L'Histoire participe de l'art du récit, et donc de celui de raconter des histoires. Dans notre civilisation, le premier historien est Hérodote, dont on a souvent dit qu'il racontait des "histoires", et cela pour le discréditer; alors que certaines de ses affirmations, qui paraissaient du délire jusqu'à peu, ont été démontrées, par exemple par la géologie, lorsqu'il dit que la plaine de Thessalie était anciennement un lac.
Le premier historien "moderne" est Thucydide, car il joint à son récit des considérations politiques, sociologiques et psychologiques particulièrement pointues. En effet, on ne peut écrire correctement l'Histoire sans y faire participer ce type de notions, qui sont primordiales pour comprendre correctement le déroulement des choses rapportées.
On pourrait dire que l'Histoire doit se contenter de rapporter les faits, et rien qu'eux. Malheureusement, le processus est chaotique et encombré d'embûches. Rien que pour écrire la biographie d'un contemporain, les approximations sont inévitables. On a beau fouiller les archives, interroger les survivants, consulter la documentation, on passe toujours à côté d'un truc, on peut toujours recevoir pour valable une interprétation erronée, et, une fois que c'est écrit et publié, on aura beau vouloir revenir dessus, voire dans une publication ultérieure, il y aura toujours quelqu'un pour exciper de la première publication pour continuer à propager l'erreur. Tout historien est sujet à ce type de méprise.
Sans compter les témoins qui refusent de parler, par pudeur, par intérêt ou pour d'autres raisons parfois tordues.
Lorsqu'il s'agit d'Histoire moins récente, ces difficultés augmentent. Et la plupart du temps, l'historien doit procéder par hypothèses, tenter d'étayer ces dernières grâce justement à la psychologie, à la sociologie, à la géographie et à l'étude de la politique. Et lire, parfois, entre les lignes des rapports officiels. "Intelligence" ne veut-il pas dire "lire entre (les lignes)"?
Ainsi, un historien a-t-il pu démontrer que Néron n'avait pas grand chose du monstre qu'on en a fait (probablement pour des raisons de propagande), en faisant ressortir des faits connus de tous, mais passés sous silence. Quel monstre, en effet, qu'un empereur romain qui refuse de condamner des gens à mort, qui refuse de payer pour des combats de gladiateurs, et qui voudrait que le peuple de Rome aille au théâtre ou au concert plutôt qu'au stade!!! Cet auteur montre donc que, quoiqu'il n'y ait pas eu de partis politiques à proprement parler dans la Rome antique, il y avait quand même des factions politiques, et, o surprise! l'une d'elles était le parti conservateur autour des nobles et des puissants de Rome, et l'autre le parti populaire s'appuyant sur la population; Néron était clairement soutenu par ce parti, et son renversement fut clairement le fait de l'autre parti. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait jamais commis d'excès; mais d'autres, bien pires que lui, comme Tibère ou Caligula, s'en tirent beaucoup mieux.
Donc, lorsqu'on écrit l'histoire d'un processus, la psychologie collective, qui découle de la sociologie ainsi que de l'ethnographie est d'une importance capitale, car elle conditionne les mécanismes de l'action individuelle d'une façon qui peut être très claire pour qui la connaît, et pas du tout pour qui ne la connaît pas.