage d’expérience-itinéraire.
Je suis tout à fait conscient que c’est un récit, éminament personnel et subjectif qui procède inévitablement de la dimension narrative donc défectueuse du moi. Je vais quand même éviter le discours en mode « sans prétention, humblement, blabla bla…). Généralement quand on se dit humble et modeste c’est qu’on ne l’est pas encore tout à fait. C’est le babil d’un bébé, le béguaiement d’un timide. Tout au plus. D’ailleurs j’aurais peut-être mieux fait d’écrire un tout petit poème.
J’espère que vous serez bienveillant envers ma maladresse et la vanité même discrète qu’il y a à parler de soi.
Voilà.
J’étais libraire spécialisé en sciences humaines, philo et spiritualités. J’étais très compliqué, avec un intellect très encombré et chicanier. Toujours à couper les cheveux en quatre. De A comme Aristote à Z comme Zarathoustra, j’étais incollable. Un insupportable monsieur je sais tout. Prétentieux, pédant, arrogant, infatué et j’en passe… Longtemps, j’ai pensé avec les pensées des autres et confondu mon expérience avec celles relatées dans les livres. J’étais un méditant, un contemplatif, un ascète, un spirituel, un mystique ... pas comme eux (les autres là). J’étais sur la Voie. Enfin je croyais. En réalité j’ai passé les deux tiers de ma vie à essayer de construire un personnage spirituel parce que je me détestais et je n’aimais pas ma vie. Je me suis épuisé en vain à essayer de devenir un autre et ce faisant, évidemment je ne parvenais pas à devenir juste qui je suis. En fait, plus j’engrangeais, plus je collectionnais, plus je construisais plus je pensais et pensais et savoir et comprendre plus j’étais confus et malheureux. Néanmoins, j’étais sincère, je cherchais. Je ne peux pas entrer dans le détail de comment le changement s’est opéré. Ce serait trop long.
Le moteur principal de cette magistrale erreur était le refus orgueilleux de ma maladie, du handicap psychique qu’ on appelle trouble bipolaire. A force de fuir, (longtemps il n’y eut personne sur le zafu) un cul mais pas de tête. Puis est arrivée je ne sais comment, la défaite intégrale que j’appelle à posteriori la « glorieuse défaite ». Oxymore pour dire que se vaincre soi-même passe peut être pour certains par la mise en échec totale de toutes les forces de l’ego ou du moi. Il n’y a pas d’isssu pas de solution. Impossible de s’échapper...L’esprit exténué a finit par « exploser-imploser ? » je ne sais. C’était une déflagration intérieure qui a déchiré le ciel gris. Un rayon de soleil est apparu
Est advenu alors un immense décrochage. Le poids du passé s’est dissout. La culpabilité a fondu comme neige , Toute forme de lutte s’est évanouit, toutes les résistances sont tombées. Tout est devenu hospitalier et sécure. La paranoïa fondamentale s’est envolée. Etat de grande acceptation.
quelqu’un quelque chose a appuyé sur la touche reset et restauré les paramètres d’usine du système d’exploitation. Qui quoi ? A quoi bon savoir ?
Alors, la maladie, le handicap a cessé d’être un obstacle ou une porte refermée sur moi-même pour devenir en moins de temps qu’il ne faut pour le dire une porte ouverte sur le monde. Plus une malédiction injuste mais une bénédiction. Une source inépuisable d’énergie joyeuse pour la pratique. La maladie est devenue un joyau du coeur qui rayonne de gratitude et de reconnaissance. Intérieurement chaque jour ca se prosterne, ça fait sampaï devant le handicap et les phénomènes quelqu’ils soient, les dharmas comme on dit.
Et puis, simultanément, un océan de paix. Pas une paix produite par quelque chose ou qui vient et va. La paix a toujours été là. juste cachée derrière tout un bordel… ai-je toujours été, suis-je fondamentalement cette paix ? Peut-être, sauf que quand je m’identifiais à elle, elle se dérobait. Il m’est apparu après coup qu’il valait mieux fiche la paix à la paix, ne pas la saisir.
Chemin faisant, ca pense moins fort, l’expérience de l’inanité de mon intellectualité (du mentale ou je ne sais quoi) se stabilise et s’installe. Je rechine à frayer les routes conceptuelles du vocabulaire bouddhiste, des mots clés de la spiritualité. Ce sont des autoroutes privatisées avec des péages. Je préfère les routes de campagne et les sentiers de randonnées. Et puis tous ces mots sonnent creux dans mon coeur et mon esprit. Ca me fait le même effet que le packajing marketing des produits de consommation.
Jamais donc je n’évoquerais l’idée d’une forme quelconque d’Eveil, de réalisation. Même l’expression expérience spirituelle m’ennuie à périr.
C’est donc juste une expérience continue dont le coeur est la « connaissance conscience de mon degré d’inconnaissance, de mon ignorance et de ma stupidité ordinaire.
Je deviens heureux dans le mesure ou l’expérience de ma propre stupidité se stabilise et que je deviens peu à peu un simple d’esprit. Je ne parviens plus à rester fixé sur un point de vue. Tout est égal, tout a le même goût, la même saveur. J’ai en grande partie oublié tout ce que j’ai appris dans les livres. J’ai attrappé l’alzheimer du bibliothécaire… et ça va bien mieux. Je deviens peu à peu un enfant, et l’esprit est en moi égal et silencieux comme un petit enfant contre le sein de sa mère. Je ne poursuis ni grand dessein ni ambition qui me dépassent.
C’est comme ça que je m’assois en zazen ( si tant est que ce soit bien zazen) depuis pas mal de temps. Ce que je peux dire là dessus, c’est que j’ai longtemps pratiqué zazen un peu à la manière d’un alpiniste ou un spéléologue qui descend un précipice en rappel, solidement attaché à une corde. (par sécurité, on ne sait jamais). Je crois que c’est à cause de la peur fondamentale, c’est ça qui nous retient et créé la nécessité de la corde. Peur fondamentale donc peur de la solitude qui en dernière instance n’est que l’expression de la peur du non-être donc de la mort. Lala c’est tellement dommage. Parce que longtemps ( vous je sais pas, mais moi c’est sûr), par toutes les peurs qui n’en sont qu’une , je me suis privé de la possibilité de réaliser que la solitude-peur-du-non-être est un voile, un tigre de papier. Du coup, l’abandon confiant n’est jamais foncier ni complet. Ca reste accroché à la corde du « on ne sait jamais, au cas où, il faut pouvoir remonter de la grotte ». Du coup la peur n’est pas détruite et la non-peur ne s’actualise pas. C’est une tragédie intérieure commune dont personne ne parle. Je sais que tu sais aussi ce que je sais et vice versa. Mais motus et bouche cousue. Une appartée : mushotoku aussi devient la corde. On n’est pas sortis de l’auberge !
Dans mon cas, je ne sais comment, la corde s’est coupée ( c’est une image). Pas de chute, pas d’abîme. Pas même un endroit qui pourrait s’appeler de l’autre coté de (…), au-delà de, une autre rive. La corde a cassé et j’ai réalisé après coup que rien n’avait bougé. Ni mouvement ni devenir. Une immobilité dynamique pourtant. C’est fluide, ca coule mais quoi ? Ne sais pas. Suis et ai toujours été là ici, maintenant, et ai toujours été ce que je suis là ici, maintenant. Ca regarde, ca voit, mais il n’y a pas de point de vue particulier. L’esprit du chat ou du petit enfant dans la fraicheur du moment, pas collé au moment d’avant ni tendu vers le moment suivant. Alors, c’est la fin de la grande fatigue de croire être quelqu’un de précis quelque part. Pourtant c’est être à la fois un personnage fictif sur une scêne de théatre et à la fois pas. Peut-être juste ça : passer du croire être à être. Donc c’est la foi nue, pure aussi. Un grand repos. C’est quoi la nature de bouddha ? C’est quoi l’Eveil. Je n’en ai aucune idée et plus j’y réfléchissais plus j’étais fatigué, tendu et confus, frustré. Ca repose en soi à présent, détendu, relax, sourire intérieur. Rien n’a changé et tout est différent. j’étais un aigle sur un pic rocheux il y a un instant, une fleur des champs l’instant suivant, et qui sait un nourrisson dans une seconde.
Tout cela, ne constitue pas une arrivée quelque part, au bout d’un long et laborieux effort. C’est toujours délicat de définir l’indéfinissable. Approximativement, je peux juste dire que c’est une base, un socle. J’entends par là et exceptionnellement j’emploierai quelques idées bouddhistes, que sans habiter à fond les dharmas, nos dharmas, il est très difficile d’entrevoir ne serait-qu’un bref instant l’indifférenciation samsara/nirvana et de goûter la sécurité foncière, la confiance fondamentale.
Je dois beaucoup à la maladie et sa force de gravité qui m’ont conduit à l’habitation dans l’ici et maintenant. La maladie fut pour moi la montagne qui est d’abord montagne, puis cesse d’être une montagne, et enfin redevient la montagne, pour employer une image familière.
Mais pour que ce processus se fasse, il m’a fallu plonger régulièrement dans de très longues périodes de silence de solitude, retiré loin de tout, dans la nature et cheminer seul. Il m’a fallu accepter avec confiance ces dharmas là aussi, alors que tout le monde ou presque vous déconseille de le faire « voie du bouddha-par-soi », etc. Raison pour laquelle je me suis demandé si je devais parler ou me taire. Et en quoi parler pourrait être utile.
Si on me demande de choisir entre faire une sesshin dans un temple avec 400 personnes et zazen seul dans une cabane ou une simple tente en forêt , je préfèrais toujours la seconde option. Cependant, je fais quand même des sesshins avec les autres afin de ne pas m’installer dans les préférences.
Comme je l’ai écris dans le billet de présentation, ca plafonne quelque part. Ca à faire avec ce « ne sais pas ». Il y a une poussée intérieure. Je suis incapable de l’identifier clairement. Je pense tout simplement qu’il est temps, maintenant que j’habite la terre et ce corps, de revenir m’assoir sur le banc de l’école et d’apprendre les bases afin peut-être ( je sais pas) d’explorer la face cachée de l’ignorance.
Merci infiniment de votre sollicitude patiente. Je vous prie enfin de ne pas prendre les mots plus au sérieux que je ne le ferais moi-même.
Je termine avec une touche d’humour
-Nature de bouddha :
_ quand donc le doctorant es refus et constructions s’évanouira-t-il dans la claire lumière ?
-L’ego :
_ chuut, tais-toi, ne me dérange pas ! Tu vois pas que je suis entrain de passer mon diplôme là ?
Que tous les êtres soient heureux…