par Rémi Dim 21 Jan 2018 - 19:54
"Juste", dans les deux sens du mot "juste". Donc : "uniquement s'asseoir" et "correctement s'asseoir", pour paraphraser.
Le pourquoi s'asseoir n'est pas très important. Cela vient tout seul. Au départ, on arrive certainement avec des concepts pré-établis. Une envie d'atteindre quelque chose de spécial. Et puis peu à peu, on se rend compte que ça n'a rien de spécial, que ce qui était spécial était plutôt notre état désordonné où l'on courrait sans cesse d'un jugement à un autre, d'un désir à un autre.
On pourrait aussi atteindre un "résultat" similaire sans s'asseoir. Quand on se lève, l'assise que l'on avait résonne encore.
Je pense donc qu'on peut "juste s'asseoir", shikantaza, sans véritable objectif, à partir d'un certain stade. Ce n'est pas une action hautement signifiante. Au final, c'est juste que quand les choses (tout ce qui nous compose et les désirs qui traversent et les pensées avec) remuent sans cesse, on est comme un poste de radio mal réglé qui capte tout avec un bruit par-dessus : une station de radio qui grésille et où on a du mal à percevoir la musique, parce qu'elle capte mal, parce que sa fréquence ne correspond pas à celle du poste émetteur.
On entend mal l'émission de France Inter que l'on voudrait pourtant suivre ; les voix sont hachées.
Si on laisse reposer tout ça (l'image souvent utilisée est celle de l'eau boueuse, qui, lorsqu'elle se calme, se décante et devient limpide), le monde devient plus lisible, c'est à dire qu'en fait, nous n'avons même plus besoin de le lire, au sens où lire est un effort qui consiste à essayer de déchiffrer quelque chose. Or, rien n'est à déchiffrer.
Simplement s'asseoir, pas pour se laver le cerveau ou parce que nous n'aurions rien d'autres à faire, mais parce que l'on expérimente peu à peu différents états, et qu'on l'en sent intuitivement que certains états sont plus agréables que d'autres.
Simplement refléter les vraies causes et circonstances du vrai temps, pour paraphraser vaguement une phrase citée par Dôgen dans "Bussho" :
"Wanting to know the meaning of the Buddha-nature,
We should just reflect real time, causes and circumstances."
"Si l'on veut connaître le sens de la nature de Bouddha,
Nous n'avons qu'à refléter le vrai temps, les causes et les circonstances."
(je cite ici l'édition de Gudo Nishijima et Chodo Cross, Shobogenzo, book 2, page 4, où est cité, si j'en crois la note, et je la crois une phrase du Mahaparinirvana-sutra, chap. 28)
Juste s'asseoir pour simplement refléter le vrai temps. Au départ on le fait peut-être parce qu'on a ressenti le besoin de suivre Bouddha, ou qu'on avait mal à l'égo, mais après on finit par s'en foutre, et c'est bien "juste s'asseoir", pas pour être Bouddha ou pour tout comprendre, mais pour être juste, pour être juste dans le temps et ne pas être son propre fantôme tournant toujours la tête ailleurs et ne voyant pas ce qui se passe ici et maintenant.
(désolé pour la longueur de ce message)