Les paroles sont un peu énigmatiques, sauf en ce qui concerne la vision du karma des auteurs: « voilà ce qui va t’arriver si tu nous cherches ». Quant au clip, il met en scène un homme traqué en rase campagne par une automobile : ne pouvant apparemment échapper au véhicule, à bout de souffle il finit par laisser tomber une allumette dont la flamme suit une flaque d’essence et remonte jusqu’à la voiture qui s’embrase.
Est-ce vraiment anodin ? Des centaines de millions de personnes -ce qui n’est pas rien-, auront entendu maintes fois ces paroles et vu ce clip, associant au karma une connotation punitive implacable, et puis c’est tout.
De fait, si le mot est passé dans le langage courant en Occident, il ne revêt généralement pas d’autre signification que celle d'un vague « destin », ou une loi de causalité assez rigide et basique.
Pour beaucoup ça ne signifie rien, et ils peuvent tranquillement considérer que le karma est au psychique ce que les yeux bridés sont au physique : ça ne les concerne pas, c’est un truc d’asiatiques.
Taisen Deshimaru ne pensait pas que le bouddhisme est « un truc d’asiatiques », et il a transmis en Europe le zen, la voie du Bouddha. En 1977, il a consacré 4 sessions de camp d’été à traiter de manière approfondie la question du karma, avec une grande finesse, en établissant des parallèles pertinents avec les références occidentales, et avec toujours une grande puissance d’évocation. Son disciple Philippe Coupey, qui était chargé de la prise de note, a rédigé un livre en se basant sur ces enseignements. Le livre est d’abord sorti aux Etats-Unis à la fin des années 70, puis en France en 1984 sous le titre « la Voix de la Vallée ». La dernière réimpression date de 1994, il y a 22 ans, et le livre est depuis longtemps épuisé.
Or ce livre ressort aujourd’hui lundi 9 mai 2016 sous la forme d'une réédition très enrichie, avec pour titre ZEN ET KARMA (éd. de L'Eveil, 240 pages, 19€).
Dans le cadre de cette réédition qui a été conduite par Philippe Coupey, le texte d'origine a été entièrement corrigé, y compris en reprenant la version anglaise originale de 1979. La disposition du texte a été revue pour faciliter la lecture, le livre a été enrichi de nombreuses illustrations inédites, et de nombreuses notes de bas de pages. Le livre comporte désormais également un index, un glossaire entièrement revu, des annexes, une version modernisée de l'arbre de la transmission, et d'autres choses encore (calligraphies restaurées de Maître Deshimaru, préface de Yoko Orimo, réflexion sur le karma par Philippe Coupey...).
Cet ouvrage traite de manière très remarquable les rapports entre karma et destin, la question de la transmission du karma (après la mort, par les liens du sang…), l’importance de l’interdépendance liée au karma, les effets manifestés ou non-manifestés du karma, le place de la morale, et la question de la liberté.
Par ailleurs, c’est aussi l’occasion de retrouver les fondamentaux de l’enseignement de Maître Deshimaru, à propos d’hishiryo, mushotoku, l’importance de la pratique continue, l’irrigation de la vie quotidienne par la pratique, le cheminement de la conscience…
Voici quelques extraits :
D’après Homère, si le destin nous rend visite, peu importe notre bravoure ou notre sagesse, nous n’y échapperons pas.
Une telle conception a donné naissance à ce que l’on appelle le fatalisme – la volonté divine gouverne tout. Aussi en Occident atil été important de trouver le moyen de se libérer de cette attitude fataliste et déterministe. Les doctrines théologiques, philosophiques et psychologiques traitent de ces questions, et pourtant les penseurs européens ne sont pas parvenus à expliquer comment on peut échapper aux notions de destin et de fatalité. Parce qu’ils n’abordent pas ce problème assez profondément, ils ne trouvent pas de méthode pour le résoudre. Comment échapper à notre destin misérable ? À notre mauvais karma ? Ils n’offrent aucune réponse réelle à ces questions. Ils ne disposent même pas d’une méthode pour se comprendre eux-mêmes.
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La loi de la causalité traite des relations entre causes et effets. Les gens, grâce à leur bon sens, à un usage rationnel de leur conscience, croient qu’il existe une relation entre cause et effet, et c’est ainsi qu’ils comprennent le karma. Ils font erreur. Karma et causalité ne sont pas identiques. Notre vie n’est pas régie simplement par la causalité – en tant que relation entre une cause et ses effets.
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On ne peut nier l’existence éternelle du corps physique, ni celle de la conscience spirituelle. Mais, inversement, on ne peut non plus à l’heure de la mort poser avec certitude la vie éternelle. De même on ne peut affirmer que l’âme survit à la disparition du corps. En revanche, il est possible de soutenir qu’après la mort les éléments du corps demeurent dans le cosmos – car c’est un fait – et qu’il en est de même pour la conscience. On peut donc dire que cette conscience, qui n’est pas une entité, une âme, est précisément le karma spirituel.
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Dans notre système social il y a des lois morales et des lois sociales. Il arrive qu’un honnête travailleur soit licencié et qu’une crapule accède aux cimes du pouvoir. L’homme juste est brimé. Le mauvais est récompensé, et le bon, puni. Pourquoi ? Les lois sociales sont limitées et ne peuvent résoudre de tels problèmes. La philosophie s’avère tout aussi impuissante à cet égard, à la différence de la religion, car il s’agit de problèmes karmiques. Le karma ne peut être détourné à leur avantage par les opportunistes.
Et voici une citation de Philippe Coupey, extraite de sa postface :
Grâce à notre pratique, on emmène son karma, on change son karma, on change sa vie, on change son comportement petit à petit, invisiblement. On desserre les liens de la loi du karma.
Par notre pratique, on n’est pas prisonnier de son karma, on ne suit pas son karma, c’est notre karma qui nous suit. Il est derrière, et on est libre de changer par rapport à ce qui est notre passé. Si on va dans une direction, le karma nous suit dans cette direction.
Et vous, quels sont les textes qui vous ont aidé à comprendre le karma ? Un membre du forum a signalé dans une conversation liée, l’existence d’un livre de Mohan Wijayaratna, intitulé « au-delà de la mort ».