Une nonne, deux fois.
Le trajet d'une pratiquante japonaise du catholicisme au Zen
par Yuko Wakayama Yamada avec Lon Kurashige
Hiver 2019
Article original sur le magazine Tricycle:
Quand j'étais petite, j'étais très proche de ma tante, la soeur de ma mère. Elle n'avait pas d'enfants à elle, aussi me traitait-elle comme sa fille. Elle m'emmenait au parc, à la plage, et en voiture. Elle m'a enseigné à cuisiner et à repriser. Pendant les vacances d'été, je restais souvent chez elle. Je l'adorais.
Peu avant le bac, elle est tombée malade et est décédée en peu de mois, à l'âge de 36 ans. Ce fut trop brutal. Je fus choquée et déprimée, et j'ai pleuré pendant de longs jours. "Pourquoi fallait-il que tata Michiko meure?" me demandais-je. Dans mon chagrin, je me suis mise à me prendre le chou sur le sens de la vie.
Un ami que cela préoccupait m'emmena à son église. J'hésitai, parce que mes parents étaient bouddhistes, mais j'y suis allée, et tout en écoutant les chants grégoriens, j'ai ressenti une sorte de restauration de ma paix de l'esprit. Le prêtre parlait de vie éternelle, ce qui me fit une forte impression, particulièrement en lien avec la mort de ma mère et le début de ma quête de sens. Je retournai à l'église après ma première visite et je finis par devenir membre actif de la congrégation.
Méditer au couvent me fut une confirmation que la vie monastique était la seule façon pour moi d'être en paix en ce monde.
Après cinq ans d'assiduité à l'église, j'eus l'occasion de visiter et de méditer dans un couvent catholique. Je m'y rendis, mais pas dans l'intention de me faire nonne. Je ne connaissais rien au monachisme; c'est juste que je voulais poursuivre et approfondir ma relation avec Dieu. Le silence sacré du couvent et la pratique sincère des nonnes m'émut. J'y revins à plusieurs reprises, et finis par me rendre compte de l'inadéquation de la vie ordinaire. J'avais eu une enfance normale dans une famille stable et responsable, une bonne éducation, et de nombreux amis (dont un partenaire amoureux). Mais je n'étais pas satisfaite. Méditer au couvent me fut une confirmation que la vie monastique était la seule façon pour moi de vivre en paix en ce monde. Je décidai donc de prendre les voeux qui feraient de moi une nonne catholique.
Le couvent était sis sur une grande étendue de terres dans la partie nord du Kanto, au Japon, et était entouré d'un grand mur de béton. En trois ans, je ne l'ai quitté que deux fois — toutes deux pour voir un médecin, quand j'étais malade. Nous étions douze soeurs qui pratiquions ensemble — quatre novices et les autres huit nos aînées. Le programme était strict. Chaque nuit nous nous levions à minuit pour aller à la chapelle pour une heure de prières. Nous retournions dormir jusqu'à la prière de quatre heures, qui durait trois heures et comprenait une messe. Pendant la journée, nous priions à cinq reprises; entre ces sessions, nous travaillions à la chapelle, la cuisine, et le potager et nettoyions à fond le couvent.
Toutes les activités à part la prière étaient menées en silence. Le couvent était très tranquille, et au début, le silence m'a fait peur. Une fois par jour seulement, pendant une récréation de 45 minutes, nous était-il permis de parler librement l'une à l'autre. les dimanches, nous observions le Sabbat et ne travaillions pas. Mais nous n'arrêtions jamais de prier. Nous priions chaque jour de l'année.
Photo de Shiho Fukada
En tant que nonne, je portais une coiffe faite d'un tissu très épais qui était très ajusté et me couvrait complètement les oreilles, ce qui rendait difficile d'entendre et d'ouvrir la bouche. Par dessus la coiffe, je portais un voile qui restreignait ma vision périphérique de sorte que je ne pouvais voir que ce que j'avais devant moi. Ces mesures visaient à nous empêcher de voir, d'entendre ou de dire de mauvaises choses. De la sorte, nous ne pouvions être distraites par le monde, et il devenait plus facile de se concentrer sur Dieu; En tous temps, nos esprits devaient être pleins d'amour pour Dieu afin qu'il ne reste pas de place pour le mal. Quand quelqu'un nous disait "Merci", il nous fallait répondre, "Grâce à Dieu".
J'aimais la façon dont cette vie monastique me permettait de me sentir en paix et en joie pour la première fois. J'eus de nombreuses difficultés là bas, mais mon esprit était calme et je n'étais plus tracassée par la mort de ma tante. Mais je gardais l'impression qu'il manquait quelque chose. Un jour, alors que j'avais passé trois ans au couvent et dix en tant que chrétienne pratiquante, j'ai entendu un sermon qui devait changer ma vie. Il y avait un couvent d'homme dans la même ville que le nôtre, et chaque matin un des prêtres venait à notre couvent pour nous dire la messe. Un jour le prêtre nous parla de son expérience à un récent rassemblement inter-religieux. Il nous glissa un mot sur zazen [la méditation assise] dans son sermon. Ceci résonna en moi parce que j'étais familière avec le mot, grâce à la pratique dans ma famille d'une cérémonie du thé inspirée par le Zen. Je ne connaissais en fait rien sur zazen, mais j'imaginais que cela devait être une sorte de prière japonaise, et je voulais essayer.
De nos jours, catholiques et bouddhistes se parlent librement par les échanges inter-religieux. Mais à cette époque, on me dit — en termes non-équivoques — que si je voulais essayer zazen, il me faudrait quitter le monastère. Ce qui me posait un dilemme majeur: même si je chérissais mes soeurs et notre vie en commun, je ressentais l'attirance vers un style de foi plus japonais. Le couvent et notre pratique étaient complètement occidentaux, sans aucun élément familier pour quelqu'un comme moi, née et élevée au Japon. En dépit de mes années au sein de l'Eglise, le couvent et le catholicisme me restaient étrangers.
Personne ne peut être authentiquement une nonne sans avoir ressenti l'appel du Christ, et ma quête pour trouver une forme japonaise du sacré m'en éloignait. Ce fut une décision très difficile, mais je quittai le couvent afin de découvrir zazen. Quand j'avais pris mes voeux, j'avais abandonné toutes mes possessions mondaines: mon argent et mes effets personnels, je les avais laissés chez mes parents, et on ne m'avait permis que d'apporter quelques sous-vêtements et effets personnels dans un sac. Là, quittant le couvent, j'ai rendu mes habits monastiques et en retour, j'ai récupéré mon sac avec un peu d'argent. Et juste comme ça, j'étais de retour dans le monde. Mais je ne connaissais personne dans ce coin. Je ne connaissais même pas la ville, vu qu'on ne m'avait jamais permis de quitter le couvent.
"Que dois-je faire" me suis-je demandé. "Où puis-je pratiquer zazen?"
j'ai hélé un taxi et j'ai demandé au chauffeur de m'emmener à un temple bouddhiste.
"Lequel?" m'a-t-il demandé.
"Je ne sais pas. Peu importe."
Il m'a menée à un grand temple qui se trouvait par chance faire partie de l'école Sôtôt. "Je viens d'un couvent catholique," dis-je au prêtre. "Je voudrais essayer zazen."
Le prêtre m'a regardé avec scepticisme. "Si vous voulez pratiquer zazen, allez à Nagoya," dit-il. "Il y a là un monastère de formation des nonnes." Il me fit voir une vidéo de la dure pratique des nonnes et leur vie austère, en s'imaginant que cela me ferait peur. Ma réaction le surprit. "Oui, c'est exactement ce qu'il me faut!" Voyant ma détermination, il me conseilla d'écrire pour demander à l'abbesse la permission d'aller à Nagoya."
Attirée par la méditation zen, Yamada fut contrainte de se décider: rester au couvent et ne jamais apprendre zazen, ou le quitter à jamais.
Photo de Shiho Fukada
Comme je ne pouvais aller directement au monastère, je suis retournée chez mes parents. Je me suis pointée à l'improviste, mais ils furent plus que ravis de me voir. Ils savaient que, si j'étais restée au couvent, ils ne m'auraient jamais revue, même quand j'étais malade ou à l'article de la mort, et pas même pour les funérailles. Telles étaient les règles. J'écrivis une lettre à l'abbesse zen, et en attendant sa réponse, je m'occupai de mes parents. Je fis la cuisine, je nettoyai, et je fis tout pour eux, tout en tentant de leur expliquer ce qui m'attirait vers l'idée de zazen.
Finalement, l'abbesse m'écrivit de venir à une sesshin de trois jours, une période de pratique intensive de zazen. Les nonnes et les laïcs s'asseyaient en zazen et faisaient kinhin (marche méditative) de quatre heures du matin à neuf heures du soir. Je fus impressionnée par le monastère si peu familier, et par ses rituels. Le premier jour, j'appris à m'asseoir en zazen, et à utliser les bols oryoki. Cinq minutes après le début de la première session, les genoux se mirent à me faire mal. Les longues séances de prière au couvent avaient discipliné mon esprit, mais mon corps n'était pas préparé à se plier à la posture du lotus. "Que vais-je faire?" me suis-je inquiétée. "Comment vais-je survivre à trois jours de cette souffrance?"
Finalement, la sesshin prit fin et j'avais survécu. Je ne connaissais rien au Zen Sôtô, mais je savais qu'au bout de ces trois jours, mon esprit était particulièrement rafraîchi. Je parlai à l'abbesse de mon expérience au couvent catholique et la raison pour laquelle je l'avais quitté pour venir à Nagoya.
"Zazen n'est pas une partie du Bouddhisme," me dit l'abbesse. "C'en est le coeur." Sentant probablement mon désir de quitter à nouveau la maison, elle me décrivit comment le Bouddha avait quitté son palais et sa famille pour entrer dans la pratique. "Pensez-vous que vous pouvez pleinement comprendre zazen, si vous n'abandonnez rien?" demanda-t-elle.
"C'est logique," lui répondis-je. "Il faudrait que je me consacre complètement à la pratique de zazen. Il faudrait que je devienne une nonne bouddhiste."
A peu de temps de mon entrée au monastère de Nagoya, cependant, je me suis rendu compte que le programme quotidien n'accordait pas beaucoup de temps à zazen. A l'exception de notre sesshin mensuelle, nous ne nous asseyions que deux fois par jour. Ce n'était pas vraiment assez pour moi.
L'essentiel de notre routine quotidienne se passait en zamu (travail). Dôgen Zenji, le fondateur du Zen Sôtô, disait que toutes nos activités quotidiennes sont zazen. Je le savais intellectuellement, mais je n'en comprenais pas le sens profond. J'accomplissais scrupuleusement mes devoir selon le programme, en pensant qu'en le faisant sans égo était une bonne pratique. Mais au bout de trois ans à Nagoya, ma frustration explosa.
"Nous devrions nous asseoir en zazen plus souvent!" me suis-je plainte à l'abbesse.
Obéir à son maître est un article fondamental pour une nonne ou un moine bouddhiste. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'exprimer mon insatisfaction: sans une pratique intensive de zazen, être au monastère me semblait pareil que la vie ordinaire. Mon maître répondit avec colère à ma plainte. Elle était (et reste) la plus célèbre nonne zen sôtô au Japon, avec plus de 40 disciples qui ont été formées à la suivre et à lui obéir. "Croyez-vous pouvoir vraiment comprendre zazen si vous n'abandonnez rien?"
"Si vous voulez tant vous asseoir en zazen, allez en Amérique!" dit-elle, cassante.
"Pourquoi?" rétorquai-je. "J'ai été ordonnée au Japon. C'est le pays de Dôgen, ici. Pourquoi faut-il que j'aille en Amérique pour faire zazen? Ça n'a pas de sens!"
Il me fallut plusieurs années avant d'avoir la réponse. Je n'avais jamais été à l'étranger, et ne parlais pas anglais. Mais mon maître m'avait dit de partir à l'étranger, aussi partis-je. Je voyageai seule jusqu'à un temple Sôtô en Pennsylvanie, dirigée par une abbesse qui avait été formée à mon monastère de Nagoya. Le Zendo de Mount Equity était un endroit très beau dans une zone parsemée de champs de maïs et de soja. La cour arrière du centre zen était une forêt et sur ses terres vivaient des chevaux, des vaches, des oiseaux, des écureuils et bien d'autres animaux. Dans le potager poussaient des patates, du maïs, des broccoli, des carrotes, des cardes, et d'autres plantes que nous cuisinions et servions aux repas.
Au Mount Equity, j'eus de nombreuses possibilités de m'asseoir en zazen. Il y avait une sesshin à tous les mois, et des gens de tous les USA y venaient. Le zazen du soir au centre attiraient des locaux trois fois par semaine. Mais le bonheur continuait à me fuir. Une claire nuit, après zazen, je suis sortie dans le jardin et j'ai regardé le ciel sombre. Je pouvais voir la lune. Je me rendis compte que des Japonais étaient en train de regarder cette même lune — et j'ai fondu en larmes. Je m'étais battue avec mon maître pour vouloir pratiquer davantage zazen, et j'étais venue en Amérique où je pouvais le pratique abondamment; mais je n'avais pas trouvé le vrai bonheur. Je me suis rendu compte que c'était mon égo. "J'aurais dû obéir à mon maître. Je fais toujours ce que je veux. Ce n'est pas la pratique bouddhiste." J'avais enfin compris que mon maître m'avait envoyé en Amérique pour affronter mon propre égo; elle m'avait jetée hors du monastère pour m'aider.
Là, me dis-je, j'étais prête à rentrer à la maison, mais je ne pouvais pas partir sur le champ. Quoique déçue, je fis de mon mieux pour continuer à apprrendre et pratiquer. Ce fut une aide que l'abbesse du Mont Equity était une enseignante sincère et compatissante qui s'était formée au Japon pendant plus de 15 ans. Elle m'avait expliqué un jour comment la Pennsylvanie et le Japon était connectés dans le Dharma: "Les Japonais pratiquent tout le jour assis en zazen. Quand ils se couchent, ici c'est l'aube, et nous prenons le relais de leur pratique en nous asseyant en zazen. Notre pratique sans fin embrasse la terre."
A la fin de mon séjour aux USA se tint une cérémonie shinsanshiki ("siège de montagne" pour la reconnaître officiellement en tant qu'abbesse zen Sôtô, et j'ai organisé la plupart de l'événemenet. Mon maître vint exprès de Nagoya, accompagnée d'environ 40 personnes, dont des nonnes et des moines. Je voulus m'excuser immédiatement et lui demander si je pouvais rentrer au Japon. Mais après la cérémonie, un prêtre japonais dirigeant un centre zen en Allemagne l'approcha. "Je vais avoir la même cérémonie, l'an prochain," dit-il. "Je voudrais inviter des prêtres japonais. Veuillez m'envoyer Yuko pour aider."
"OK!" répondit mon maître, sans rien me demander. Je fus dépitée.
Bientôt, je fus en route pour l'Allemagne, où je passai six mois à préparer la cérémonie pour l'abbé. Ce fut un succès, et après cela, je fus soulagée de savoir que mes devoirs étaient accomplis: je pouvais enfin rentrer. Mais le dirigeant du Zen Sôtô en Europe avait assisté à la cérémonie en Allemagne, et appela mon maître avant moi. "Votre disciple est ici, en Allemagne. Pourquoi ne l'enverriez-vous pas dans d'autres centres zen en Europe?"
"Excellente idée!" répondit-elle, toujours sans rien me demander. Donc, pendant une autre année, je visitai des centres zen en Italie, en Suisse, en France et en Espagne. J'ai croisé beaucoup d'étudiants sincères; m'asseoir en leur compagnie me rendit heureuse, et être en Europe était une aventure, mais je ne pouvais pas comprendre le sens profond des enseignements du Dharma en anglais et encore moins dans les autres langues européennes. Je me languissais toujours du Japon.
J'ai passé deux ans et demi en Amérique et un an en Europe avant de pouvoir enfin revenir au Japon. Il y avait désormais 20 ans que je m'étais convertie du catholicisme au Bouddhisme. Quand je rencontre des pratiquants zen, particulièrement des USA et d'Europe, ils me demandent souvent pourquoi j'ai changé de religion, et si j'étais déçue par l'Eglise catholique. J'aimais sincèrement ma vie au couvent, et ma conversion n'a rien eu à voir avec les nombreux scandales qui secouent l'Eglise.
Pourquoi donc suis-je partie pour chercher zazen? Je me suis posé cette question à ne nombreuses reprises. Je sais que je n'avais pas la vocation vers le Christ, mais au cours des ans, j'ai aussi observé des différences entre zazen et la prière catholique qui m'ont aidé à expliquer ce qui m'a attirée vers le Bouddhisme.
D'une, j'en suis venue à croire que le contraste entre les postures physiques dans la prière catholique et zazen, ont une profonde signification. En tant que catholique, je m'agenouillais pour prier tout en courbant le cou en avant, mains jointes, les yeux fermés — tous gestes de respect envers Dieu. Alors que malgré ma puissante lutte dans mes premières années de zazen pour être à l'aise dans la posture du Lotus (le fait d'être Japonaise ne me rendait pas la posture naturelle), j'en suis venue à comprendre que c'est la plateforme du Zen: pas un geste de respect — un moyen pour une fin — mais une pratique en soi. Nos vies nous font constamment dérailler, mais zazen restaure notre équilibre et nous ramène à notre droit inné à l'harmonie universelle.
Je repense aussi aux couvre-chefs restrictifs que nous portions au couvent. Les bouddhistes zen ne pratiquent pas ainsi en limitant leurs sens, car il est important d'ouvrir les yeux, les oreilles et le nez afin d'utiliser les six sens en harmonie avec l'univers. Au contraire de la prière, zazen ne nous ferme pas au monde; nous embrassons tout pour réaliser notre connexion originelle avec l'Univers et pour accepter la réalité telle qu'elle est.
Tout aussi important est le contraste entre les approches catholique et bouddhiste envers la pureté. Au couvent, nous les novices nous nous modelions sur le lys blanc. Notre comportement, notre manière de tenir nos chambres, la confession — tout était prévu pour nous délivrer du mal et nous rendre aussi sans tache que le lys. Je me rappelle mes impressions de désespoir après la confession — comment je me disais que, peu importe mes efforts, je ne pourrais jamais être pure en corps et en esprit.
Je n'ai jamais eu cette impression après m'être convertie au Bouddhisme, parce qu'on m'y a enseigné à embrasser l'imperfection plutôt que de tenter de l'éliminer. Le symbole bouddhiste est le lotus, une superbe fleur qui fleurit dans les eaux boueuses. Cette eau représente nos imperfections et la souffrance qui nous fait ce que nous sommes. Si l'environnement est trop propre, le lotus ne peut fleurir: si nous sommes en guerre avec nos imperfections, nous ne pouvons pas devenir qui nous sommes vraiment. Les bouddhistes acceptent la réalité telle qu'elle est: pure et impure mais malgré tout toujours parfaite.
En exprimant mes impressions des différences entre zazen et la prière, je ne veux pas impliquer que le catholicisme serait mauvais et le bouddhisme bon. Malgré leurs différences, je crois qu'autant la prière que zazen touchent le même profond silence qui est au coeur de toute foi. Je respecte toujours mes soeurs et mes frères catholiques. Même si je ne les vois plus, je sens que leurs constantes prières encouragent ma pratique de zazen. Comme ils ne cessent jamais de prier, je ne puis m'arrêter de pratiquer. Nous pratiquons de façons différentes, mais nous restons connectés. Où que je sois —au Japon, en Europe, en Amérique ou ailleurs — je veux fleurir comme le lotus, aider tous les êtres à embrasser et la pureté et l'impureté, et à soutenir la paix et le bonheur en ce monde. Cela, pour moi, est zazen.
Le trajet d'une pratiquante japonaise du catholicisme au Zen
par Yuko Wakayama Yamada avec Lon Kurashige
Hiver 2019
Article original sur le magazine Tricycle:
Quand j'étais petite, j'étais très proche de ma tante, la soeur de ma mère. Elle n'avait pas d'enfants à elle, aussi me traitait-elle comme sa fille. Elle m'emmenait au parc, à la plage, et en voiture. Elle m'a enseigné à cuisiner et à repriser. Pendant les vacances d'été, je restais souvent chez elle. Je l'adorais.
Peu avant le bac, elle est tombée malade et est décédée en peu de mois, à l'âge de 36 ans. Ce fut trop brutal. Je fus choquée et déprimée, et j'ai pleuré pendant de longs jours. "Pourquoi fallait-il que tata Michiko meure?" me demandais-je. Dans mon chagrin, je me suis mise à me prendre le chou sur le sens de la vie.
Un ami que cela préoccupait m'emmena à son église. J'hésitai, parce que mes parents étaient bouddhistes, mais j'y suis allée, et tout en écoutant les chants grégoriens, j'ai ressenti une sorte de restauration de ma paix de l'esprit. Le prêtre parlait de vie éternelle, ce qui me fit une forte impression, particulièrement en lien avec la mort de ma mère et le début de ma quête de sens. Je retournai à l'église après ma première visite et je finis par devenir membre actif de la congrégation.
Méditer au couvent me fut une confirmation que la vie monastique était la seule façon pour moi d'être en paix en ce monde.
Après cinq ans d'assiduité à l'église, j'eus l'occasion de visiter et de méditer dans un couvent catholique. Je m'y rendis, mais pas dans l'intention de me faire nonne. Je ne connaissais rien au monachisme; c'est juste que je voulais poursuivre et approfondir ma relation avec Dieu. Le silence sacré du couvent et la pratique sincère des nonnes m'émut. J'y revins à plusieurs reprises, et finis par me rendre compte de l'inadéquation de la vie ordinaire. J'avais eu une enfance normale dans une famille stable et responsable, une bonne éducation, et de nombreux amis (dont un partenaire amoureux). Mais je n'étais pas satisfaite. Méditer au couvent me fut une confirmation que la vie monastique était la seule façon pour moi de vivre en paix en ce monde. Je décidai donc de prendre les voeux qui feraient de moi une nonne catholique.
Le couvent était sis sur une grande étendue de terres dans la partie nord du Kanto, au Japon, et était entouré d'un grand mur de béton. En trois ans, je ne l'ai quitté que deux fois — toutes deux pour voir un médecin, quand j'étais malade. Nous étions douze soeurs qui pratiquions ensemble — quatre novices et les autres huit nos aînées. Le programme était strict. Chaque nuit nous nous levions à minuit pour aller à la chapelle pour une heure de prières. Nous retournions dormir jusqu'à la prière de quatre heures, qui durait trois heures et comprenait une messe. Pendant la journée, nous priions à cinq reprises; entre ces sessions, nous travaillions à la chapelle, la cuisine, et le potager et nettoyions à fond le couvent.
Toutes les activités à part la prière étaient menées en silence. Le couvent était très tranquille, et au début, le silence m'a fait peur. Une fois par jour seulement, pendant une récréation de 45 minutes, nous était-il permis de parler librement l'une à l'autre. les dimanches, nous observions le Sabbat et ne travaillions pas. Mais nous n'arrêtions jamais de prier. Nous priions chaque jour de l'année.
Photo de Shiho Fukada
En tant que nonne, je portais une coiffe faite d'un tissu très épais qui était très ajusté et me couvrait complètement les oreilles, ce qui rendait difficile d'entendre et d'ouvrir la bouche. Par dessus la coiffe, je portais un voile qui restreignait ma vision périphérique de sorte que je ne pouvais voir que ce que j'avais devant moi. Ces mesures visaient à nous empêcher de voir, d'entendre ou de dire de mauvaises choses. De la sorte, nous ne pouvions être distraites par le monde, et il devenait plus facile de se concentrer sur Dieu; En tous temps, nos esprits devaient être pleins d'amour pour Dieu afin qu'il ne reste pas de place pour le mal. Quand quelqu'un nous disait "Merci", il nous fallait répondre, "Grâce à Dieu".
J'aimais la façon dont cette vie monastique me permettait de me sentir en paix et en joie pour la première fois. J'eus de nombreuses difficultés là bas, mais mon esprit était calme et je n'étais plus tracassée par la mort de ma tante. Mais je gardais l'impression qu'il manquait quelque chose. Un jour, alors que j'avais passé trois ans au couvent et dix en tant que chrétienne pratiquante, j'ai entendu un sermon qui devait changer ma vie. Il y avait un couvent d'homme dans la même ville que le nôtre, et chaque matin un des prêtres venait à notre couvent pour nous dire la messe. Un jour le prêtre nous parla de son expérience à un récent rassemblement inter-religieux. Il nous glissa un mot sur zazen [la méditation assise] dans son sermon. Ceci résonna en moi parce que j'étais familière avec le mot, grâce à la pratique dans ma famille d'une cérémonie du thé inspirée par le Zen. Je ne connaissais en fait rien sur zazen, mais j'imaginais que cela devait être une sorte de prière japonaise, et je voulais essayer.
De nos jours, catholiques et bouddhistes se parlent librement par les échanges inter-religieux. Mais à cette époque, on me dit — en termes non-équivoques — que si je voulais essayer zazen, il me faudrait quitter le monastère. Ce qui me posait un dilemme majeur: même si je chérissais mes soeurs et notre vie en commun, je ressentais l'attirance vers un style de foi plus japonais. Le couvent et notre pratique étaient complètement occidentaux, sans aucun élément familier pour quelqu'un comme moi, née et élevée au Japon. En dépit de mes années au sein de l'Eglise, le couvent et le catholicisme me restaient étrangers.
Personne ne peut être authentiquement une nonne sans avoir ressenti l'appel du Christ, et ma quête pour trouver une forme japonaise du sacré m'en éloignait. Ce fut une décision très difficile, mais je quittai le couvent afin de découvrir zazen. Quand j'avais pris mes voeux, j'avais abandonné toutes mes possessions mondaines: mon argent et mes effets personnels, je les avais laissés chez mes parents, et on ne m'avait permis que d'apporter quelques sous-vêtements et effets personnels dans un sac. Là, quittant le couvent, j'ai rendu mes habits monastiques et en retour, j'ai récupéré mon sac avec un peu d'argent. Et juste comme ça, j'étais de retour dans le monde. Mais je ne connaissais personne dans ce coin. Je ne connaissais même pas la ville, vu qu'on ne m'avait jamais permis de quitter le couvent.
"Que dois-je faire" me suis-je demandé. "Où puis-je pratiquer zazen?"
j'ai hélé un taxi et j'ai demandé au chauffeur de m'emmener à un temple bouddhiste.
"Lequel?" m'a-t-il demandé.
"Je ne sais pas. Peu importe."
Il m'a menée à un grand temple qui se trouvait par chance faire partie de l'école Sôtôt. "Je viens d'un couvent catholique," dis-je au prêtre. "Je voudrais essayer zazen."
Le prêtre m'a regardé avec scepticisme. "Si vous voulez pratiquer zazen, allez à Nagoya," dit-il. "Il y a là un monastère de formation des nonnes." Il me fit voir une vidéo de la dure pratique des nonnes et leur vie austère, en s'imaginant que cela me ferait peur. Ma réaction le surprit. "Oui, c'est exactement ce qu'il me faut!" Voyant ma détermination, il me conseilla d'écrire pour demander à l'abbesse la permission d'aller à Nagoya."
Attirée par la méditation zen, Yamada fut contrainte de se décider: rester au couvent et ne jamais apprendre zazen, ou le quitter à jamais.
Photo de Shiho Fukada
Comme je ne pouvais aller directement au monastère, je suis retournée chez mes parents. Je me suis pointée à l'improviste, mais ils furent plus que ravis de me voir. Ils savaient que, si j'étais restée au couvent, ils ne m'auraient jamais revue, même quand j'étais malade ou à l'article de la mort, et pas même pour les funérailles. Telles étaient les règles. J'écrivis une lettre à l'abbesse zen, et en attendant sa réponse, je m'occupai de mes parents. Je fis la cuisine, je nettoyai, et je fis tout pour eux, tout en tentant de leur expliquer ce qui m'attirait vers l'idée de zazen.
Finalement, l'abbesse m'écrivit de venir à une sesshin de trois jours, une période de pratique intensive de zazen. Les nonnes et les laïcs s'asseyaient en zazen et faisaient kinhin (marche méditative) de quatre heures du matin à neuf heures du soir. Je fus impressionnée par le monastère si peu familier, et par ses rituels. Le premier jour, j'appris à m'asseoir en zazen, et à utliser les bols oryoki. Cinq minutes après le début de la première session, les genoux se mirent à me faire mal. Les longues séances de prière au couvent avaient discipliné mon esprit, mais mon corps n'était pas préparé à se plier à la posture du lotus. "Que vais-je faire?" me suis-je inquiétée. "Comment vais-je survivre à trois jours de cette souffrance?"
Finalement, la sesshin prit fin et j'avais survécu. Je ne connaissais rien au Zen Sôtô, mais je savais qu'au bout de ces trois jours, mon esprit était particulièrement rafraîchi. Je parlai à l'abbesse de mon expérience au couvent catholique et la raison pour laquelle je l'avais quitté pour venir à Nagoya.
"Zazen n'est pas une partie du Bouddhisme," me dit l'abbesse. "C'en est le coeur." Sentant probablement mon désir de quitter à nouveau la maison, elle me décrivit comment le Bouddha avait quitté son palais et sa famille pour entrer dans la pratique. "Pensez-vous que vous pouvez pleinement comprendre zazen, si vous n'abandonnez rien?" demanda-t-elle.
"C'est logique," lui répondis-je. "Il faudrait que je me consacre complètement à la pratique de zazen. Il faudrait que je devienne une nonne bouddhiste."
A peu de temps de mon entrée au monastère de Nagoya, cependant, je me suis rendu compte que le programme quotidien n'accordait pas beaucoup de temps à zazen. A l'exception de notre sesshin mensuelle, nous ne nous asseyions que deux fois par jour. Ce n'était pas vraiment assez pour moi.
L'essentiel de notre routine quotidienne se passait en zamu (travail). Dôgen Zenji, le fondateur du Zen Sôtô, disait que toutes nos activités quotidiennes sont zazen. Je le savais intellectuellement, mais je n'en comprenais pas le sens profond. J'accomplissais scrupuleusement mes devoir selon le programme, en pensant qu'en le faisant sans égo était une bonne pratique. Mais au bout de trois ans à Nagoya, ma frustration explosa.
"Nous devrions nous asseoir en zazen plus souvent!" me suis-je plainte à l'abbesse.
Obéir à son maître est un article fondamental pour une nonne ou un moine bouddhiste. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'exprimer mon insatisfaction: sans une pratique intensive de zazen, être au monastère me semblait pareil que la vie ordinaire. Mon maître répondit avec colère à ma plainte. Elle était (et reste) la plus célèbre nonne zen sôtô au Japon, avec plus de 40 disciples qui ont été formées à la suivre et à lui obéir. "Croyez-vous pouvoir vraiment comprendre zazen si vous n'abandonnez rien?"
"Si vous voulez tant vous asseoir en zazen, allez en Amérique!" dit-elle, cassante.
"Pourquoi?" rétorquai-je. "J'ai été ordonnée au Japon. C'est le pays de Dôgen, ici. Pourquoi faut-il que j'aille en Amérique pour faire zazen? Ça n'a pas de sens!"
Il me fallut plusieurs années avant d'avoir la réponse. Je n'avais jamais été à l'étranger, et ne parlais pas anglais. Mais mon maître m'avait dit de partir à l'étranger, aussi partis-je. Je voyageai seule jusqu'à un temple Sôtô en Pennsylvanie, dirigée par une abbesse qui avait été formée à mon monastère de Nagoya. Le Zendo de Mount Equity était un endroit très beau dans une zone parsemée de champs de maïs et de soja. La cour arrière du centre zen était une forêt et sur ses terres vivaient des chevaux, des vaches, des oiseaux, des écureuils et bien d'autres animaux. Dans le potager poussaient des patates, du maïs, des broccoli, des carrotes, des cardes, et d'autres plantes que nous cuisinions et servions aux repas.
Au Mount Equity, j'eus de nombreuses possibilités de m'asseoir en zazen. Il y avait une sesshin à tous les mois, et des gens de tous les USA y venaient. Le zazen du soir au centre attiraient des locaux trois fois par semaine. Mais le bonheur continuait à me fuir. Une claire nuit, après zazen, je suis sortie dans le jardin et j'ai regardé le ciel sombre. Je pouvais voir la lune. Je me rendis compte que des Japonais étaient en train de regarder cette même lune — et j'ai fondu en larmes. Je m'étais battue avec mon maître pour vouloir pratiquer davantage zazen, et j'étais venue en Amérique où je pouvais le pratique abondamment; mais je n'avais pas trouvé le vrai bonheur. Je me suis rendu compte que c'était mon égo. "J'aurais dû obéir à mon maître. Je fais toujours ce que je veux. Ce n'est pas la pratique bouddhiste." J'avais enfin compris que mon maître m'avait envoyé en Amérique pour affronter mon propre égo; elle m'avait jetée hors du monastère pour m'aider.
Là, me dis-je, j'étais prête à rentrer à la maison, mais je ne pouvais pas partir sur le champ. Quoique déçue, je fis de mon mieux pour continuer à apprrendre et pratiquer. Ce fut une aide que l'abbesse du Mont Equity était une enseignante sincère et compatissante qui s'était formée au Japon pendant plus de 15 ans. Elle m'avait expliqué un jour comment la Pennsylvanie et le Japon était connectés dans le Dharma: "Les Japonais pratiquent tout le jour assis en zazen. Quand ils se couchent, ici c'est l'aube, et nous prenons le relais de leur pratique en nous asseyant en zazen. Notre pratique sans fin embrasse la terre."
A la fin de mon séjour aux USA se tint une cérémonie shinsanshiki ("siège de montagne" pour la reconnaître officiellement en tant qu'abbesse zen Sôtô, et j'ai organisé la plupart de l'événemenet. Mon maître vint exprès de Nagoya, accompagnée d'environ 40 personnes, dont des nonnes et des moines. Je voulus m'excuser immédiatement et lui demander si je pouvais rentrer au Japon. Mais après la cérémonie, un prêtre japonais dirigeant un centre zen en Allemagne l'approcha. "Je vais avoir la même cérémonie, l'an prochain," dit-il. "Je voudrais inviter des prêtres japonais. Veuillez m'envoyer Yuko pour aider."
"OK!" répondit mon maître, sans rien me demander. Je fus dépitée.
Bientôt, je fus en route pour l'Allemagne, où je passai six mois à préparer la cérémonie pour l'abbé. Ce fut un succès, et après cela, je fus soulagée de savoir que mes devoirs étaient accomplis: je pouvais enfin rentrer. Mais le dirigeant du Zen Sôtô en Europe avait assisté à la cérémonie en Allemagne, et appela mon maître avant moi. "Votre disciple est ici, en Allemagne. Pourquoi ne l'enverriez-vous pas dans d'autres centres zen en Europe?"
"Excellente idée!" répondit-elle, toujours sans rien me demander. Donc, pendant une autre année, je visitai des centres zen en Italie, en Suisse, en France et en Espagne. J'ai croisé beaucoup d'étudiants sincères; m'asseoir en leur compagnie me rendit heureuse, et être en Europe était une aventure, mais je ne pouvais pas comprendre le sens profond des enseignements du Dharma en anglais et encore moins dans les autres langues européennes. Je me languissais toujours du Japon.
J'ai passé deux ans et demi en Amérique et un an en Europe avant de pouvoir enfin revenir au Japon. Il y avait désormais 20 ans que je m'étais convertie du catholicisme au Bouddhisme. Quand je rencontre des pratiquants zen, particulièrement des USA et d'Europe, ils me demandent souvent pourquoi j'ai changé de religion, et si j'étais déçue par l'Eglise catholique. J'aimais sincèrement ma vie au couvent, et ma conversion n'a rien eu à voir avec les nombreux scandales qui secouent l'Eglise.
Pourquoi donc suis-je partie pour chercher zazen? Je me suis posé cette question à ne nombreuses reprises. Je sais que je n'avais pas la vocation vers le Christ, mais au cours des ans, j'ai aussi observé des différences entre zazen et la prière catholique qui m'ont aidé à expliquer ce qui m'a attirée vers le Bouddhisme.
D'une, j'en suis venue à croire que le contraste entre les postures physiques dans la prière catholique et zazen, ont une profonde signification. En tant que catholique, je m'agenouillais pour prier tout en courbant le cou en avant, mains jointes, les yeux fermés — tous gestes de respect envers Dieu. Alors que malgré ma puissante lutte dans mes premières années de zazen pour être à l'aise dans la posture du Lotus (le fait d'être Japonaise ne me rendait pas la posture naturelle), j'en suis venue à comprendre que c'est la plateforme du Zen: pas un geste de respect — un moyen pour une fin — mais une pratique en soi. Nos vies nous font constamment dérailler, mais zazen restaure notre équilibre et nous ramène à notre droit inné à l'harmonie universelle.
Je repense aussi aux couvre-chefs restrictifs que nous portions au couvent. Les bouddhistes zen ne pratiquent pas ainsi en limitant leurs sens, car il est important d'ouvrir les yeux, les oreilles et le nez afin d'utiliser les six sens en harmonie avec l'univers. Au contraire de la prière, zazen ne nous ferme pas au monde; nous embrassons tout pour réaliser notre connexion originelle avec l'Univers et pour accepter la réalité telle qu'elle est.
Tout aussi important est le contraste entre les approches catholique et bouddhiste envers la pureté. Au couvent, nous les novices nous nous modelions sur le lys blanc. Notre comportement, notre manière de tenir nos chambres, la confession — tout était prévu pour nous délivrer du mal et nous rendre aussi sans tache que le lys. Je me rappelle mes impressions de désespoir après la confession — comment je me disais que, peu importe mes efforts, je ne pourrais jamais être pure en corps et en esprit.
Je n'ai jamais eu cette impression après m'être convertie au Bouddhisme, parce qu'on m'y a enseigné à embrasser l'imperfection plutôt que de tenter de l'éliminer. Le symbole bouddhiste est le lotus, une superbe fleur qui fleurit dans les eaux boueuses. Cette eau représente nos imperfections et la souffrance qui nous fait ce que nous sommes. Si l'environnement est trop propre, le lotus ne peut fleurir: si nous sommes en guerre avec nos imperfections, nous ne pouvons pas devenir qui nous sommes vraiment. Les bouddhistes acceptent la réalité telle qu'elle est: pure et impure mais malgré tout toujours parfaite.
En exprimant mes impressions des différences entre zazen et la prière, je ne veux pas impliquer que le catholicisme serait mauvais et le bouddhisme bon. Malgré leurs différences, je crois qu'autant la prière que zazen touchent le même profond silence qui est au coeur de toute foi. Je respecte toujours mes soeurs et mes frères catholiques. Même si je ne les vois plus, je sens que leurs constantes prières encouragent ma pratique de zazen. Comme ils ne cessent jamais de prier, je ne puis m'arrêter de pratiquer. Nous pratiquons de façons différentes, mais nous restons connectés. Où que je sois —au Japon, en Europe, en Amérique ou ailleurs — je veux fleurir comme le lotus, aider tous les êtres à embrasser et la pureté et l'impureté, et à soutenir la paix et le bonheur en ce monde. Cela, pour moi, est zazen.