Salut !
Et d'abord merci pour ce sujet qui s'annonce super intéressant, ne serait-ce que parce qu'il nous touche tous.
Je trouve ça bien vu d'avoir mis en titre "mon plus grand koan", parce qu'effectivement, c'en est un, un vrai de vrai : qu'est ce que ça veut dire "s'aimer", surtout dans le zen et dans le bouddhisme où se pose la question de l'existence concrète d'un "soi" à aimer ?
Cela peut aider, je pense, de voir ce qu'on met derrière "s'aimer". Ca veut dire quoi, s'aimer : produire des jugements positifs sur sa personne ou sa personnalité ? Qu'est ce que c'est que cette personne ou cette personnalité sinon un amalgame de trucs dont font partie ces jugements eux mêmes ? Et du coup, ne pas s'aimer, ce serait produire des jugements négatifs sur cette personne ou cette personnalité ? Dans les deux cas, j'ai l'impression que du point de vue du bouddhisme zen, c'est une sorte d'esclavage fondé sur une vision de l'identité hyper solide, et solidifiée encore par les jugements négatifs ou positifs qui la cristallisent... Du coup l'idée, peut être, ce n'est pas forcément de remplacer le négatif par du positif, mais carrément de changer de point de vue, en cessant de croire que les choses NOUS arrivent, que c'est NOTRE vie... Même si en même temps c'est évidemment le cas. C'est un koan. C'est notre vie mais ce n'est pas du tout notre vie.
Comme tu sais, zazen fait ça. Mais je crois qu'il ne faut pas s'attendre à changer ; on ne va pas passer de quelqu'un de pessimiste à quelqu'un d'optimiste, ou de quelqu'un qui a souvent des idées noires à quelqu'un qui n'en a plus du tout. Simplement on se décentre par rapport à tout ça, ça n'a plus vraiment d'importance.
Peut être qu'on peut par exemple essayer de passer de la question "s'aimer" / "ne pas s'aimer" à "aimer", tout simplement, aimer la vie, aimer les autres, aimer tout court. Un type qui traite très bien de cette question, c'est Erich Fromm, un philosophe / psy qui s'est par ailleurs énormément intéressé au zen, dans un bouquin qui s'appelle "L'art d'aimer". C'est une bonne lecture pour qui se pose ce genre de questions, mais peut être que tu l'as déjà lu !
Ca c'est pour la théorie un peu pompeuse et facile. Après il y a la vraie vie. De mon côté j'ai ressenti une évolution majeure en pratiquant zazen quotidiennement et en travaillant avec un (bon) psy. Mais ce qui s'est passé n'est pas du tout une révolution (je ne suis pas passé d'une haine aveugle à un amour aveugle). C'est simplement que j'ai appris à me détester correctement, ahahaha ! Ou, plus précisément, les mêmes choses qu'avant, je détestais en moi (la peur permanente, l'angoisse, la faiblesse face à certaines situations, l'impuissance d'agir, la méchanceté dont j'étais capable sans m'en rendre compte), j'ai appris à leur faire de la place, à les reconnaître, à les aimer aussi. Là où avant, je m'effondrais, je me détestais d'avoir peur de ceci ou de cela, ce qui m'incapacitait, maintenant je reconnais cette peur comme étant "une partie de moi, ma vie", et du coup je peux la gérer et faire avec. Tous mes défauts et tout ce que je n'aimais pas en moi sont toujours là ; mais mon point de vue dessus a complètement changé. Cet apprentissage là ne peut pas se faire tout seul à mon avis, on ne peut pas décider de changer de point de vue, d'un coup, tout seul, dans son coin, parce que ce qui forge nos points de vue sur nous mêmes, ce sont bel et bien les autres, à commencer par nos parents et ceux qui nous entouraient quand on était jeunes. On a souvent même pas conscience d'être comme ci ou comme ça. Changer de point de vue sur "soi" nécessite de passer par l'autre, et par un autre qui joue le rôle de miroir, sans juger, ni en bien ni en mal. On peut trouver ça chez un bon maître zen, ou chez un bon psy, ou les deux. Zazen en tout cas nous montre bien que tout ça repose sur du vent, ce qui est d'une grande aide : que l'on s'aime, ou que l'on se déteste, on est de toute façon à côté de la plaque, car on tourne autour d'une notion de "soi" qui est erronée...