Comme vous le savez sans doute, ce sont l'Avidité, l'Aversion et l'Ignorance.
Mine de rien, ces trois là recouvrent un paquet de trucs.
Déjà, pour l'aversion, ce qui m'y a incité est l'article suivant tiré de Marianne, no 897, du 27 juin au 3 juillet 2014. Cet article de Sébastien Lapaque est une recension d'un livre du sociologue britannique Zygmunt Bauman, qui y dénonce le mythe de la croissanc économique et l'ivresse de la consommation.
("Les riches font-ils le bonheur de tous?" de Zygmunt Bauman, traduit de l'angalis par Christophe Jaquet, Armand Colin, 124 p., 12,50€)
Dans son article, il cite un extrait du livre où Bauman écrit:
Lapaque en dit qu'il "dénonce tour à tour le mythe de la croissance économique, l'ivresse de la consommation, la prétendue "naturalité" de l'inégalité sociale, la perte du sens et de la signification des choses, la réification de l'humain (...) Partant, la disparition des loyautés mutuelles, de l'aide réciproque, de la coopération désintéressée et de l'amitié gratuite. C'est clair, fort et stimulant".Il n'y a rien de bon dans la cupidité. Rien de bon pour personne. Cela devrait être connu, compris et accepté de la plupart d'entre nous, les praticiens de l'art de vivre dans un monde dérégulé, individualisé, obsédé de croissance, de consommation, de compétition et de chacun pour soi.
Je ne puis que concorder totalement avec ces paroles, d'autant qu'elles viennent rappeler ces fameuses "quatre vertus du bodhisattva" de Dôgen dont j'avais déjà parlé ailleurs.
Un des aspects intéressants de cette "trilogie" des Trois Poisons, c'est aussi à quel point ils se retrouvent dans le troisième d'entre eux. Déjà que l'Aversion n'est que le double négatif de l'Avidité. Mais, en fin de compte, l'Ignorance, c'est toujours celle de comprendre que tout est lié. Qu'on ne peut faire quelque chose sans que cette chose ait une influence sur notre vie. Croire qu'on peut "s'en tirer" n'est qu'une illusion de plus. Un correspondant me faisait remarquer qu'on dit dans le Sud-Ouest quelque chose que je dis moi-même souvent (sans avoir su qu'on en avait fait une expression): On ne peut pas caguer partout et s'étonner de marcher dedans...
Et c'est ainsi que c'est à cette Ignorance qu'il faut rattacher notre fameuse affaire de "l'ego". Comme je l'ai souvent mentionné, il est inadmissible de faire aux autres des observations sur leur "ego" qu'ils auraient trop fort, ou qu'il faudrait éliminer.
Déjà que, dans le Dharmapada, le Bouddha est réputé dire (no 157) "Si l'on sait que le moi est cher (à soi-même), l'on doit bien protéger le moi. Pendant chacune des trois veilles, le sage (pandito) doit rester vigilant." [attânañ ce piyam jaññâ, rakkheya nam surakkhitam, tinnam aññatarain yâmam patijaggeyya pandito].
Ce n'est que par le biais de cette totale interdépendance de tous les êtres que ce discours sur l'ego peut commencer à ressembler à celui auquel nous sommes habitués. En effet, le comportement égoïste ne peut exister qu'en fonction de l'ignorance, ignorance de ce qu'on ne pourra pas se montrer avide envers quoi ou qui que ce soit sans en payer un moment ou l'autre, d'une manière ou l'autre, le prix. Et il en va de même de l'aversion, pour les mêmes raisons.
Paradoxalement, donc, le comportement égoïste est contraire aux intérêts du moi!