albertillo a écrit:
Je ne comprends pas.
Dans quel ouvrage de Thích Nhất Hạnh la notion d'interdépandance est envisagée comme mettant en relation des choses et individus séparés? Aurais-tu une citation pour étayer en quoi la manière dont l'interdépendance est pensée par Thích Nhất Hạnh est réductrice?
C'est quand même curieux que le zen résout cette question et que Thích Nhất Hạnh n'y parvienne pas alors qu'il est un maître bouddhiste zen vietnamien (Nāgārjuna n'étant pas spécifiquement zen).
Salut !
Thich Nhat Hanh (pardon pour la rigueur universitaire - mais on n'est pas à la fac, que je sache, on discute tout simplement) prend très souvent l'exemple de la feuille de papier : il dit : dans cette feuille, il y a du bois ; dans le bois, il y a de la pluie, et donc des nuages, et donc de l'air, etc. etc. pour montrer que tout est interdépendant. Voici par exemple une citation tout à fait universitaire tirée de son bouquin sur le sutra du coeur (pardon, je ne l'ai qu'en anglais, c'est le tout début du chapitre "Interbeing") :
If you are a poet, you will see clearly that there is a cloud floating in this sheet of paper. Without a cloud, there will be no rain ; without rain, the trees cannot grow ; and without trees, we cannot make paper. [...] We can say that the cloud and the paper inter-are.
Ce faisant il évoque bien des choses séparées (la pluie, le nuage, le bois, la feuille) qui sont interdépendantes. Loin de moi l'idée de condamner cet enseignement, que je trouve magnifique et qui fait le boulot : on comprend bien, et facilement, la vérité qui se cache derrière cela. Comme Kaïkan le dit, je pense que Thich Nhat Han n'ignore rien des enseignements concernant la vacuité et qu'il utilise juste cet exemple pour fournir un enseignement simple et "grand public".
Mais chez Nagarjuna, l'interdépendance envisagée comme ça n'a pas de sens : il démontre en effet l'impossibilité d'une vue qui envisagerait des choses séparées en relation les unes avec les autres.
Je renvoie pour un approfondissement de cette lecture de Thich Nhat Han sous l'angle nagarjunesque aux excellents cours en ligne de John Dunne (un universitaire bouddhiste, ça tombe bien), disponibles gratos sur le site d'Upaya : "Revealing Nagarjuna".
Il me semble aussi que Dogen est très fortement empreint de la pensée de Nagarjuna.
Enfin, je crois que de toute façon il ne faut pas trop s'attacher aux enseignements, ni chercher à défendre une vérité absolue contre une autre. Chaque maître enseigne comme il le sent, selon sa propre intuition et sa propre compréhension des choses, et si parfois ça frotte un peu avec d'autres théories, ce n'est pas bien grave. Guy Mercier raconte par exemple qu'une fois, alors qu'il parlait de zazen comme la manifestation absolue de l'Etre, un bouddhiste theravada lui a rétorqué qu'il était impossible de parler "d'être" dans le bouddhisme mais qu'il fallait absolument parler de vacuité. Pour autant, ce vers quoi pointait Guy Mercier avec ses propres mots, dans le moment et le contexte avec ses objectifs d'enseignement, était tout aussi juste que le mot de vacuité. On rejoint là la problématique de départ : à chacun de trouver sa façon "d'exprimer l'inexprimable", sachant que de toute façon ce sera toujours, quelque part, une connerie... A chacun aussi de faire son chemin avec celui des autres...