Fred a écrit:Certains états de conscience particuliers qui peuvent apparaître à tous
moments mais qui peuvent être provoqués particulièrement par le désir
de comprendre un enseignement, ou un koan ou même par la simple
pratique de zazen, nous laissent parfois croire que nous possédons une
clef pour lutter contre la souffrance ou bien pour donner à notre vécu
la valeur d'une illumination acquise et définitive (ce sont les fameux
joyaux dont je parlais dans mon message précédant).
Ca y’est !
disons nous, cette fois j’ai compris, si j’adopte l’attitude correcte
qui m’est révélée à présent et cela en toute situation, je suis à
l’abri de la souffrance. C’est cela que j’appelle adopter une posture
d’esprit.
Ok, je comprends mieux cette "posture d'esprit". Personne n'est évidemment à l'abri d'erreurs et c'est l'expérience de la vie et notre attitude face à cette expérience qui devient un critère d'évaluation de notre degré de compréhension réel. Je pense que celui qui se croit à l'abri de la souffrance trouve vite les limites de cette croyance dans la confrontation avec cette souffrance. S'il est honnête avec lui-même, il reconnaîtra qu'il s'est trompé. Il n'y a aucune honte à se tromper ; au contraire, ça prouve au moins qu'on a essayé de comprendre, ce qui est déjà, en soi, un bon état d'esprit. Le vrai maître, au fond, c'est la vie. Bien sûr, si tu rencontres un maître zen compétent et que tu lui dis "ça y est, j'y suis", très rapidement il pourrait mettre ta compréhension en défaut s'il y a mauvaise compréhension. Mais tu n'as, ni la certitude de trouver un maître compétent, ni la certitude qu'il ne se trompe pas sur ton niveau réel de compréhension.
Quoi qu’il en soit l’illusion consiste à croire qu’il existe une
posture ou une attitude d’esprit ou une technique qui serait en mesure
de contrecarrer tous les maux ou de nous garantir une paix éternelle.
Je le répète, le vrai maître, c'est l'expérience de la vie. La vie ne te loupera pas. Celui qui s'imagine être à l'abri de la souffrance et prétend à la paix éternel est un imbécile. Je ne doute pas qu'il y en ait, mais je n'en ai, à titre personnel, jamais rencontré dans le zen.
Mais à la vérité, il me semble que cette croyance, cette recherche ne
font qu’une avec les maux qu’elles prétendent pouvoir maîtriser. C’est
pourquoi il nous est enseigné dans le zen de rejeter tout état d’esprit
particulier (ce que d'ailleurs tu conseilles à Roseevelyne).
C'est un peu plus compliqué que ça, il me semble. En réalité, quand on réalise qu'on ne sait pas grand chose, après que la vie, précisément, nous ait filé quelques coups de bâton, on se met en quête de cette compréhension qui nous met en phase avec la vie. C'est une démarche naturelle et saine à mon avis.
Quand j'ai décidé de me mettre au bouddhisme, il y a quelques trente ans, j'avoue que j'avais été séduit par la littérature abondante qu'on trouvait sur ce sujet. Mais, surtout, j'avais l'impression que je comprenais tout ce que je lisais. En fait, je me suis dit que le bouddhisme était ma voie parce que les mots des maîtres me "parlaient". Shunryu Suzuki me "parlait" et je lisais son livre comme si je reconnaissais, dans chaque mot, des choses que j'avais toujours, plus ou moins distinctement, comprises. Je crois que c'est ce qui m'a attiré vers le bouddhisme. Mais l'expérience de la vie a vite fait de me remettre sur les rails et ce que je prenais pour de la compréhension n'en était simplement que l'écho affectif. Je me suis rendu compte que plus je pratiquais, moins je comprenais, ce qui était un comble puisque, en fait, je suis venu au bouddhisme parce que je croyais parfaitement le comprendre. Comprendre le bouddhisme consiste souvent à désapprendre ce que l'on croit savoir. Mais cette sorte de compréhension est insuffisante parce que c'est une compréhension "par défaut". Il faut vraiment "affirmer" une vraie compréhension du bouddhisme et cela, à ma connaissance, ne se fait pas sans recherche. Alors, la recherche peut être plus ou moins laborieuse et semée d'embûches, mais on n'avance pas sur un chemin balisé à l'avance. Si on n'a pas fait l'expérience de l'erreur, on n'est pas, à mon avis, un vrai étudiant zen. Et si on ne cherche pas à surmonter ses erreurs, on n'est pas non plus, à mon avis, un vrai étudiant zen.
L’esprit vaste, c’est l’esprit UN de Houang po, c’est l’esprit de la
grenouille qui alors qu’elle est assise dans la même posture que nous,
dans la posture de zazen, n’a pas conscience de faire quelque chose de
particulier, c’est notre esprit avec toutes ses contradictions, des
contradictions qui ne sont pas nécessairement résolues mais simplement
vécues, aussi vrai que la mort est le destin de tous les hommes ; que
ceux-ci la craignent ou non, cela ne change rien. L’esprit vaste c’est
les choses telles qu’elles sont.
Je ne vais pas mettre en doute ta compréhension de l'esprit vaste (ce n'est pas la question), mais je constate que tu me parles de Huang Po et de la grenouille alors que, jusqu'à preuve du contraire, ni toi, ni moi, ne sommes Houang Po ni une grenouille. Je t'ai demandé "a
s-tu une claire réalisation (qui ne soit pas une simple intuition) de ce que Susuki appel "l'esprit vaste" ? Peux-tu, le cas échéant nous dire ce que tu entends, personnellement, par cette expression de Susuki ?" mais tu as reproduis les mots de suzuki, y compris la référence à la grenouille, ce que l'on trouve dans son texte. Je dirais que "n'importe qui" peut me faire la réponse que tu nous donnes, mais ce n'est pas "n'importe qui" qui nous intéresse, c'est l'expérience de Fred. Comprends-tu ? Bien sûr, je te taquine un peu
. J'insiste simplement sur le fait qu'il nous est difficile de parler de notre expérience et que nous avons souvent tendance à nous appuyer sur des références parce que celles-ci nous paraissent en accord avec notre vécu. Il y a, là aussi, comme dans ta critique de la posture de l'esprit, une attitude mentale que nous devons examiner pour ce qu'elle est avant de nous y accrocher comme un refuge.
Il y'a une chose sur laquelle je veux insister, c'est que je ne remets absolument pas ton expérience en cause
Tu aurais parfaitement le droit de le faire. J'essaye essentiellement de parler de ce que je connais ; ça ne garantit rien de l'authenticité de ma compréhension du zen. Tout zeniste qui se respecte accepte comme une bénédiction, si j'ose dire, la possibilité de se tromper car nous n'apprenons vraiment que de nos erreurs.