Bonjour
Je vais vous faire part ici d'une analyse sur un passage du Dhammapada (97) que j'ai trouvée intéressante.
Je vous laisse juges de cet humour caustique, qu'on a tendance à négliger, mais qui, si l'on y réfléchit bien, a toujours été une valeur fondamentale du Bouddhisme, et que nous connaissons bien dans le Zen. Par exemple dans ce kôan (Shinji-shôbôgenzô I-38) où Gensa envoie une lettre à Seppô, et que ce dernier en découvrant une feuille blanche, ne capte pas que l'autre lui a juste fait une blague, et se met à délirer devant son assemblée pour leur parler de la profondeur du message de Gensa, qui a juste voulu tester son sens de l'humour.
Je vais vous faire part ici d'une analyse sur un passage du Dhammapada (97) que j'ai trouvée intéressante.
Sāriputtattheravatthu
Assaddho akataññū ca
sandhicchedo ca yo naro;
Hatāvakāso vantāso,
sa ve uttamaporiso.
Qui est libre de la foi aveugle (Assaddho)[1], qui connaît l'incréé (akataññū) [2],
qui a défait les liens (sandhicchedo)[3], a détruit l'existence, (Hatāvakāso)[4]
et rejeté le désir (vantāso)[5],
est vraiment une personne excellente.
Dhammapada, 97
La sagesse du vénérable Sāriputra
Devant trente moines de la forêt venus rendre hommage au Bouddha, le maître demande au vénérable Sāriputra s'il croit que cultiver et développer les cinq facultés spirituelles de confiance, d'énergie, de conscience, de recueillement et de sagesse puisse culminer dans la vision profonde et dans l'immuable (Nirvāna). Sāriputra répond qu'il n'a pas une simple foi: ayant réalisé le Sentier et tous ses fruits, il n'a plus besoin de croire à la parole du Bouddha. Les moines présents, en discutant entre eux, en arrivent à la conclusion que Sāriputra n'a pas foi dans le Bouddha. C'est pourquoi ce dernier leur explique que la réponse du vénérable Sāriputra est impeccable, car il a réalisé l'enseignement au travers de son expérience personnelle, et n'a donc plus besoin de croire dans les paroles de quelqu'un d'autre.
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Notes:
Si on le lit de façon littérale, ce verset pourrait sembler choquant, mais comme il arrive souvent avec les paroles du Bouddha, tous les mots-clef de ce texte ont un double sens, – littéral et métaphorique- souvent peu intelligibles lors d'une lecture superficielle.
1.Assaddho signifie littéralement “sans foi” (a-saddha), autrement dit, un mécréant; mais dans ce contexte, il faut comprendre "quelqu'un qui n'est pas crédule"
2.Akataññū signifie littéralement “ingrat”, c-à-d. quelqu'un qui ne reconnaît pas ce qui a été fait pour son bien; là il faut comprendre "quelqu'un qui ne connaît pas (aññū) ce qui n'est pas créé (a-kata), le nirvāna.
3.Sandhicchedo signifie “celui qui taille (cheda) les connexions (sandhi), autrement dit un voleur, mais ici, il faut comprendre un Arhat qui a mis définitivement mis fin au cercle vicieux de l'existence cyclique, ayant taillé la connexion entre un état d'existence et l'autre.
4. Hatāvakāso signifie celui qui a détruit (hata) sa propre existence, mais ici, il faut comprendre un Arhat qui a détruit tous ses futurs résultats karmiques.
5. Vantāso: dans la mythologie indienne, c'est le nom d'une classe d'esprit faméliques (preta) qui se nourrissent de vomi (vanta); dans ce verset, Vantāso doit s'entendre comme celui qui a complètement ‘vomi’ ou expulsé la convoitise.
6. Uttamapuriso signifie “le meilleur d'entre les individus (purisa)”, mais on pourrait aussi l'entendre comme “celui qui se croit supérieur aux autres”, autrement dit un prétentieux. On ne peut qu'imaginer l'effet choquant que ce verset aura pu avoir sur les trente moines présents, qui nourrissaient des doutes sur le vénérable Sāriputra, au moment où ils entendaient de façon littérale ce que disait le Bouddha :
“L’infidèle, l'ingrat, le scélérat, a ruiné sa propre vie.
Il mange ce qu'ont vomi les autres, et pourtant, il se croit supérieur à eux.”
Je vous laisse juges de cet humour caustique, qu'on a tendance à négliger, mais qui, si l'on y réfléchit bien, a toujours été une valeur fondamentale du Bouddhisme, et que nous connaissons bien dans le Zen. Par exemple dans ce kôan (Shinji-shôbôgenzô I-38) où Gensa envoie une lettre à Seppô, et que ce dernier en découvrant une feuille blanche, ne capte pas que l'autre lui a juste fait une blague, et se met à délirer devant son assemblée pour leur parler de la profondeur du message de Gensa, qui a juste voulu tester son sens de l'humour.