Pour moi Fred faisait allusion à cette histoire : (ch.4 & ch.5)
Voici une traduction du chapitre Shin fukatoku du Shōbōgenzō de Dõgen :
1 Shakyamuni dit : « L'esprit du passé du présent et du futur ne peut se concevoir.» C'est-à-dire que l'esprit ne peut être appréhendé par une connaissance empirique. Cet enseignement a été transmis par la pratique de tous les Bouddha et les Patriarches.
2 La seule façon de comprendre le passé, le présent et le futur est d'utiliser notre esprit dépouillé de toutes influences. Chaque fait et geste devraient émaner de cet esprit. Depuis Shakyamuni, tous les bouddha ont cherché avec un esprit dépouillé de toutes influences au moyen de la pratique de zazen. Si les Bouddhas et les Patriarches n'y étaient pas parvenus, nous n'aurions rien pour orienter nos recherches. Afin de percevoir l'esprit pur [dépouillé de toute influence], il nous faut être d'un tel niveau que même les bouddhologues ne peuvent se l'imaginer. Toutefois, ce niveau n'est pas inaccessible, il est même à notre portée. Nous allons le démontrer dans l'exemple suivant.
3 J'ai totalement assimilé l'enseignement du soûtra du Diamant ; ma compréhension des commentaires de Seiryuji est sans égale mais je pense être le seul à l'avoir correctement interprété, aurait affirmé le maître Zenkan Tokusan. Il aurait écrit douze volumes de commentaires et la qualité de ses conférences était sans pareille. Il avait la réputation d'être un des plus grands érudits du pays et le dernier des maîtres zen à avoir défendu la nécessité de l'étude des textes.
4 Un jour, il eut vent de la présence dans le sud d'un maître fameux qui enseignait le Dharma authentique. Tokusan ne pu retenir sa jalousie et décida de mettre à l'épreuve ce maître. Il prit avec lui quelques volumes de ses notes et de ses commentaires. Sur la route, il eut la confirmation qu'une sesshin dirigée par Maître Soshin Ryutan allait avoir lieu. Il décida de s'y rendre. Sur le chemin, pendant qu'il prenait un moment de repos, une vieille femme voulant faire de même vint s'asseoir près de lui.
- Qui êtes-vous ? Lui demanda Tokusan.
- Je vends des gâteaux de riz, lui répondit-elle.
- Pourrais-je vous en acheter quelques-uns ?
- Et pourquoi donc ? Lui rétorqua la vieille femme.
- Pour manger pardi, répondit Tokusan.
- Vénérable, pouvez-vous me dire ce qu'il y a de si important dans votre baluchon?
- N'avez-vous jamais entendu parler du grand maître expert du soutra du Diamant? Eh bien, c'est moi. Je sais tout ce qui peut être connu à son sujet. Dans ce baluchon, j'ai mes notes et mes commentaires.
- Pourrai-je vous questionner à ce sujet? demanda la vieille femme après avoir écouté Tokusan.
- Interrogez-moi autant que vous voudrez. Surtout, ne vous gênez pas.
- Il y a fort longtemps, dit la vieille femme, j'ai entendu une personne chanter ce soûtra et je me souviens tout particulièrement d'un verset qui disait ceci: “ l'esprit du passé, du présent et du futur ne peut pas être conçu.“ Dites-moi vénérable ! avec quel esprit allez-vous manger ce gâteau que vous voulez m’acheter ? Je vous céderais bien un gâteau pour une réponse. Sans réponse, vous vous en irez sans rien.
5 Tokusan fut si surpris, qu'il ne put lui répondre. Alors elle se leva, s'épousseta, ajusta ses vêtements, résolue à le laisser le ventre vide elle s'en alla. C'est vraiment regrettable qu'un si grand érudit, ayant étudié des milliers de volumes de commentaires, puis exposé le contenu et le sens de ce soūtra durant des années, ne puisse répondre à une question aussi simple. Il y aurait donc une grande différence entre acquérir des connaissances par les livres et le fait de les acquérir par l'expérience. Dans un premier temps, Tokusan, désabusé, apprit que l'image d'un gâteau de riz ne remplit pas le ventre de celui qui a faim. Plus tard, il devint le disciple de Maître Ryutan qui lui transmit le Dharma. Encore qu'il n'a probablement jamais pu oublier sa rencontre avec la vieille femme. De toute façon, malgré toutes ses années consacrées à l'étude, il n'avait pas réalisé la véritable sagesse bouddhiste et il était loin d'avoir connu l'éveil.
6 Cependant, nous ne devons pas nous moquer de lui et faire l'éloge de la vieille femme, même si ce qu'elle avait dit fit perdre à Tokusan ses moyens. Nous ne sommes pas sûrs pour autant qu'elle fut elle-même éveillée. À ce moment-là, Tokusan n'était pas encore le vrai Tokusan. Il n'était pas suffisamment compétent pour mesurer le degré de compréhension de la vieille femme. D'autant plus qu'elle-même n'a pas répondu à sa question et si elle l'avait fait, nous aurions pu en prendre acte. Peut-être que ces versets du soûtra du Diamant voulaient seulement dire, pour elle, que l'esprit que l'on ne peut pas concevoir ne peut pas exister. Il n’est nul besoin d'être éveillé pour énoncer une vérité. Cela s'applique aussi à cette vieille femme. D'une autre façon, Tokusan avait fauté par vantardise.
7 Reconsidérons cette histoire en nous mettant à la place de Tokusan. Il aurait pu répondre à la vieille femme : - ne me les vends pas. S'il l'avait fait, cela aurait confirmé son éveil ou simplement une bonne compréhension. Inversement, s'il lui avait répondu :- je ne sais pas quel esprit est utilisé lorsque nous mangeons un gâteau de riz, la veille femme aurait pu répondre : - votre esprit est trop préoccupé par le gâteau de riz à tel point que vous ne vous rendez même pas compte qu'il le contient. L'esprit lui-même ne sait pas ce qu'il doit prendre comme nourriture. Si Tokusan n'avait pas compris, sûrement qu'il ne l'avait pas, la vieille femme aurait dû lui offrir trois gâteaux de riz et lui dire : notre esprit ne peut être conçu avec le passé, le présent et le futur. Au moment où Tokusan saisit les gâteaux, elle aurait dû en escamoter un et le lui jeter à la figure en criant : - moine stupide, cesseras-tu un jour de faire l’idiot ? Si Tokusan avait répondu correctement, elle aurait été ravie et elle aurait sûrement retenu la leçon. Par contre, la situation présente aurait dû inciter la vieille femme à l’affranchir.
8 Dans l'histoire, elle le laissa en plan, et ne montra aucune intention. Mais Tokusan ne lui a pas dit non plus : je ne puis vous répondre. Voudriez-vous m'expliquer ce que cela peut bien vouloir dire ? Tokusan et la vieille femme ne montrent aucune compréhension. C'est une situation regrettable.
9 Les péripéties de Tokusan ne s'arrêtèrent pas là. Il se remit à étudier avec acharnement sous la direction de Maître Ryutan. Pour la première fois, il avait le privilège d'avoir un véritable enseignement, mais n'obtient pas pour autant l'éveil. Jusqu'à un soir où, soudainement - Ryutan et lui marchaient dans un corridor sombre - le maître éteignit la lanterne. Le chemin vers l'éveil peut être très long mais il peut soudainement vous surprendre, comme par enchantement. Mais n'allez pas penser que cet événement soit un accident. Pour recevoir la transmission, vous devez étudier le Dharma avec précaution, sérieusement et avec humilité. Ne soyez pas des paresseux, ni des fumistes ! N'évitez pas les difficultés. Elles sont nécessaires à nos progrès. Cela est vrai pour tout enseignement bouddhique. Ne faites pas en sorte de ne dépendre que de vos facultés intellectuelles. Essayer d’appréhender les choses uniquement par l’intellect, c'est comme si on essayait de manger la représentation d'un gâteau de riz.Shinfukatoku | 心不可得
Prononcé devant les moines à Kannondōri-in,
Kōshōhōrinji à UJI en 1242
durant le camp d'été.