Ok, je comprends mieux, c'est plus clair pour moi.
Oui, ce vécu de situation reflète parfaitement ce qui pour moi est le symptôme majeur qui est à la fois la cause et aussi la conséquence de ce qui déconne dans l'AZI : des gens qui se présentent comme référents, qui en fait ne sont pas d'accord entre eux profondément, voire en relation d'antipathie, mais restent soudés autour d'un pot commun (gestion de l'AZI, contrôle de l'UBF), à savoir les instances de pouvoir bouddhiste en France.
J'ai commencé la pratique en un temps où Deshimaru était mort depuis plus de dix ans, mais où tous les pratiquants se retrouvaient encore ensemble à la Gendronnière, dans l'endroit où Deshimaru avait voulu développer la pratique...on y sentait encore cette empreinte. Mais je suivais plus zazen qu'un maître, et le jour où j'ai choisi de suivre quelqu'un, cela s'est fait par zazen, pas tellement pour la personne.
Le fait est que tous ceux qui portaient alors le titre de godo, étaient tous en position de rester face au mur pendant au moins un camp d'été, souvent trois (un mois), et je pense que ça leur faisait du bien à tous. Et le jour où tout cela a cessé, notamment quand Olivier WG a initié le mouvement de développer ailleurs, avec JP Faure ensuite à Kanshoji, et le départ de Roland à Nice, là, peu à peu, ça s'est délité, car ça a vidé la Gendronnière de sa substance, le centre s'est vidé, et chacun étant investi dans la création de son propre truc.
A mon avis, ils auraient dû attendre que ça soit plus fort au centre avant que de faire cela...aujourd'hui la réputation de la Gendro n'est pas au top, moi-même je n'ai plus aucune envie d'y aller, et les retours que j'en ai ne sont pas brillants, de plus en plus de gens qui continuent de pratiquer qui me parlent, n'y vont plus, alors qu'ils pourraient parfois, ce qui veut tout dire.
Il ne faut pas oublier, qu'historiquement, le zen est complètement marqué par une structure féodale. Le bouddhisme tibétain, d'ailleurs, et l'on peut se demander comment il se fait qu'ils aient été les formes les plus prisées en France de bouddhisme, ce choix, conscient ou pas, n'est pas venu de rien. Il répond a une structure attachée à une forme d'ordre, qui cependant, revendique une forme de liberté, voire de libertarisme, et il y a une ambigüité entre ces deux aspects, qui existent en toi, comme en nous tous, entre le bon disciple et le rebelle.
Mais pour moi, le zen est en train de virer à un conservatisme profond, et un formalisme outrancier. Et trahit par là ce que Deshimaru enseignait, que, si je ne l'ai pas connu directement, j'ai eu, je crois, l'immense chance d'avoir eu les témoignages des bonnes personnes au bon moment, et la transmission de cette énergie-là dans le groupe où j'ai commencé.
COmme dit Yudo, personne n'a rien à imposer comme règle dans le choix des personnes.
Mais le reproche que je fais à l'AZI, c'est que ce choix, s'il n'est pas présenté ouvertement, est induit implicitement par le mode de fonctionnement adopté. Il s'origine aussi dans le fait que quand Deshimaru était là, il était le seul maître, il incarnait cette fonction seul. Le problème, c'est que certains utilisent ce modèle, dans un contexte où il n'y a plus un seul maître, mais plusieurs personnes qui assument cette fonction.
Je dis cela d'autant plus que j'ai lu un mondo dans un recueil de kusens d'un disciple de Deshimaru, qui stipule qu'on ne peut suivre qu'un seul maître. C'est un non-sens, quelque part : au Japon, les moines croisent tous plusieurs instructeurs. On peut avoir un référent, mais être formé par plusieurs qu'on croise un jour ou l'autre, comme on peut avoir plusieurs professeurs. Mais la façon dont c'était présenté ne laissait pas vraiment place à cette lecture-là.
La personne qui avait ce livre, m'a surpris aussi en disant "j'aimerais être nonne, mais pour se faire ordonner, faut choisir un maître." Le fait qu'elle le relate avec ces mots, signifie qu'elle le comprend et l'entend ainsi. C'est laisser se confondre le rôle "écclésiatique", le rôle de fonctionnaire spirituel, avec celui de maître spirituel. Si ces rôles peuvent être assumés par la même personne, ces deux fonctions doivent être différenciés pour que les choses cessent d'être ambigües chez qui veut se faire ordonner, et donc différencier l'ordination avec l'esprit d'allégeance. Au final, l'ordination, pour moi, c'est entrer dans l'ordre cosmique. Celui qui peut conférer cela, transmet les préceptes, et au final, est un représentant de Bouddha, mais laisse la personne à assumer l'éveil de son Bouddha intérieur. Cela ne peut se faire dans une relation de subordination. Une relation de ce type se doit d'être claire, sans dépendance,en tous cas éclairant au mieux les transferts potentiels, qui sont inévitables, mais sans en jouer pour que celui qui a le pouvoir se nourrisse de la foi du pratiquant qui vient chercher chez lui la moëlle.
En tous cas, il y a beaucoup de confusions dans tout ça, car entre les messages qui ne sont pas clairs, et aussi les interprétations qui en sont faites avec beaucoup de projections héritées de la légende dorée du bouddhisme, il n'est pas facile de s'y retrouver.
Dans tout ça, l'important est de rester clair et sonder son coeur. Et ne pas oublier que le bouddhisme est en mutation et intégration en Occident, et que nous ne sommes pas seulement des usagers :nous sommes aussi acteurs de ce qu'il devient, notre pratique, notre abord des choses, va influencer son évolution.
Nous sommes partie prenante du système, nous sommes aussi facteurs de transformation.
Nous avons le droit de questionner le fonctionnement de tout cela, ce n'est pas forcément faire entrave aux choses, mais vouloir aussi comprendre le sens profond de ce qu'on pratique, sans se contenter de rester superficiel.
On a alors une chance de pouvoir harmoniser des ressentis contradictoires.
Il me semble aussi important de rester ouverts aux autres communautés, aux autres instructeurs. On ne choisit pas par exclusion. On choisit ce qui nous permet de nourrir notre être essentiel. Il faut aussi parfois apprendre à se préserver de ce qui nous détourne de l'attention qu'on veut porter à notre centre.
Le bouddhisme est une voie d'individuation, il faut se méfier du discours rapide qui consiste à l'emballer dans une pratique de rejet de son ego. On ne peut rejeter ce qu'on n'a pas embrassé.
N'oublions pas aussi que le Bouddha, n'a pas hésité à remettre complètement en cause l'enseignement de ses deux maîtres...il en a même gardé des éléments dans son discours. Mais ce qu'il a transmis, a été aussi le produit de sa créativité propre. Parle-t-il de se soumettre à sa personne? On se prosterne par respect, par dévotion, parce que notre coeur aime cela, parce que ça nous fait du bien. Parfois ça résiste, mais on sent bien, au fond, si c'est juste et non forcé : le corps esprit reconnaît ce qui lui fait du bien.
Mais faut avoir confiance dans ce qu'on est,ce qu'on sent, protéger notre libre arbitre, qui n'est pas forcément qu'égoïsme...il peut aussi créer du bon. S'il crée du bon, c'est la nature de Bouddha à l'oeuvre. On peut l'appeler autrement, ce qui compte c'est que ça nous fasse sentir bien dans cette vie.
En fait, ce que tu sens, même si ça te dérange, est important et précieux : c'est ce que tu perçois du réel, et il faut écouter cela comme un enfant qui pleure : au début, on ne sait pas toujours ce qu'il veut, puis quand on prend le temps, on finit par comprendre, mais il faut accepter de rester avec, et parfois de se sentir impuissant. Elle est là, ta nature de Bouddha, dans ce que tu sens. Cela est précieux et doit être protégé. Même un maître ne peut le faire à ta place.
Mais quel que soit le maître, ce dont on peut être responsable, c'est du disciple qu'on veut être.