Kojun Kishigami Osho
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Question 1 : Tout à l’heure, nous avons fait zazen et vous avez dirigé le zazen en silence. J’aimerais savoir, à propos du kusen, si vous avez cette pratique, si vous l’avez connue de la part de Kodo Sawaki, si cette pratique est répandue au Japon ?
Kishigami Osho : Je sais que Deshimaru a souvent eu recours au kusen, presque à chaque séance de zazen. Le kusen fait partie de la tradition de l’école Soto depuis l’époque d’Edo au XVIIe siècle jusqu’à l’époque moderne. C’est presque la même chose que le teisho [conférence]. Mais quand j’étais avec Maître Sawaki pendant dix ans, à Antai-ji et ailleurs dans d’autres temples, celui-ci ne nous a jamais donné de kusen. Quand il était plus jeune, il est possible qu’il ait donné des kusen lorsqu’il s’est rendu dans d’autres temples.
Maître Sawaki avait comme principe que le but premier de zazen était de permettre à chacun d’atteindre l’état de bouddha, et pour lui, il ne fallait pas déranger les autres lors de zazen. En revanche, lors de sesshin, il lui est arrivé de donner des paroles pendant une à deux minutes pour corriger les pratiquants – pour qu’ils se tiennent droits, par exemple. Donc, ça ne correspondrait pas au kusen au sens propre du terme.
Comme illustration, lorsque j’étais en sesshin en Suède au mois de mai et que Hugues [Naas] était godo, j’ai fait un peu de bruit avec mon nez et le godo a dit « faites silence ! » [Rires.] C’est la même chose. Mais je répète que Kodo Sawaki n’a jamais donné de paroles pendant plus de cinq minutes [pendant zazen]. Et si le maître voulait donner des paroles, il fallait organiser un moment de teisho en dehors de zazen.
Le teisho est le moment où le maître explique la posture juste, ou un extrait de l’enseignement de Bouddha Shakyamuni par exemple, pour préparer les pratiquants aux meilleures conditions possibles pour faire zazen. Mais je dirai qu’on ne mélange pas les deux : teisho et zazen sont comme les deux roues du même véhicule mais on ne les mélange pas, on laisse faire zazen au moment de zazen.
Comme je n’étais pas avec Maître Deshimaru lorsqu’il était en France, j’imagine que celui-ci aurait probablement hérité d’une partie de la tradition Soto lorsqu’il a donné des kusen. Comme Deshimaru était beaucoup plus âgé que moi – il avait vingt-six ans de plus – et qu’il a commencé à pratiquer dès son jeune âge, je ne l’ai pas connu lorsqu’il était jeune. D’après ce que j’imagine, il est probable que Deshimaru plus jeune ait donné des kusen très courts et qu’il ait voulu appliquer l’expérience du kusen dans son enseignement en Europe.
J’imagine que la raison pour laquelle Taisen Deshimaru a donné des kusen est pour faciliter les Européens à mieux comprendre ce qu’est l’esprit du zen dans un temps limité.
Un livre écrit sur Taisen Deshimaru a été publié aux États-Unis. Une de mes amies, Yukako, devait lire ce livre et a reçu un exemplaire en anglais. D’après ce livre, Kodo Sawaki aurait commencé à donner des kusen et aurait prescrit cette pratique à Deshimaru. Yukako m’a demandé si c’était vrai ou non.
C’est faux, ce n’est pas Kodo Sawaki qui a commencé [à utiliser le kusen] : c’était une partie de la tradition existant dans l’école Soto mais il ne l’a pas utilisée. Il pensait qu’il valait mieux séparer les deux. Au sujet de ces deux grands maîtres, il semble qu’on ait des informations un peu confuses. Pour ce qui est de corriger la posture de chaque disciple, cela a été bien transmis en France.
Question 2 : Est-ce que vous avez vécu vous-même un temps de kusen pendant zazen, un kusen plus élaboré qu’une correction, et est-ce que ça vous gênerait ?
Osho : Lorsque je suis allé à Eihei-ji, tel ou tel godo donnait des paroles, puis le tanto [assistant enseignant], etc. Et ensuite le kyosakuman donnait le kyosaku : « pan, pan, pan !… » Je ne pouvais pas faire tranquillement zazen ! Pour moi, trop de kusen est encore plus gênant que quelqu’un qui ronfle en dormant [Rires.]. Le contenu de ces kusen est loin de l’enseignement originel du bouddhisme : ce sont juste des opinions, des commentaires personnels, comme des essais.
En ce qui concerne Taisen Deshimaru, il aurait parlé avec des contenus consistants, mais les soi-disant maîtres au Japon ne disent pas grand-chose à ma connaissance. Donc, si vous avez des idées à propager, à donner aux autres, à mon avis il faut aménager des moments de teisho pour cela. C’est mon opinion.
Q2 : L’expérience que j’ai d’un teisho et d’un kusen n’est absolument pas la même. Le kusen n’est jamais un déroulement avec une logique, des phrases qui se suivent, un développement mental.
Osho : C’est quelque chose qui rayonne sur le corps.
Q2 : Et je pense que celui qui le donne est surpris lui-même de ce qu’il dit. C’est ce que j’ai vécu avec Deshimaru, avec Philippe et… avec moi-même quelquefois.
Osho : Oui, il est possible que ça arrive.
Question 3 [Philippe Coupey, qui s’adresse à la personne qui a posé la première question] : Toi qui as posé cette question « explosive », que penses-tu des kusen ?
Q1 : Moi, j’aime beaucoup entendre les kusen – parfois, je n’aime pas, mais pendant zazen ça ne se formule pas ainsi : je me rends compte souvent, en particulier quand j’entends Philippe parler dans le dojo, que ma posture, ma respiration, mon état d’esprit se transforment pendant que j’entends le kusen.
Osho : Oui, le but du kusen est de faire revenir à l’état idéal de zazen quand on est un peu flou, endormi, fatigué ou distrait. L’effet du kusen est limité à la phase initiale de la vraie profondeur de zazen, il est efficace à juste titre pour les débutants qui ne sont pas dans la phase profonde de zazen. Mais au fur et à mesure que la nature de zazen s’approfondit, le kusen devient moins nécessaire.
Q1 : Mon expérience est que les mots utilisés, quand Philippe commente par exemple le Shinjinmei, le Fukanzazengi ou les poèmes de Daichi…
Osho : Oui, le kusen est efficace pour faire revenir à l’esprit du zen, à l’essentiel du zen à travers les poèmes par exemple. Un kusen dure combien de temps à peu près ?
Q1 : Parfois, ça dure vingt minutes. Mais avec un rythme, une phrase qui commence et qui se termine une minute plus tard, parce que ça ne s’adresse pas au cerveau réflexif : ça s’adresse à une partie du cerveau qui n’est pas en train d’argumenter.
Osho : Oui, lors de zazen, ce n’est pas quelque chose de logique mais du domaine de l’instinct. Quand on est vraiment absorbé en zazen ça prend quelques secondes pour revenir à l’état normal.
Il m’est arrivé de recevoir des appels téléphoniques lorsque je suis en train de pratiquer zazen pendant deux heures le matin ou le soir. Parfois, je réponds au téléphone à mon frère et il me dit : « Tu es en train de dormir ! – Mais non, j’étais en train de faire zazen ! » Lors de zazen on met au repos tous les systèmes sensoriels et on est vraiment absorbé au cœur de soi-même.
Q1 : C’est pourquoi je pense qu’un kusen peut venir vraiment subvertir mon propre système de valeurs et de croyance, alors que dans un teisho c’est plus difficile.
Osho : Il est possible que ça arrive, mais le Bouddha Shakyamuni n’aurait pas utilisé cette méthode. Et en ce qui concerne Maître Dogen, d’après ce que j’ai étudié, apparemment il ne l’aurait pas non plus utilisée. Dans la tradition Soto, certains pratiquants débutants en avaient besoin : c’est pourquoi cela existe.
Peut-être Taisen Deshimaru jugeait-il que le kusen était un moyen utile pour faire comprendre le zen aux Occidentaux et l’a utilisé par gentillesse : cela venait de son esprit bienveillant. Je dirai que les propos utilisés dans les kusen en France ou en Europe ont des raisons d’être, alors qu’en comparaison, au Japon c’est n’importe quoi. Mis à part les disciples de Kodo Sawaki, les autres maîtres n’ont pas hérité du zen authentique, du vrai zen. [Rires.]
Lors d’une sesshin, quand il y a des débutants, des gens viennent pour la première fois, on doit expliquer pendant un quart d’heure. Mais entre des confrères déjà expérimentés, au début on prend du thé ensemble pour calmer l’agitation des transports ou de la conduite, mais ensuite on peut faire zazen tranquillement, on n’a plus besoin de paroles pour les gens qui ont approfondi.
Donc ça dépend des circonstances. Mon but n’est pas de juger que c’est bien ou pas bien, vu de l’extérieur, de dire qu’il faut abandonner les kusen, mais simplement qu’il faut agir selon les besoins.
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Question 1 : Tout à l’heure, nous avons fait zazen et vous avez dirigé le zazen en silence. J’aimerais savoir, à propos du kusen, si vous avez cette pratique, si vous l’avez connue de la part de Kodo Sawaki, si cette pratique est répandue au Japon ?
Kishigami Osho : Je sais que Deshimaru a souvent eu recours au kusen, presque à chaque séance de zazen. Le kusen fait partie de la tradition de l’école Soto depuis l’époque d’Edo au XVIIe siècle jusqu’à l’époque moderne. C’est presque la même chose que le teisho [conférence]. Mais quand j’étais avec Maître Sawaki pendant dix ans, à Antai-ji et ailleurs dans d’autres temples, celui-ci ne nous a jamais donné de kusen. Quand il était plus jeune, il est possible qu’il ait donné des kusen lorsqu’il s’est rendu dans d’autres temples.
Maître Sawaki avait comme principe que le but premier de zazen était de permettre à chacun d’atteindre l’état de bouddha, et pour lui, il ne fallait pas déranger les autres lors de zazen. En revanche, lors de sesshin, il lui est arrivé de donner des paroles pendant une à deux minutes pour corriger les pratiquants – pour qu’ils se tiennent droits, par exemple. Donc, ça ne correspondrait pas au kusen au sens propre du terme.
Comme illustration, lorsque j’étais en sesshin en Suède au mois de mai et que Hugues [Naas] était godo, j’ai fait un peu de bruit avec mon nez et le godo a dit « faites silence ! » [Rires.] C’est la même chose. Mais je répète que Kodo Sawaki n’a jamais donné de paroles pendant plus de cinq minutes [pendant zazen]. Et si le maître voulait donner des paroles, il fallait organiser un moment de teisho en dehors de zazen.
Le teisho est le moment où le maître explique la posture juste, ou un extrait de l’enseignement de Bouddha Shakyamuni par exemple, pour préparer les pratiquants aux meilleures conditions possibles pour faire zazen. Mais je dirai qu’on ne mélange pas les deux : teisho et zazen sont comme les deux roues du même véhicule mais on ne les mélange pas, on laisse faire zazen au moment de zazen.
Comme je n’étais pas avec Maître Deshimaru lorsqu’il était en France, j’imagine que celui-ci aurait probablement hérité d’une partie de la tradition Soto lorsqu’il a donné des kusen. Comme Deshimaru était beaucoup plus âgé que moi – il avait vingt-six ans de plus – et qu’il a commencé à pratiquer dès son jeune âge, je ne l’ai pas connu lorsqu’il était jeune. D’après ce que j’imagine, il est probable que Deshimaru plus jeune ait donné des kusen très courts et qu’il ait voulu appliquer l’expérience du kusen dans son enseignement en Europe.
J’imagine que la raison pour laquelle Taisen Deshimaru a donné des kusen est pour faciliter les Européens à mieux comprendre ce qu’est l’esprit du zen dans un temps limité.
Un livre écrit sur Taisen Deshimaru a été publié aux États-Unis. Une de mes amies, Yukako, devait lire ce livre et a reçu un exemplaire en anglais. D’après ce livre, Kodo Sawaki aurait commencé à donner des kusen et aurait prescrit cette pratique à Deshimaru. Yukako m’a demandé si c’était vrai ou non.
C’est faux, ce n’est pas Kodo Sawaki qui a commencé [à utiliser le kusen] : c’était une partie de la tradition existant dans l’école Soto mais il ne l’a pas utilisée. Il pensait qu’il valait mieux séparer les deux. Au sujet de ces deux grands maîtres, il semble qu’on ait des informations un peu confuses. Pour ce qui est de corriger la posture de chaque disciple, cela a été bien transmis en France.
Question 2 : Est-ce que vous avez vécu vous-même un temps de kusen pendant zazen, un kusen plus élaboré qu’une correction, et est-ce que ça vous gênerait ?
Osho : Lorsque je suis allé à Eihei-ji, tel ou tel godo donnait des paroles, puis le tanto [assistant enseignant], etc. Et ensuite le kyosakuman donnait le kyosaku : « pan, pan, pan !… » Je ne pouvais pas faire tranquillement zazen ! Pour moi, trop de kusen est encore plus gênant que quelqu’un qui ronfle en dormant [Rires.]. Le contenu de ces kusen est loin de l’enseignement originel du bouddhisme : ce sont juste des opinions, des commentaires personnels, comme des essais.
En ce qui concerne Taisen Deshimaru, il aurait parlé avec des contenus consistants, mais les soi-disant maîtres au Japon ne disent pas grand-chose à ma connaissance. Donc, si vous avez des idées à propager, à donner aux autres, à mon avis il faut aménager des moments de teisho pour cela. C’est mon opinion.
Q2 : L’expérience que j’ai d’un teisho et d’un kusen n’est absolument pas la même. Le kusen n’est jamais un déroulement avec une logique, des phrases qui se suivent, un développement mental.
Osho : C’est quelque chose qui rayonne sur le corps.
Q2 : Et je pense que celui qui le donne est surpris lui-même de ce qu’il dit. C’est ce que j’ai vécu avec Deshimaru, avec Philippe et… avec moi-même quelquefois.
Osho : Oui, il est possible que ça arrive.
Question 3 [Philippe Coupey, qui s’adresse à la personne qui a posé la première question] : Toi qui as posé cette question « explosive », que penses-tu des kusen ?
Q1 : Moi, j’aime beaucoup entendre les kusen – parfois, je n’aime pas, mais pendant zazen ça ne se formule pas ainsi : je me rends compte souvent, en particulier quand j’entends Philippe parler dans le dojo, que ma posture, ma respiration, mon état d’esprit se transforment pendant que j’entends le kusen.
Osho : Oui, le but du kusen est de faire revenir à l’état idéal de zazen quand on est un peu flou, endormi, fatigué ou distrait. L’effet du kusen est limité à la phase initiale de la vraie profondeur de zazen, il est efficace à juste titre pour les débutants qui ne sont pas dans la phase profonde de zazen. Mais au fur et à mesure que la nature de zazen s’approfondit, le kusen devient moins nécessaire.
Q1 : Mon expérience est que les mots utilisés, quand Philippe commente par exemple le Shinjinmei, le Fukanzazengi ou les poèmes de Daichi…
Osho : Oui, le kusen est efficace pour faire revenir à l’esprit du zen, à l’essentiel du zen à travers les poèmes par exemple. Un kusen dure combien de temps à peu près ?
Q1 : Parfois, ça dure vingt minutes. Mais avec un rythme, une phrase qui commence et qui se termine une minute plus tard, parce que ça ne s’adresse pas au cerveau réflexif : ça s’adresse à une partie du cerveau qui n’est pas en train d’argumenter.
Osho : Oui, lors de zazen, ce n’est pas quelque chose de logique mais du domaine de l’instinct. Quand on est vraiment absorbé en zazen ça prend quelques secondes pour revenir à l’état normal.
Il m’est arrivé de recevoir des appels téléphoniques lorsque je suis en train de pratiquer zazen pendant deux heures le matin ou le soir. Parfois, je réponds au téléphone à mon frère et il me dit : « Tu es en train de dormir ! – Mais non, j’étais en train de faire zazen ! » Lors de zazen on met au repos tous les systèmes sensoriels et on est vraiment absorbé au cœur de soi-même.
Q1 : C’est pourquoi je pense qu’un kusen peut venir vraiment subvertir mon propre système de valeurs et de croyance, alors que dans un teisho c’est plus difficile.
Osho : Il est possible que ça arrive, mais le Bouddha Shakyamuni n’aurait pas utilisé cette méthode. Et en ce qui concerne Maître Dogen, d’après ce que j’ai étudié, apparemment il ne l’aurait pas non plus utilisée. Dans la tradition Soto, certains pratiquants débutants en avaient besoin : c’est pourquoi cela existe.
Peut-être Taisen Deshimaru jugeait-il que le kusen était un moyen utile pour faire comprendre le zen aux Occidentaux et l’a utilisé par gentillesse : cela venait de son esprit bienveillant. Je dirai que les propos utilisés dans les kusen en France ou en Europe ont des raisons d’être, alors qu’en comparaison, au Japon c’est n’importe quoi. Mis à part les disciples de Kodo Sawaki, les autres maîtres n’ont pas hérité du zen authentique, du vrai zen. [Rires.]
Lors d’une sesshin, quand il y a des débutants, des gens viennent pour la première fois, on doit expliquer pendant un quart d’heure. Mais entre des confrères déjà expérimentés, au début on prend du thé ensemble pour calmer l’agitation des transports ou de la conduite, mais ensuite on peut faire zazen tranquillement, on n’a plus besoin de paroles pour les gens qui ont approfondi.
Donc ça dépend des circonstances. Mon but n’est pas de juger que c’est bien ou pas bien, vu de l’extérieur, de dire qu’il faut abandonner les kusen, mais simplement qu’il faut agir selon les besoins.