DE LA "NÉCESSITÉ" DES CÉRÉMONIES.
Chacun pourra se faire sa propre opinion. La lecture de ce texte donne le pointe de vue de Yuno Rech (celui de l'AZI), mais ce n'est pas "parole d'évangile"...)
S'asseoir en Zazen est en soi une cérémonie. Chanter les trois phrases du "chant du Kesa", est ce que font les moines (le matin). Le hannya shingyo pour les grandes occasions. Pour le reste c'est à chacun d'apprécier...
Teisho de Yuno Rech
Pour commencer sur la nécessité des cérémonies ou de la récitation des sutras, je voudrais dire que ma position est exactement la même que celle de Nyojo, rapportée par Dõgen dans le Hokyoki, lorsque, interrogé par Dõgen, Nyojo lui dit : « l’essence du zen c’est la pratique de zazen, corps et esprit totalement dépouillés, shin jin datsu raku ».
Et Nyojo ajoute : « il n’est pas nécessaire d’offrir de l’encens, de rendre hommage à Shakyamuni Bouddha, aux patriarches, etc…, ou de réciter le nembutsu (qui était en vogue à l’époque de Dõgen et de Nyojo: ‘Namu Amida Butsu’ que l’on répétait comme un mantra). Il n’est pas nécessaire non plus de faire pénitence ou de se repentir, pas nécessaire de lire les sutra ou les réciter. Seulement s’asseoir en zazen, d’un seul esprit : shikantaza. »
Dans la suite du mondo, Dõgen demande : « mais que veut dire shin jin datsu raku ? ».
Alors Nyojo insiste en disant : « shin jin datsu raku c’est zazen : quand vous faites zazen d’un seul esprit, c’est-à-dire totalement concentrés, absorbés dans la pratique de zazen, vous êtes libérés des cinq désirs et vous éliminez les cinq obstacles. »
C’est-à-dire que vous êtes véritablement éveillés, libérés.
Ceci est le sens même de l’enseignement de Bouddha, de l’enseignement transmis : se libérer des causes de la souffrance et ainsi être capable de s’éveiller à la réalité telle qu’elle est. C’est clairement l’essence du zen qui a été transmis de Nyojo à Dõgen, de Dõgen à tous les maîtres de la transmission jusqu’à Kodo Sawaki, Maître Deshimaru et nous-mêmes.
Je crois que nous n’avons aucun doute là-dessus. En tout cas, pas moi.
Donc, de ce point de vue là, on peut dire que, zazen étant l’essence, on pourrait se contenter de faire seulement zazen : il n’y a aucune nécessité de faire des cérémonies, ni même d’étudier, de chanter ou de réciter des sutras.
Pour continuer dans cette direction, je vais me référer à un mondo célèbre entre un moine et Maître Gensha.
Le moine avait demandé à Gensha : « Est-ce que les Trois Véhicules – le premier étant le Véhicule des auditeurs, des shravaka, ceux qui s’éveillent à travers l’étude des Quatre Nobles Vérités ; le deuxième étant celui des pratyeka bouddha, les éveillés solitaires, qui généralement s’éveillent par la compréhension de la vacuité, à travers la compréhension des Douze Innen, des Douze Causes Interdépendantes ; le troisième Véhicule étant celui des bodhisattva dont la pratique fondamentale et la source d’éveil est la pratique des paramita – donc, est-ce que ces Trois véhicules, demande le moine, et les Douze Sortes d’Ecritures – car tous les enseignements du Bouddha ont été répertoriés, cela a abouti à un classement des sutra et des Ecritures en douze catégories, Douze Sortes d’Ecritures – alors est-ce que tout ça, est-ce que c’est non nécessaire ? Et qu’en est-il du sens de la venue de Bodhidharma de l’Ouest ? »
Et Gensha confirme : « Les Trois Véhicules et les Douze sortes d’Ecritures ne sont pas nécessaires. »
Autrement dit, l’étude des sutras et de tous les enseignements de Bouddha n’est pas nécessaire.
La dernière question du moine s’explique par le fait que, depuis longtemps, il y a l’opinion, notamment dans l’école zen et surtout le zen Rinzai, que la venue de Bodhidharma d’Inde en Chine a introduit une signification du Dharma plus profonde que les différents aspects de l’enseignement de Bouddha présentés par les Trois véhicules et les Douze Sortes d’Ecritures, qui incluent tous les sutra.
On a dit cela également de la transmission spéciale de Bouddha à Mahakashyapa, en dehors des Ecritures, avec le célèbre mondo silencieux où Bouddha fit simplement tourner une fleur entre ses doigts et où Mahakashyapa sourit.
Dans la transmission du zen, ce fait est considéré comme l’origine de ce que l’on appelle la transmission i shin den shin, transmission directe au-delà des mots, au-delà des sutra, de cœur à cœur, d’esprit à esprit.
Et la venue de Bodhidharma en Chine, environ un millénaire après cette transmission de Bouddha à Mahakashyapa, était le renouvellement de cette transmission i shin den shin et confirmait la supériorité de cette transmission au-delà des Ecritures, en silence. Dans le cas de Bodhidharma bien sûr, la transmission s’est faite à travers la pratique silencieuse de zazen, face au mur, et Eka l’a reçu simplement prosterné en sanpai, comme Mahakashyapa avait simplement souri en voyant le geste de faire tourner la fleur.
DES CÉRÉMONIES NON NÉCESSAIRES … MAIS UTILES ET COMPLÉMENTAIRES.
Il y a donc cette opinion que si l’on comprend le sens de cette transmission i shin den shin, tout le reste n’est plus nécessaire. On peut même d’ailleurs se demander si le zazen est encore nécessaire. Et Dogen, qui aborde cette question, confirme le point de vue de Gensha en disant qu’effectivement, quand la roue du Dharma tourne, c’est la rotation de ce qui n’est pas nécessaire.
Mais en même temps, dans cette rotation de la roue du Dharma, on trouve tous les enseignements de Bouddha. Et Dogen insiste sur le fait que « pas nécessaire » ne veut pas dire qu’on ne peut pas les utiliser, cela ne veut pas dire que pour autant on doive les jeter. A l’inverse, on peut dire que justement, c’est parce que ce n’est pas nécessaire, qu’on peut les utiliser librement. L’essence même du Dharma de Bouddha, est de réaliser cette dimension où rien n’est nécessaire, c’est-à-dire la dimension mushotoku, la dimension dans laquelle on n’a pas besoin d’ajouter quelque chose à la réalité telle qu’elle s’actualise d’instant en instant, notamment dans la pratique du zazen.
Ce n’est pas parce que ce n’est pas nécessaire qu’on ne va pas faire de rituels. Cette non-nécessité nous donne la liberté de faire seulement zazen et rien d’autre. Mais cela ne veut pas dire qu’on va faire zazen toute la journée et rien d’autre ; ça ne veut pas dire qu’il ne soit pas utile ou significatif d’exprimer ce qui est réalisé dans la pratique de zazen, à travers notamment les cérémonies, comme aussi à travers tous les gestes de la vie quotidienne, le gyoji, et de retrouver l’expression de ce qui est réalisé en zazen dans les sutra et dans tous les enseignements des Douze Ecritures.
Autrement dit, les cérémonies, les sutra, sont des formes d’expression de ce qui est contenu, impliqué, dans la pratique de zazen, dans la réalisation de zazen. C’est Dotoku, l’expression de la Voie. Réaliser c’est une chose, exprimer c’en est une autre. Et les deux sont, je ne dirais pas nécessaires, mais complémentaires.
Justement dans le Dotoku du Shobogenzo, Dogen dit : « Quand la Voie est réalisée elle s’exprime spontanément. »
Et elle peut s’exprimer évidemment, non seulement dans les cérémonies mais dans toute la manière d’agir dans la vie quotidienne. Alors, dans ce cas-là, à quoi bon les cérémonies en elles-mêmes ?
Je crois que les cérémonies ne sont pas nécessaires mais utiles, dès lors qu’il y a une communauté de pratiquants de la Voie qui se réunit. Elles aident à harmoniser la communauté : on se retrouve périodiquement ensemble pour chanter, réciter les sutra. A travers cette récitation, on apprend à chanter pas seulement avec la bouche mais avec les oreilles ; donc à écouter, s’harmoniser avec les autres. De plus, le sens de tout ce que nous chantons est complètement relié à la pratique de zazen : l’Hannya shingyo, le Sandokai, sont complètement l’expression de l’essence même de l’expérience de zazen. Je ne reviendrai pas là-dessus : il faudrait plusieurs sesshin de kusen, qui ont déjà été faits, pour l’expliquer.
Dans ce cas-là, les rituels peuvent être utiles. Mais ils peuvent être une cause de confusion s’ils occupent trop de place, prennent trop d’importance dans le gyoji ; ou s’ils viennent remplacer pratiquement le zazen comme ça arrive parfois dans certains temples japonais. On réduit considérablement la durée du zazen, pour avoir plus de temps pour les rituels, ou alors par exemple, on fait des cérémonies pour les laïcs, qui font des fuse pour cela, et on réserve la pratique de zazen aux moines.
C’est ce genre de déviations qui peut complètement fausser à la fois le sens des cérémonies et le sens de ce qui est véritablement l’essentiel du zen.
Alors qu’en est-il du sens des cérémonies ? Et notamment du fait que l’on récite plusieurs choses durant une cérémonie.
C’est justement parce qu’en fréquentant les maîtres japonais, en faisant des sesshin au Japon ou en faisant l’ango ici, on comprend de mieux en mieux le sens du rituel, qu’on est amené périodiquement à faire de petits changements pour essayer d’être plus juste dans ce que l’on fait.
Il faut dire aussi, pour mieux comprendre le contexte, que Maître Deshimaru, quand il est venu en Europe en 1967, n’avait été ordonné moine que depuis une année. Il avait une longue pratique de zazen mais comme laïc ; il faisait des sesshin avec Maître Kodo Sawaki mais il n’avait pas une grande expérience de la vie dans les temples. Donc il a créé… En plus il n’avait surtout pas l’intention d’introduire un zen ritualisé parce qu’il pensait que ce n’était pas du tout adapté à la mentalité européenne – je pense qu’il avait raison, donc il a commencé très simplement ; d’abord il récitait l’Hannya shingyo, puis après il a rajouté les Quatre Vœux du Bodhisattva etc.
A la fin, au moment où il est mort, on chantait essentiellement trois fois l’Hannya shingyo et ensuite les Quatre Vœux du Bodhisattva, l’Eko et le Ji Ho San Shi.
Un premier changement a été introduit après sa mort car on se disait : après tout, on n’est pas obligé de chanter tout le temps l’Hannya shingyo trois fois ; il y a d’autres sutra qu’on peut chanter, qui sont très significatifs dans notre tradition. Et on a rajouté le Sandokai et alternativement l’Hokyozanmai, ainsi que le Daishin darani. Puis, au lieu de chanter un Eko relativement abrégé dans lequel on résume la lignée, on a ajouté le fait de chanter toute la lignée de Bouddha Shakyamuni jusqu’à Keizan, puis Kodo Sawaki, Maître Deshimaru et dans ma Sangha, Niwa Renpo Zenji.
Cela a été le premier changement. Le but n’était pas de rallonger les cérémonies mais de varier un peu, au lieu de chanter tout le temps la même chose. Et pendant longtemps, dans les sesshin, on chantait en plus de l’Hannya shingyo, tantôt le Sandokai, tantôt l’Hokyozanmai, tantôt le Daishin darani. On s’est même mis à chanter le Kannon gyo, toujours alternativement. Et alternativement également, les Patriarches.
Un autre aspect vient de ce que chacun de ces sutra est dédié à des êtres particuliers. Cela est l’occasion d’approfondir un peu plus le sens du rituel.
Les rituels dans le zen ne sont pas faits pour obtenir des mérites et ils ne sont pas nécessaires. On les fait vraiment avec un esprit mushotoku, on n’attend pas d’obtenir quoi que ce soit quand on les fait, mais on y exprime trois choses au moins, parfois plus.
La première chose que l’on exprime, à travers l’Hannya shingyo c’est véritablement la dimension profonde de l’éveil de zazen, la sagesse. Le sutra de l’Hannya shingyo est l’expression de la sagesse et donc de la compassion telle qu’elle se manifeste quand on pratique profondément le zazen.
On exprime également au cours de la cérémonie un autre sentiment important qui est la gratitude, c’est-à-dire remerciement, reconnaissance à Bouddha pour avoir ouvert la Voie de la pratique que nous poursuivons en faisant zazen.
Dans les temples au Japon où il y a une succession de sutra chantés le matin, il y a un eko après chaque sutra, parce que chaque sutra est destiné à exprimer la gratitude ou un autre sentiment vis-à-vis de certaines personnes.
L’Hannya shingyo est destiné à Bouddha ainsi qu’aux fondateurs. Ce matin on se posait la question de savoir qui étaient les grands, les quatre bienfaiteurs. Comme on le voit dans les eko abrégés, ces bienfaiteurs sont : Bouddha, Bodhidharma, Dogen et Keizan. Ce sont généralement les quatre grands fondateurs auxquels on pense, vis-à-vis desquels on exprime notre gratitude en chantant l’Hannya shingyo.
Ensuite on exprime notre gratitude à l’égard de toute la lignée des Patriarches, et on chante pour cela tantôt l’Hokyozanmai tantôt le Sandokai. Pour ce qui nous concerne, généralement on s’arrête là. Pour beaucoup c’est déjà un peu trop ! Donc on ne va pas en rajouter.
Mais au Japon traditionnellement on chante un troisième sutra qui est destiné aux parents, aux familles et aux ancêtres. Il exprime là encore une fois la gratitude vis-à-vis des parents, de la famille, des ancêtres. Si nos ancêtres n’avaient pas vécu et ne nous avaient pas transmis la vie, on ne serait pas là en train de pratiquer la Voie. Donc naturellement après zazen, on remercie nos parents de nous avoir permis, en nous donnant la vie, de pratiquer la Voie.
Et puis, il y a une quatrième catégorie de personnes à qui l’on dédie éventuellement un sutra, par exemple le Daishin darani, ce sont les malades, parfois sous la forme de kito, et aussi les morts. Dans ce cas-là ce n’est plus la gratitude qu’on exprime vis-à-vis des malades ou des morts mais la compassion.
Ainsi sont donc exprimées dans la cérémonie trois grands sentiments ou valeurs spirituelles : l’actualisation de la sagesse, la compassion et la gratitude.
Mais pourquoi les cérémonies changent-elles ? Parce qu’on en comprend mieux la signification, tout simplement. Et non, en ce qui me concerne, parce qu’il faut en mettre de plus en plus et les rallonger. Mais je pense qu’il faut les faire de la manière la plus juste possible et perfectionner le sens et la cohérence de ce que nous faisons par rapport au sens que ça a.
Pour les gens qui s’offusquent du fait que ça change souvent, ou même tout le temps, je voudrais quand même insister sur le fait que fondamentalement la Voie de Bouddha est la Voie de mujo, de l’impermanence. C’est la Voie qui nous apprend à nous harmoniser avec l’impermanence, à réaliser un esprit souple, doux, qui ne se sclérose pas, qui ne se cristallise pas sur des acquis ou des choses que l’on croit maîtriser, sur lesquelles on veut s’appuyer définitivement.
Évidemment c’est agaçant quand on se dit « Je croyais bien connaître comment faire la clochette ; et il y a un changement et il va falloir encore réapprendre ». Je conçois très bien que ça fatigue, ça énerve même. Il ne faut donc pas exagérer non plus dans ce sens-là.
Mais il faut quand même comprendre que, accepter qu’il y ait du changement, ça fait partie aussi de la pratique et de l’éveil.
QUE FAIRE CONCRÈTEMENT DANS NOS DOJOS ?
Maintenant abordons les questions beaucoup plus concrètes : vous venez à la Gendronnière et vous espérez en repartir en ayant des bases claires pour ce que vous allez pratiquer dans les dojos. C’est normal : c’est un peu le temple mère ici, où on vient se former, s’informer.
Chaque godo, chaque sangha a probablement sa façon de voir les choses mais pour ce qui me concerne, je pense que la pratique à la Gendronnière se rapproche de plus en plus d’une pratique de temple. C’est donc le lieu où l’on peut prendre connaissance et faire l’expérience de la façon dont on pratique le rituel dans un temple. Mais dans les dojos qui sont en ville, le matin, on n’a pas beaucoup de temps pour le zazen, on ne peut pas se permettre de rajouter des tas de rituels. Ce n’est pas nécessaire.
En plus de ça, la plupart des gens qui viennent au zen, y viennent parce qu’ils ont été déçus par leur religion d’origine qu’ils trouvent généralement trop ritualisée, comme par exemple, le catholicisme. On vient au zen parce que l’on trouve que c’est dépouillé, c’est l’essentiel, seulement s’asseoir, seulement méditer. On ne vient pas là pour passer énormément de temps à faire des rituels, même si je crois qu’en faire un minimum est bien.
Si vous jugez que c’est plus important de faire un long zazen le matin, puis de sonner la cloche et de partir, ou de faire sanpai et de s’en aller, c’est possible. Il n’y a aucune obligation de faire un rituel.
De même, si vous créez un groupe qui est nouveau, avec plein de débutants que vous ne voulez pas embêter avec les cérémonies : à la fin du zazen, un coup de cloche, c’est terminé. Ca suffit, pas de nécessité d’en faire plus.
Mais d’une manière générale, pour les dojo bien établis avec une sangha où il y a déjà des moines et des nonnes, on peut chanter, par exemple comme on fait à Nice ou en sesshin le week-end, le Sutra du kesa, l’Hannya shingyo puis alternativement, suivant le temps qu’on a, soit le Sandokai, soit l’Hokyozanmai, soit les Patriarches, suivi par l’Eko,qui doit correspondre à ce qu’on a chanté, et par le Ji Ho San Shi. Si l’on est pressé, on peut faire comme à l’époque de Maître Deshimaru au dojo de Paris où on chantait simplement un Hannya shingyo, les Quatre Vœux, le Shigu Sei, l’Eko et le Ji Ho San Shi.
Encore une fois, si l’on est vraiment très pressé, on peut ne rien faire du tout ! Pas de problème. C’est la base. Si vous comprenez qu’il n’y a aucune nécessité, alors vous pouvez pratiquer librement et considérer les cérémonies comme un moyen parmi d’autres d’exprimer la réalisation du zazen, c’est-à-dire la gratitude, la compassion, la sagesse, la capacité d’être attentif et de s’harmoniser avec les autres. Tout cela s’exprime tout aussi bien dans le samu, dans les actes de la vie quotidienne, les repas pris ensemble, le respect qu’on doit aux autres dans la vie quotidienne, dans les lieux publics, les toilettes, le bar, les chambres etc.
En fait l’univers entier est un lieu où peut s’exprimer la réalisation de la Voie : ce n’est pas limité à un petit rituel qui se passe dans un dojo, qui est un espace restreint et coupé du reste du monde.
Il en va de même avec les sutras. On a parlé des Douze Sortes d’Ecritures : tous les sutra ne se limitent absolument pas aux écritures et aux paroles de Bouddha. En fait, tous les phénomènes sont des sutra. Les herbes, les arbres, le lac, le soleil, la lune, les étoiles, les phénomènes de la vie quotidienne, les repas, le travail : tout ça ce sont des sutras. Ils sont l’actualisation de l’ultime vérité.
Et si, à travers la pratique de zazen, on s’ouvre à l’intuition de cette réalité, on la retrouve partout.
Et « partout » devient sutra et l’occasion d’exprimer l’éveil de zazen, par-delà les rituels formalisés qui se passent dans un dojo.
Voilà ce que je voulais vous dire.
QUESTIONS
Comme c’est un sujet un peu « vif », s’il y a maintenant deux, trois questions, je veux bien répondre, si c’est rapide…
Q1 : Ce qui me gêne en fait dans les cérémonies, c’est la question de la langue.
R : Effectivement, on nous reproche fréquemment de chanter en chinois, en japonais. C’est justifié. Mais il y a deux raisons pour lesquelles on maintient les chants en chinois ou en japonais.
La première, c’est que notre Sangha est internationale. Ici, il y a des anglais, des allemands, des italiens, des flamands, des espagnols…, si on se mettait à chanter en français, de toute façon il y a des gens qui ne pourraient pas chanter avec nous, ils ne connaissent pas la langue. On peut dire que le vieux chinois c’est un peu notre latin, la langue universelle mais je n’exclus pas du tout que dans les dojos, vous essayiez de vous mettre à réciter les sutras en français. Le problème c’est d’arriver à trouver la musicalité, le rythme. Il y a des gens qui ont travaillé là-dessus, ce n’est pas évident mais ça peut se faire. Il y a une idée intéressante que j’ai déjà appliquée : au lieu de chanter deux sutra n’en chanter qu’un mais lire sa traduction avant de le chanter. Je vous rappelle que les traductions de tout ce qu’on chante sont disponibles.
En plus, au moment où l’on chante on n’a pas le temps de réfléchir, ce n’est pas le temps de la réflexion mais le temps de l’expression. C’est plus important à ce moment là d’être dans l’harmonie avec les autres, de chanter avec le hara, d’être dans l’expiration, et pour ça les syllabes, les monosyllabes des sutras, ‘kan/ ji/ zai…’ par exemple dans l’Hannya shingyo, se prêtent bien à scander et à chanter avec le hara, beaucoup mieux que la langue française ou anglaise.
Ce sont les raisons pour lesquelles on continue toujours de chanter en chinois.
Q 2: Tu as dit tout à l’heure que Maître Deshimaru ne voulait pas introduire les cérémonies, beaucoup de cérémonies, parce qu’il avait peur qu’il y ait un zen de dualité.
R : Oui, en tout les cas un zen dans lequel on s’attache aux cérémonies à tel point qu’on leur donne autant d’importance, sinon plus, qu’au zazen. C’est cela le zen ritualisé.
-Alors maintenant, pourquoi il n’y aurait pas cette peur-là, cette peur de s’attacher justement aux formes ?
- Cette peur est utile : la peur n’est pas qu’une émotion négative, la peur est une émotion qui nous prévient du danger. Donc c’est bien d’avoir peur, d’avoir peur de se tromper, d’avoir peur de tomber dans des formes de perversion, ça nous garde l’esprit en alerte.
Teisho de Yuno Rech à la Gendronnière le Mercredi 27 août 2008