A un moment donné, assez peu motivé pour l'aspect dévotionnel justement, je considérai les prosternations comme des sortes d'étirement pour la colonne vertébrale après la relative immobilité du zazen. Et pourtant, je crois me souvenir que la première fois où j'ai fait les prosternations, seul dans ma chambre (c'était il y a une dizaine d'années je pense), en plus de me sentir un peu con (je ne savais pas trop comment m'y prendre), j'ai vraiment ressenti que je faisais un effort d'humilité. J'avais l'impression de "céder", d'accepter (même si c'était "juste pour voir") de faire quelque chose qui ne viendrait pas de moi, mais de la "tradition". Ce qui pour moi était un vrai effort, car j'étais alors plutôt moderniste et anarchiste.
Cela pour dire qu'il me semble qu'il y a une sorte de langage corporel profondément ancré en nous (un peu, peut-être, comme une sorte d'universalité du langage au sein d'une espèce animale, où, pour tous les chats par exemple, telle position du corps ne veut pas seulement dire "je te menace", mais est une pure équivalence fonds-forme : je pense aux feulements, aux poils qui se hérissent, à la tension du félin qui se manifeste et qui n'est pas que langage mais action), et c'est ce que je-ne-sais-plus-du-tout-qui expliquait une fois en disant qu'en zazen, il est bien difficile d'être dans l'agression ; la posture est nécessairement une sorte d'ouverture-recueillement. Pour vraiment s'énerver en zazen, il faudrait déjà décroiser les jambes...
Maintenant, même si parfois je préfèrerai sortir du zazen et aller directement vaquer à mes occupations, je trouve un certain "plaisir" dans les prosternations, que je ne vois plus du tout comme de simples étirements.
Même si je crois que quelque part, cela fait aussi du bien au corps.
Pour rebondir sur ce que dit Yudo, je considère maintenant un peu autrement l'idée de "dévotion". Sans vérifier l'étymologie, je crois pouvoir dire que cela se rapproche, dans les racines, de ce qui donne également "dévouer". "Se dévouer à". Et je crois (mais je n'en suis pas certain) que la dévotion du Bouddhisme se base profondément sur l'idée que la forme et le sens se rejoignent. Ce qui peut être difficile à comprendre pour quelqu'un de ma génération, habitué à voir des films, à jouer à des jeux-vidéos. Je crois que l'époque moderne déconnecte un peu de cette idée qu'une forme est déjà du sens, et qu'un sens est toujours une forme. J'emploie ici le mot "sens" en tant que "signifié" (ce vers quoi pointe une forme ou un mot), et forme en tant que "signifiant"(ce qui fait l'action de pointer vers). [cette terminologie vient de la linguistique de Saussure]
A force de voir des films où l'on sait parfaitement que l'acteur joue une forme (l'expression de la peur) sans "vraiment" la ressentir, l'idée de "jeu" amène probablement à douter de l'équivalence forme-sens. Pourtant, dans une mesure moindre, il est probable que l'acteur "jouant" la peur la ressente également, la vive, d'une certaine manière, surtout s'il est un "bon" acteur.
Zazen m'a permis de redécouvrir un peu cette évidence (à moins que je me trompe) : si on prend une posture, d'une certaine manière, qui n'est pas toujours directe et instantanée, le "sens" qui s'y rattache finit par se manifester. Si donc on considère que zazen est une pratique digne d'être menée, alors on ne peut guère mépriser les prosternations, comme j'ai pu le faire assez longtemps durant ma pratique. Car c'est la même logique qui s'y exprime : "si je prends telle attitude, ce qui s'y associe naturellement se manifestera ou du moins aura plus de chances de se manifester."
Un bien long message donc pour redire autrement ce qu'a déjà dit Yudo.
Mais pour que la prosternation joue aussi ce rôle, j'imagine qu'il faut un minimum la comprendre. Je me demande donc si le fait de placer les mains autour de sa tête et de les lever signifie bien (c'est l'intention que je réveille lorsque je le fais) : soulever / porter / supporter la base même du bouddhisme pour le mettre en action.
Et pour ce qui est du nombre : trois (comme en dojos AZI de ce que j'ai pu voir) ou neuf (comme ce que "préconise" Shunryu Suzuki dans
L'esprit du débutant ) ? Est-ce que cela a vraiment une importance ?
Je crois également me souvenir d'un message où Yudo expliquait qu'il faisait à la nouvelle année ou à la naissance du Bouddha ou à la date anniversaire de son éveil (je ne sais plus) 108 prosternations. Est-ce bien cela ?