Le shiho est une tradition ancienne qui nous vient de la Chine antique. Le mot est une déformation du mot médiéval Shisho, qui se traduit littéralement par "document de l'héritage" (shi= héritage, sho=écriture).
Historiquement, il s'est agi de contrecarrer une hostilité de base de l'Etat par rapport au Bouddhisme qui était vu comme allant à l'encontre des valeurs de piété familiale fondamentales en Chine. On a donc proposé, dans le Zen, de voir dans la transmission du Bouddhisme une transposition des valeurs familiales, et partant, d'officialiser quelque chose qui existait depuis le tout début, mais de manière non formelle, en rédigeant un certificat, lorsqu'un enseignant décidait de certifier un disciple.
Il faut bien voir que, depuis l'origine, l'enseignement a été, de toute façon, transmis de maître à disciple, car il s'agit d'un enseignement de type artisanal, où il faut enseigner la théorie simultanément avec la pratique. Il n'en a jamais été autrement.
Dans le cadre de la Transmission à la chinoise, donc, le maître est considéré comme un père, le disciple comme un fils. Le maître du maître devient donc le grand-père, les autres maîtres certifiés par le "père" sont donc des "frères," ceux certifiés par le "grand-père" étant à leur tour des "oncles" etc. Kosen et Yuno sont donc mes "oncles". J'aimerais tant voir la tête de Yuno Who si, le rencontrant, je l'appelais "tonton"...
Maître Dôgen consacre tout un chapitre du Shôbôgenzô à la question. Il y insiste de façon particulièrement brutale sur les qualités de sincérité et de réalité de ladite transmission.
Maître Dôgen a écrit:Les Bouddhas, sans exception, reçoivent le Dharma des bouddhas, de bouddha à bouddha, et les patriarches, sans exception, reçoivent le Dharma des patriarches, de patriarche à patriarche; cela est l'expérience de l'état de bouddha, c'est la transmission d'une personne à une personne, et c'est, pour cette raison, l'état suprême de la bodhi.
J'en saute. Plus loin, il ajoute:
Maître Dôgen a écrit:Parler de quarante patriarches, à présent, c'est se contenter de parler de ceux qui nous sont proches.* Ainsi, la succession de bouddha en bouddha est profonde et éternelle; elle est sans régression ni déviation, et sans interruption ni cessation. Le point fondamental de tout ceci, le voici: quoique le Bouddha Shâkyamuni réalise la vérité devant les Sept [anciens] Bouddhas, il lui a fallu longtemps pour succéder au Dharma du Bouddha [ancien] Kâshyapa. (...)
Sans la succession du Dharma, nous serions des non-bouddhistes du Naturalisme. Si la vérité du Bouddha ne dictait pas la succession du Dharma, comment aurait-il pu arriver jusqu'à nous? Donc, dans [la transmission] qui va [de] bouddha [en] bouddha, un certificat de succession, d'un bouddha succédant à un bouddha, eest inévitablement présent.
Evidemment, même si l'on considérait que Dôgen écrit ceci de façon littérale, nous, grâce à nos connaissances historiques, savons que cela ne peut être admis littéralement. Il n'empêche que, pris de façon symbolique, ce qu'il écrit là est rigoureusement exact. La transmission est une chose réelle. Cela dit, de nombreux détails dans la suite du texte peuvent nous donner à penser que Dôgen parle de façon très symbolique où il ne faut pas le lire trop littéralement. Ce qui serait, de toute façon, contraire au Sûtra du Lanka, entre autres. Ainsi qu'au Sûtra du Lotus dont Dôgen était fan, et qui comporte trop de trucs outrageusement exagérés pour qu'on puisse le prendre trop littéralement.
Mais il poursuit, à un certain point, en mentionnant les certificats de complaisance.
Maître Dôgen a écrit:En même temps, il y a une bande de chiens qui, rôdant autour d'un vénérable patriarche, demandent cordialement des paroles de Dharma, des portraits, et ainsi de suite, qu'ils collectionnent à l'excès; puis, lorsqu'ils prennent de la bouteille en années, ils donnent de l'argent à des fonctionnaires pour obtenir un temple, mais lorsqu'ils ont été nommés abbés, ils ne reçoivent pas le Dharma du maître qui leur avait donné des parole de Dharma et le portrait. Ils le reçoivent de personnes célèbres, qui ont une réputation parmi la génération présente, ou de vieux vétérans intimes des rois et des ministres, et n'ont ainsi aucun intérêt à obtenir le Dharma, mais n'ont envie que de gloire et de réputation.
Où l'on peut voir qu'il n'y a rien de nouveau. Il cite aussi la possibilité que, pour obtenir le certificat, quelqu'un aille trouver l'abbé d'un temple qui ne le connaît ni d'Eve ni d'Adam, mais qui, avec quelques flatteries et cadeaux, va leur donner le certificat.
Présentement, aux USA, il y a une grande discussion qui viserait à contrôler les enseignants zen pour éviter les dérives. Brad Warner d'oppose assez vigoureusement à cela, parce que, comme nous le savons ici en France, le
beneplacet d'une grosse institution n'est en rien une garantie d'intégrité.
Donc, comme on peut le voir de ce que maître Dôgen lui-même écrit, un certificat physique de transmission du Dharma n'est pas une garantie. C'est une tradition qui, quoique millénaire, n'a qu'une antiquité relative et limitée à l'aire culturelle chinoise (à laquelle nous nous rattachons, ne fut-ce que par notre fascination pour les caractères chinois).
Mais, malgré tout, il conserve l'intérêt de limiter, même si ce n'est pas de grand chose, la possibilité pour les charlots de s'auto-proclâmer. Après tout, il a bien fallu à Vous-Savez-Qui de se rendre au Japon, de faire des courbettes et de payer un cadeau et des frais d'inscription.
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Si, pour moi, il y a 90 patriarches, pour Dôgen, il n'y en avait que 40. Il veut dire par là que nous mentionnons ceux que nous connaissons, ce qui ne veut pas dire que ce soient les seuls.