La réincarnation est un thème récurrent dans le bouddhisme tibétain. La difficulté est de comprendre qui ou quoi se réincarne. Le Dalaï Lama, par exemple, est considéré comme la (ré)incarnation du bodhisattva Tchenrézi (Avalokiteshvara). C'est également le cas du Karmapa et, d'une façon générale, de tous les grands lamas. Le préfixe "ré" (de réincarnation) est nécessaire en ce sens qu'un homme étant mortel (alors que le principe du bodhisattva ne l'est pas), il faut bien que la transmission puisse se faire d'un individu (voire plusieurs) à un autre (voire plusieurs).
Mais le bouddhisme ne dit pas qu'un "égo" transmigre. Autrement dit, l'actuel Dalaï Lama a son propre égo et le suivant (ou le précédent) en avait un autre. Il est bien évident, pour s'en rendre compte, que l'actuel Karmapa, bien que lui aussi réincarnation de Tchenrezi est un homme différent (qui vit une histoire différente) du Dalaï Lama. Un égo est, en quelque sorte, une construction mentale faite des briques de l'expérience consolidées par la sensation d'individualité. Chacun a sa propre expérience et se sent exister comme une individualité à part, généralement au "centre" de l'univers. La difficulté, pour un bouddhiste, est de comprendre comment s'enracine cette sensation d'invidualité dans l'expérience au point de nous faire croire que nous avons une existence propre, séparée du reste du monde. L'expérience de cette limite, qui est aussi l'expérience de l'égo, est considéré comme étant le karma, "notre" karma. Faire tourner la roue du karma, c'est, pour un bouddhiste, faire en sorte que les successions de naissances et de morts soient vécues indéfiniment, et cela tout le temps que l'on ne réalise pas notre "bouddhéité", c'est à dire, notre vraie nature, non sujète à la naissance et à la mort.
Il ne s'agit donc pas, dans le principe de réincarnation, de s'imaginer qu'un jour nous pourrions renaître en chien ou en cheval ou en je ne sais quoi. Le chien, le cheval... tout cela est du karma. Il n'existe pas de nature propre "chien", "cheval", "moi", "toi"... et si une telle chose n'existe pas, une telle chose ne peut pas se réincarner. En revanche, le mal se réincarne, le bien se réincarne, l'amour, la haine, l'ignorance... tout ça se réincarne, c'est à dire s'incarne dans toute individualité à différents degrés. Et bien sûr, le principe bodhisattva également (et heureusement pour nous car nous n'aurions plus rien qui ait un rapport plus ou moins étroit avec le bouddhisme). Il est bien évident que le bodhisattva peut prendre l'aspect d'un animal, d'un texte, d'une musique, d'un paysage... Ce n'est pas nécessairement un homme (au sens karmique). Quand quelqu'un, qui n'est pas bouddhiste, qui peut être "con comme un balai", vous fait découvrir à son insu une chose en relation avec le bouddhisme au point de vous éclairer, ce quelqu'un, ce "con", est le bodhisattva. Pour la petite histoire, le second patriarche du bouddhisme tibétain (bonnets jaunes) Naropa se prosternait devant tout ce qui bougeait (hommes, animaux...), pensant y trouver son maître Tilopa.
Enfin, il n'y a pas lieu non plus de s'émerveiller devant le fait qu'un jeune individu puisse reconnaître deux ou trois objets (sur une trentaine d'autres) ayant appartenus à un lama défunt. C'est en effet nettement plus "probable" que de gagner au loto. Mais bon, c'est quand même un point positif.