Si ces maîtres ancestraux se manifestaient ensemble et s'adressaient à des centaines de milliers de disciples, ils diraient, ainsi que maintenant, "Vous avez eu ma peau." Les centaines de milliers d'expressions seront la peau, la chair, les os et la moelle, mais les spectateurs les considéreront avec excitation mais sans raison comme étant des expressions à propos de la peau, de la chair, des os et de la moelle. S'il y avait eu six ou sept disciples dans l'assemblée du maître ancestral, il aurait pu dire "Tu as eu mon esprit," il aurait pu dire "Tu as eu mon corps," il aurait pu dire "Tu as eu mon état de bouddha," il aurait pu dire "Tu as eu mes yeux" et il aurait pu dire "Tu as eu mon expérience réelle." En ce qui concerne "tu," il y a des moments où c'est le Patriarche, et d'autres où c'est Eka. Nous devons aussi explorer en détails la vérité sur "avoir eu." Rappelez-vous, il y a des cas de "Tu m'as eu" et des cas de "Je t'ai eu." Il y a des cas où "avoir toi," c'est "moi." Si, tout en recherchant le corps-et-esprit du maître ancestral, nous disons que l'intérieur et l'extérieur ne peuvent être un, ou que le corps tout entier ne peut pas être le corps parfaitement réalisé, nous ne sommes pas dans la véritable terre des patriarches bouddhistes. Avoir la peau, c'est aussi avoir les os, la chair et la moelle ; avoir les os, la chair et la moelle c'est aussi avoir la peau, la chair et la contenance. Comment cet état pourrait-il n'être que la claire compréhension de ce que "L'Univers tout entier dans les dix directions est le corps tout entier" ? (17) C'est absolument la peau, la chair, les os et la moelle eux-mêmes. C'est pour quoi c'est obtenir ma robe et c'est Tu as eu le Dharma. Sur ces bases, même prononcer des mots, c'est des cas individuels du surgissement dans lequel le maître et le disciple font l'expérience du même état. Et même l'action d'écouter est des cas individuels du surgissement dans lequel le maître et le disciple font l'expérience du même état. L'examen du même état par le maître et le disciple est l'emmêlement (18) des patriarches bouddhistes. L'état emmêlé des patriarches bouddhistes est le sang vital de leur peau, leur chair, leurs os, et leur moelle. Le fait de cueillir une fleur et de cligner de l'oeil sont l'emmêlement lui-même, et un visage qui se met à sourire est la peau, la chair, les os et la moelle eux-mêmes. Nous devons examiner plus avant encore. Dans la semence de l'emmêlement existe le potentiel ici et maintenant de mettre à nu la substance et c'est en vertu de cela qu'il y a des tiges, des feuilles, des fleurs et des fruits qui s'enroulent dans l'emmêlé ; car ces [tiges, feuilles, fleurs et fruits réels] sont au delà de la complication et de la non-complication. Les patriarches bouddhistes sont réalisés et l'Univers est réalisé.
[99] Le grand maître Shinsai de Joshu (19) prêche à l'assemblée "Mahâkâshyapa donna la transmission à Ânanda. Dites donc, à qui donc Bodhidharma donna-t-il sa transmission ?".
Un moine demande alors: "Qu'en est-il du Second Patriarche qui obtint la moelle?"
Le maître dit: "N'insultez pas le Second Patriarche!"(20)
A une autre occasion, le maître dit : "Selon ce que dit Bodhidharma, qui est en dehors obtient la peau et qui est dedans obtient les os. Dites donc, qu'obtient qui est encore plus loin dedans ?"
Un moine demande : "Qu'est-ce que cela signifie avoir la moelle ?"
Le maître dit : "Ne tenez compte que de la peau ! Ce vieux moine ici et maintenant n'évoque même pas le sujet de la moelle."
Le moine demande : "Mais qu'est-ce que la moelle ?"
Le maître dit : "Si vous êtes comme ça, vous ne pourrez même pas tenter d'attraper la peau."
[100] Rappelez-vous donc que, lorsqu'on ne peut pas tenter d'attraper la peau, on ne peut pas tenter d'attraper la moelle, et lorsque la tentative attrape la peau, elle attrape aussi la moelle. Il nous faut considérer la vérité d'être ainsi, incapables de tenter d'attraper même la peau. Lorsque [le moine] demande, "Qu'est-ce que cela signifie avoir la moelle ?", l'expression "Ne tenez compte que de la peau ! Ce vieux moine ici et maintenant n'évoque même pas le sujet de la moelle." est réalisée. Dans 'Ne tenir compte que de la peau,' 'Ne pas évoquer le sujet de la moelle' est le véritable sens de 'avoir la moelle'. Sur ces bases, la question "Qu'en est-il du Second Patriarche qui obtint la moelle?" a été réalisée. Lorsqu'on réfléchit exactement (21) le moment où Mahâkâshyapa donne la transmission à Ânanda, Ânanda cache son corps dans Mahâkâshyapa et Mahâkâshyapa cache son corps dans Ânanda. En même temps, au moment de leur rencontre au sein de la transmission, ils ne sont pas au delà de la sphère des actions concrètes qui change la contenance et changent la peau, la chair, les os et la moelle. Sur ces bases, [Joshu] prêche "Dites donc, à Quelle personne donc Bodhidharma donna-t-il sa transmission ?"(22) Lorsque Bodhidharma donne la transmission, il est Bodhidharma, et lorsque le Second Patriarche obtient la moelle, il est Bodhidharma. A partir de l'examen de cette vérité, le Bouddha-Dharma est resté jusqu'à ce jour le Bouddha-Dharma. S'il en était autrement, le Bouddha-Dharma ne pourrait atteindre le moment présent. En entreprenant tranquillement de maîtriser ce principe, nous devrions l'exprimer nous-mêmes et faire en sorte que les autres l'expriment eux-aussi.
[102] "Qui est en dehors obtient la peau et qui est dedans obtient les os. Dites donc, qu'obtient qui est encore plus loin dedans ?" Le sens de cet en dehors exprimé maintenant, et de cet en dedans exprimé maintenant, doit être extrêmement simple et direct. Lorsqu'on discute en dehors, la peau, la chair, les os et la moelle ont chacun un dehors ; lorsqu'on discute en dedans, la peau, la chair, les os et la moelle ont chacun un dedans. Cela étant, les quatre Bodhidharmas ont chacun maîtrisé, cas par cas, l'état ascendant de centaines, de milliers, et de dizaines de milliers de peaux, de chairs, d'os et de moelles. Ne croyez pas qu'il puisse ne pas avoir d'état ascendant vers la moelle ; il y a d'autres ultérieurs états concrets d'ascendance, de trois à cinq. Ce que l'éternel bouddha Joshu vient de prêcher à l'assemblée est la vérité du Bouddha. Elle va au delà d'autres tels que Rinzaï, Tokuzan, Dai-i et Unmon ; ces derniers n'en ont jamais rêvé ; combien moins encore pourraient-ils l'exprimer ? Les vieux vétérans des temps récents sur lesquels on ne peut se fier n'en connaissent même pas l'existence, et si on leur disait, ils pourraient s'étonner et prendre peur.
[103] Le maître zen Seccho Myôkaku (23) dit : "Les deux 'Shu', Jo[shu] et Boku[shu](24), sont d'éternels bouddhas."(25) Les paroles du bouddha éternel sont donc preuve du Bouddha-Dharma et sont une expression passé du Soi. Le Grand Maître Seppo Shinkaku (26) dit : "L'éternel bouddha Joshu !". Un patriarche bouddhiste du passé (27) en a fait l'éloge avec cette expression d' éternel bouddha et un patriarche bouddhiste plus récent(28) en a également fait l'éloge avec cette même expression d' éternel bouddha. Il est clair qu'en ce qui est ascendant vers le passé et le présent, [Joshu] est un bouddha éternel transcendant. Bref, la vérité que la peau, la chair, les os et la moelle sont entremêlés est la référence pour l'état de vous m'avez eu que prêchent les bouddhas éternels. Il nous faut entreprendre de maîtriser ce critère.
[105] Qui plus est, il en est qui disent que le Premier Patriarche est retourné vers l'Ouest, mais nous apprenons que ceci est erroné. Ce que vit Sô-un (29) pourrait bien ne pas avoir été réel. Comment Sô-un aurait-il pu voir le départ et l'arrivée du maître ancestral ? L'étude véritable est juste d'apprendre qu'après le décès du maître ancestral, [ses cendres] furent déposées sur le mont Yuji.(30)
Shôbôgenzô Katto
Prêché à l'assemblée au temple Kannon-dôri-kosho-horin-ji, dans le discrict d'Uji de Yoshu15, le 7° jour du 7° mois lunaire de la 1re année de Kangen.16
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Notes:
(17): Allusion aux paroles du maître Chosa Keishin. Voir chap. 50, Shoho-jisso.
(18): 葛藤 (KATTO), ou "le compliqué," comme dans le titre du chapitre
(19): Maître Joshu Jushin (778-897), successeur du maître Nansen Fugan. Grand maître Shinsai est son titre posthume.
(20): Kosonshuku-goroku, chap. 13.
(21): 当観 (TOKAN). (TÔ) signifie être exact, en particulier en rapport avec le temps, et 観 (KAN) signifie réfléchir (comme dans un miroir). Cette phrase est discutée au chap. 22, Bussho, note 19.
(22): 什麼の人 (SHIMO no HITO) signifie 1) Quelle personne ? Et 2) une personne dont on ne peut exprimer l'état en mots.
(23): Maître Seccho Juken (980-1052), successeur du maître Chimon Kôso. Il fut honoré du titre Maître zen Myôkaku de son vivant. Voir, par exemple au chapitre 19, Shin fukatoku.
(24): Maître Bokushu Dômyô (780?-877?), successeur de maître Obaku Ki-un. Voir par exemple, chapitre 30 Gyôji, parag. [170].
(25): Tiré du Myôkaku-zenji-goroku, vol. 1.
(26): Maître Seppo Gison (822-907). La même citation est discutée au chapitre 44, Kobusshin.
(27): Maître Seppo.
(28): Maître Seccho.
(29): Le moine Sô-un fut envoyé par édit impérial en Inde en 518 et rentra trois ans plus tard avec des sûtras et des commentaires mahâyâna. Le Keitoku-dento-rokudit que trois ans après la mort de Bodhidharma, alors que Sô-un rentrait en Chine par la route de la soie, il y rencontra Bodhidharma.
(30): Montagne en Chine où fut érigé le stupa de maître Bodhidharma.
(31): Ce qui correspond à l'actuelle préfecture de Kyôto.
(32): 1243.