Aujourd'hui, je voudrais vous faire part de quelques réflexions sur la Transmission du Dharma, hautement fantasmée.
Cette réflexion m'a été suscitée par le récit qu'a fait l'un des membres de ce forum, récit où j'ai reconnu une personne que j'ai personnellement rencontrée. Elle découle aussi des dernières discussions.
Maître Dôgen dédie tout un chapitre à cette transmission du Dharma. Maître Nishijima donne en commentaire au début de ce chapitre la phrase suivante: "Le disciple doit vivre avec un maître et étudier le comportement de ce maître dans la vie quotidienne."
Il ajoute: "D'un point de vue matérialiste, ce certificat n'est qu'un bout de tissu et d'encre, et ne peut donc avoir un sens religieux ni être vénéré comme ayant une valeur religieuse. Mais le Bouddhisme est une religion concrète et trouve une valeur religieuse à de nombreuses traditions concrètes. (...) C'est pourquoi maître Dôgen accordait une grande valeur à ce certificat".
Il m'est venu à l'esprit, pour ma part, que le seul cas où un maître ne se trompe pas en donnant la transmission, c'est le cas de transmission de complaisance, pour raisons politiques ou autres. Une personne que l'on ne connaît ni d'Eve ni d'Adam se présente, la bureaucratie de l'association dit à un maître de transmettre, celui-ci s'exécute, et hop! Inzepocket! Le maître peut décider de le faire sachant que cela permettra de fonder son temple, ou d'assurer sa survie, et, tout en sachant que c'est bidon, accorde sa transmission à quelqu'un qui va en être tout fier, mais se délestera au passage de sous, d'influence, etc. Dans un tel cas, il est évident que le maître ne se trompe pas en donnant la transmission. Il sait pertinemment où elle va.
Cette réflexion m'est venue parce que, d'une certaine manière, il me semble que maître Nisjhijima s'est trompé en me donnant la transmission. Je n'ai pas beaucoup vécu avec lui, je n'ai pas eu beaucoup d'intimité avec lui (comme a pu l'avoir Brad Warner, par exemple), et je n'ai pas l'impression d'être arrivé à un tel point de réalisation que je sois un excellent transmetteur de son Dharma, même si j'ai pu faire imprimer un livre et tenter de diffuser sa pensée.
Mais je suis depuis longtemps convaincu de la nécessité de la sincérité. C'est d'ailleurs l'objet d'une des calligraphies dont il m'a gratifié, qui reproduit un mot de Dôgen, 赤心片々 (sekishin henpen: littéralement coeur rouge, par petits morceaux). Ces caractères veulent dire "la sincérité, instant par instant". J'ai conscience de ne pas être à la hauteur de cette transmission, et d'une certaine manière, je la vis comme un fardeau. C'est bien fait pour ma gueule, j'avais qu'à pas l'ambitionner! Mais je me sens obligé de tenter d'être à la hauteur, dans la mesure de mes moyens.
Et cet épisode mentionné sur la file AZI et dérives m'a fait prendre conscience que le Shiho ne donne pas de droits: il en enlève! Celui ou celle qui est dépositaire de la Transmission du Dharma n'est plus tout à fait libre de ses moyens. Et là s'explique la recommandation de mon ancêtre Niwa aux trois représentants de l'AZI, lors de leur transmission, à EIheiji: "Voici venu le temps d'apprendre à être humbles"!
Aux Etats-Unis, il a fallu bien des dérives, bien des scandales pour que les choses se tassent. Certes, chez eux, en ce moment, le balancier tend à aller trop loin, mais en gros, on ne permet plus aux maîtres de se comporter en tyrans. Et c'est tout bénef, autant pour les enseignants que pour les étudiants.
Nous, Européens, et en particulier les Français, sommes les héritiers d'une société d'ordres, où, malgré la Révolution et l'abolition formelle des privilèges, ces derniers survivent avec d'autant plus de force que tous, pouvant désormais y arspirer, y aspirent. Dans cette société d'ordre, le chef d'établissement, comme je le mentionnais hier, pourra déclarer en toute bonne foi que, peu importe ce qui se sera passé, en toute circonstance, il donnera toujours raison au cadre sur un subordonné. Article 1: le Chef a toujours raison. Article 2: au cas où, exceptionnellement, le Chef se serait trompé, se référer à l'article 1.
Aujourd'hui, au plan politique, ce modèle est arrivé au bout du rouleau. Quoi qu'en dise le Medef, ce n'est pas la hauteur des salaires ni la mauvaise productivité des employés qui grève le modèle économique français, mais bien l'arrogance abrutie de types qui croient qu'un diplôme leur donne tous les droits, ainsi que le maquis réglementaire auquel se heurtent les chefs d'entreprise, en particulier les petites. Vous imaginez bien que, dans un tel contexte, lorsque des inspecteurs du travail visitent une entreprise, ils ne vont pas aller emmerder une entreprise dont le chef a le bras trop long, avec des contrecoups qui risqueraient de leur revenir au visage. Non, ils s'acharnent sur ceux qui ne peuvent pas se défendre.
Toutes ces dérives que nous avons évoquées, et souvent dénoncées, viennent d'abord et avant tout d'une conception hiérarchique de la société, et des rapports sociaux. Cette conception hiérarchique est l'ennemie de l'initiative et de la responsabilité. C'est un modèle dans lequel personne n'est jamais responsable, sinon peut-être et souvent le lampiste. Chez certains, comme dans les cellules maoïstes, expulser régulièrement un membre ou l'autre permet de conforter le pouvoir du Chef. Chez d'autres, cela permet d'abuser du pouvoir conféré par le grade pour tenter de se gagner des faveurs. Tous les cas de figure sont possibles. La seule façon de les contrer est une organisation associative horizontale qui permette de remettre les dirigeants à leur place: celle de serviteurs. Et cela vaut aussi et surtout pour le maître.
Ne pas confondre: dans une classe, le maître n'a pas à soumettre ses enseignements à l'approbation de ses élèves. Si ceux-ci n'apprécient pas, ils doivent aller voir ailleurs. Et il doit être bien clair que, même si quelqu'un n'apprécie pas ces enseignements, cela ne les invalide pas nécessairement. Cela veut juste dire qu'ils ne sont pas pour cette personne.
Par contre, au plan quotidien, hors enseignement, le maître a besoin de rester sous contrôle. Joël, un pratiquant qui vient régulièrement chez moi, et qui est un étudiant de Dokusho Villalba, me disait avoir rencontré un maître romain Dario Doshin Girolami, disciple d'une maître américaine issue de la lignée de Shunryu Suzuki lors d'un congrès de UBE. Ce maître lui avait confié se rendre chaque année à une sesshin dirigée par quelqu'un d'autre, histoire de ne pas risquer de prendre la grosse tête.
Je crois qu'il est important pour un individu récipiendaire de la Transmission de se savoir faillible, en grand danger de prendre la grosse tête, et que pour cette raison, il/elle doit bien être au fait de ses défauts et tendances pour savoir les voir se manifester. Mais comme il est important d'avoir des amis qui nous avertissent lorsqu'on risque de déconner, (et qu'il est important d'aimer assez ses amis pour accepter qu'ils le fassent!), il est important que les membres d'une association puissent prévenir leur maître résident lorsque ses comportements dérivent, voire le sanctionner au besoin.
Le modèle autoritaire hiérarchique ne permet pas ce genre de choses. Et nous, Français, n'avons pas une culture suffisamment démocratique pour que cela se fasse facilement. Je crois pourtant que c'est, entre autres, dans cette direction que nous devons faire porter nos efforts. Nier le droit à la critique, c'est encourager le statu quo.
Cette réflexion m'a été suscitée par le récit qu'a fait l'un des membres de ce forum, récit où j'ai reconnu une personne que j'ai personnellement rencontrée. Elle découle aussi des dernières discussions.
Maître Dôgen dédie tout un chapitre à cette transmission du Dharma. Maître Nishijima donne en commentaire au début de ce chapitre la phrase suivante: "Le disciple doit vivre avec un maître et étudier le comportement de ce maître dans la vie quotidienne."
Il ajoute: "D'un point de vue matérialiste, ce certificat n'est qu'un bout de tissu et d'encre, et ne peut donc avoir un sens religieux ni être vénéré comme ayant une valeur religieuse. Mais le Bouddhisme est une religion concrète et trouve une valeur religieuse à de nombreuses traditions concrètes. (...) C'est pourquoi maître Dôgen accordait une grande valeur à ce certificat".
Il m'est venu à l'esprit, pour ma part, que le seul cas où un maître ne se trompe pas en donnant la transmission, c'est le cas de transmission de complaisance, pour raisons politiques ou autres. Une personne que l'on ne connaît ni d'Eve ni d'Adam se présente, la bureaucratie de l'association dit à un maître de transmettre, celui-ci s'exécute, et hop! Inzepocket! Le maître peut décider de le faire sachant que cela permettra de fonder son temple, ou d'assurer sa survie, et, tout en sachant que c'est bidon, accorde sa transmission à quelqu'un qui va en être tout fier, mais se délestera au passage de sous, d'influence, etc. Dans un tel cas, il est évident que le maître ne se trompe pas en donnant la transmission. Il sait pertinemment où elle va.
Cette réflexion m'est venue parce que, d'une certaine manière, il me semble que maître Nisjhijima s'est trompé en me donnant la transmission. Je n'ai pas beaucoup vécu avec lui, je n'ai pas eu beaucoup d'intimité avec lui (comme a pu l'avoir Brad Warner, par exemple), et je n'ai pas l'impression d'être arrivé à un tel point de réalisation que je sois un excellent transmetteur de son Dharma, même si j'ai pu faire imprimer un livre et tenter de diffuser sa pensée.
Mais je suis depuis longtemps convaincu de la nécessité de la sincérité. C'est d'ailleurs l'objet d'une des calligraphies dont il m'a gratifié, qui reproduit un mot de Dôgen, 赤心片々 (sekishin henpen: littéralement coeur rouge, par petits morceaux). Ces caractères veulent dire "la sincérité, instant par instant". J'ai conscience de ne pas être à la hauteur de cette transmission, et d'une certaine manière, je la vis comme un fardeau. C'est bien fait pour ma gueule, j'avais qu'à pas l'ambitionner! Mais je me sens obligé de tenter d'être à la hauteur, dans la mesure de mes moyens.
Et cet épisode mentionné sur la file AZI et dérives m'a fait prendre conscience que le Shiho ne donne pas de droits: il en enlève! Celui ou celle qui est dépositaire de la Transmission du Dharma n'est plus tout à fait libre de ses moyens. Et là s'explique la recommandation de mon ancêtre Niwa aux trois représentants de l'AZI, lors de leur transmission, à EIheiji: "Voici venu le temps d'apprendre à être humbles"!
Aux Etats-Unis, il a fallu bien des dérives, bien des scandales pour que les choses se tassent. Certes, chez eux, en ce moment, le balancier tend à aller trop loin, mais en gros, on ne permet plus aux maîtres de se comporter en tyrans. Et c'est tout bénef, autant pour les enseignants que pour les étudiants.
Nous, Européens, et en particulier les Français, sommes les héritiers d'une société d'ordres, où, malgré la Révolution et l'abolition formelle des privilèges, ces derniers survivent avec d'autant plus de force que tous, pouvant désormais y arspirer, y aspirent. Dans cette société d'ordre, le chef d'établissement, comme je le mentionnais hier, pourra déclarer en toute bonne foi que, peu importe ce qui se sera passé, en toute circonstance, il donnera toujours raison au cadre sur un subordonné. Article 1: le Chef a toujours raison. Article 2: au cas où, exceptionnellement, le Chef se serait trompé, se référer à l'article 1.
Aujourd'hui, au plan politique, ce modèle est arrivé au bout du rouleau. Quoi qu'en dise le Medef, ce n'est pas la hauteur des salaires ni la mauvaise productivité des employés qui grève le modèle économique français, mais bien l'arrogance abrutie de types qui croient qu'un diplôme leur donne tous les droits, ainsi que le maquis réglementaire auquel se heurtent les chefs d'entreprise, en particulier les petites. Vous imaginez bien que, dans un tel contexte, lorsque des inspecteurs du travail visitent une entreprise, ils ne vont pas aller emmerder une entreprise dont le chef a le bras trop long, avec des contrecoups qui risqueraient de leur revenir au visage. Non, ils s'acharnent sur ceux qui ne peuvent pas se défendre.
Toutes ces dérives que nous avons évoquées, et souvent dénoncées, viennent d'abord et avant tout d'une conception hiérarchique de la société, et des rapports sociaux. Cette conception hiérarchique est l'ennemie de l'initiative et de la responsabilité. C'est un modèle dans lequel personne n'est jamais responsable, sinon peut-être et souvent le lampiste. Chez certains, comme dans les cellules maoïstes, expulser régulièrement un membre ou l'autre permet de conforter le pouvoir du Chef. Chez d'autres, cela permet d'abuser du pouvoir conféré par le grade pour tenter de se gagner des faveurs. Tous les cas de figure sont possibles. La seule façon de les contrer est une organisation associative horizontale qui permette de remettre les dirigeants à leur place: celle de serviteurs. Et cela vaut aussi et surtout pour le maître.
Ne pas confondre: dans une classe, le maître n'a pas à soumettre ses enseignements à l'approbation de ses élèves. Si ceux-ci n'apprécient pas, ils doivent aller voir ailleurs. Et il doit être bien clair que, même si quelqu'un n'apprécie pas ces enseignements, cela ne les invalide pas nécessairement. Cela veut juste dire qu'ils ne sont pas pour cette personne.
Par contre, au plan quotidien, hors enseignement, le maître a besoin de rester sous contrôle. Joël, un pratiquant qui vient régulièrement chez moi, et qui est un étudiant de Dokusho Villalba, me disait avoir rencontré un maître romain Dario Doshin Girolami, disciple d'une maître américaine issue de la lignée de Shunryu Suzuki lors d'un congrès de UBE. Ce maître lui avait confié se rendre chaque année à une sesshin dirigée par quelqu'un d'autre, histoire de ne pas risquer de prendre la grosse tête.
Je crois qu'il est important pour un individu récipiendaire de la Transmission de se savoir faillible, en grand danger de prendre la grosse tête, et que pour cette raison, il/elle doit bien être au fait de ses défauts et tendances pour savoir les voir se manifester. Mais comme il est important d'avoir des amis qui nous avertissent lorsqu'on risque de déconner, (et qu'il est important d'aimer assez ses amis pour accepter qu'ils le fassent!), il est important que les membres d'une association puissent prévenir leur maître résident lorsque ses comportements dérivent, voire le sanctionner au besoin.
Le modèle autoritaire hiérarchique ne permet pas ce genre de choses. Et nous, Français, n'avons pas une culture suffisamment démocratique pour que cela se fasse facilement. Je crois pourtant que c'est, entre autres, dans cette direction que nous devons faire porter nos efforts. Nier le droit à la critique, c'est encourager le statu quo.