Yudo a écrit:Maître Nishijima ne voit rien d'illogique dans les kôans. Et ce que
j'en sais, pour ma part, c'est qu'ils reposent souvent sur un
symbolisme archi connu dans les pays de culture chinoise, mais que nous
ne connaissons pas. Mais difficile de faire abstraction de presque cent
ans de légendes...
On ne peut pas parler de "logique" dans les kôans sans expliquer, au préalable ce que signifie la logique, dans l'esprit de chacun. Chez nous (et en général dans tout le monde occidental), la logique est celle dite du "tiers exclu" : A est A et A est différent de non-A. Cette logique s'applique en particulier dans les systèmes dits "machines de Turing" qui équipent nos appareils de calculs (ordinateurs). Cette logique est incapable de résoudre un kôan. Comment bloquer simplement une machine de Turing ? Un exemple amusant : Des cannibales ont capturé un explorateur. Le chef cannibale est adepte de la logique du tiers exclu. Il dit à l'explorateur : "Si tu dis une phrase vraie, tu seras mangé bouilli. Si tu dis une phrase fausse, tu seras mangé cru". Que doit dire l'explorateur pour ne pas être mangé ? Réponse :"Je serais mangé cru". Peut-on dire que cette phrase est vraie ? Non, puisque alors l'explorateur serait mangé bouilli. Peut-on dire que cette phrase est fausse ? Non parce qu'alors il serait mangé cru, ce qui serait vrai. On voit donc, ici, les limites de la logique du tiers exclu.
Les chinois, mais c'est aussi vrai dans le monde oriental, utilisent généralement la logique sous forme d'un "tétralemme" qui a été rendu "célèbre" sous le nom de "tétralemme de Nagarjuna" (Nagarjuna fut considéré comme un "patriarche" zen, alors qu'il était bouddhiste indien). Ce tétralemme se décompose ainsi :
1) On ne peut dire d'une chose qu'elle est (A)
2) On ne peut dire d'une chose qu'elle n'est pas (non A)
3) On ne peut dire d'une chose qu'elle est et qu'elle n'est pas (A et non A)
4) On ne peut dire d'une chose ni qu'elle est, ni qu'elle n'est pas (ni A ni non A)
Cette logique est plus apte à "résoudre" les kôans que la logique du tiers exclu (qui en est rigoureusement incapable), mais il serait une erreur de croire qu'une réponse "logique" (dans le cadre du tétralemme) aux kôans soit nécessaire et suffisante. La réponse au kôan doit "dépasser" (= traverser) le cadre du tétralemme. Le kôan Mu, par exemple, est parfois compris comme Mu = néant = non. En réalité, il est "
ce qui reste quand il ne reste rien". En clair, ce n'est pas une négation mais, au contraire, quelque chose de très positif (il reste quelque chose : quoi ?). Une réponse au kôan est toujours une réponse affirmative, même quand il s'agit de dire non.