Alors je viens de trouver par hasard un texte de Roland Rech sur un mondo de septembre 2016 sur la relation maître - disciple.
"Question 2 – C’est une question sur la relation maître-disciple. Comment peut-on suivre un maître, alors que dans le même temps on dit dans le zen que l’on doit être sans objet, c’est-à-dire sans attachement ?
Réponse:
RYR – C’est une question importante, parce qu’effectivement on insiste là-dessus : suivre un maître. Pourquoi insiste-t-on là-dessus ? Parce que si on ne suit pas un maître, on risque de suivre son ego. Et l’ego est un mauvais maître en général, parce qu’il est le résultat de tout notre karma, nos conditionnements, donc ça veut dire qu’on va suivre ses préférences ; on va éviter les pratiques qui nous dérangent, on va éviter de se remettre en question, etc. Donc l’ego n’est pas très bon guide. On dit de suivre un maître, parce que le maître voit le disciple parfois mieux que le disciple ne peut se voir lui-même. Parce que soi-même on a souvent ten-dance à se jouer la comédie : on s’aveugle soi-même, on aime bien se prendre pour ce qu’on n’est pas, on aime bien refouler des aspects de nous qui ne nous plaisent pas, les mettre dans l’ombre, etc. Donc le maître dans ce sens peut devenir un miroir plus objectif que l’esprit du disciple. En ce sens, c’est une relation utile.
Une autre utilité de la relation maître-disciple est que le maître a généralement plus d’expérience que le disciple : il a été confirmé déjà par un maître dans sa fonction, ce qui veut dire qu’il a été jugé apte à guider d’autres disciples. Donc par son expérience – c’est comme un guide de montagne, je vois le maître comme un guide – c’est quelqu’un qui connaît un peu mieux le chemin et le cheminement que les disciples. Il peut leur éviter des embûches, des pièges, il peut attirer leur attention sur quoi il serait bon de se concentrer pour avancer sur la voie. Mais le problème est que nous sommes tous des êtres humains avec leur affectivité – pas seulement de la sagesse et de l’intelligence –, donc on a aussi tendance à s’attacher. On s’attache aussi parfois pour de mauvaises raisons : on peut être attaché dans une relation rela-tivement désintéressée, mais l’attachement peut être aussi un peu névrotique. C’est-à-dire qu’on attend une reconnaissance ou une récompense, et du coup ça fausse complètement la relation. Par exemple on peut être dans une relation de séduction vis-à-vis de son maître, on peut cacher ce qu’on ne veut pas qu’il voit au lieu de se montrer tel que l’on est. Alors si c’est un bon maître, il ne devrait pas se laisser piéger par ce genre d’attitude. Mais ce n’est pas tou-jours le cas. Et aussi, ce qui se passe souvent – on le remarque dans la sangha qu’on connaît, la sangha de l’AZI – c’est que les disciples cherchent un maître pour être confirmés dans la bonne voie. Et si le maître commence à les critiquer en leur disant « là, ça ne va plus, ce que tu fais n’est pas juste », certains en tous cas se disent : « Il ne me comprend pas, ce n’est pas vraiment un bon maître pour moi, je vais changer. » Et on voit des gens qui vont d’un maître à l’autre. Tant que le maître leur confirme « c’est bien, tu es sur la voie », pas de problème. Le jour où il se fâche (« là ça ne va pas du tout, il faut changer cette attitude, c’est faux ! »), parfois le disciple se révolte. S’il se révolte ça peut être bien, parce que le combat entre maître et dis-ciple fait partie de la relation – ce que maître Dōgen appelait katto. Les conflits entre maître et disciple, une discussion forte, pourquoi pas ? ça permet de creuser parfois les choses. Mais le pire est que très souvent ce n’est pas ainsi que ça se passe, le disciple se dit : on ne me com-prend pas, il faut que je me choisisse un vrai maître, parce que celui-ci ne peut pas être un bon maître, il ne me comprend pas. Et on voit des disciples qui passent de maître en maître, c’est un scénario connu maintenant depuis quarante-cinq ou cinquante ans que la sangha existe. Donc je pense que la bonne réponse pas rapport à cela, c’est d’abord d’être très attentif à ne pas créer des relations trop affectives : c’est normal d’aimer son maître, que le maître aime son disciple, mais il ne faut pas tomber dans une sorte d’attachement, attachement dans une attente de reconnaissance, affective ou autre. Il faut vraiment être dans une relation où le dis-ciple attend du maître qu’il le guide sur la voie, et le maître attend du disciple qu’il s’éveille, qu’il pratique. Mais qu’il n’attende pas par exemple du disciple d’être confirmé dans son rôle de maître. Il y a des gens qui aiment être entourés de disciples parce que ça les rassure : « Du moment que j’ai des disciples (et j’en ai en plus beaucoup), c’est que je suis vraiment un maître, et en plus un bon maître… » Alors il y a des pièges narcissiques et égotiques dans ce genre de relation, il faut être vigilant.
Mais pour autant il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : ce n’est pas parce qu’il y a des tas de pièges dans la relation de maître à disciple, des tas d’attachements qui peuvent se créer, qui peuvent fausser la relation ; ces attachements et ces pièges doivent être des occasions de se demander pourquoi on s’est fait piéger et d’essayer d’approfondir. Pour le maître, dans la relation, c’est aussi une occasion d’apprendre, parce qu’on fait aussi des erreurs. Le maître est supposé avoir généralement plus de sagesse que le disciple, mais ce n’est pas toujours le cas : parfois un maître apprend de son disciple aussi. Il faut avoir cette ouverture, être capable de part et d’autre de se remettre en question. En fait il ne faut pas suivre un maître, il faut suivre la voie que montre le maître. C’est-à-dire que je suis en chemin, et quand je donne un enseignement, je le donne pour vous, et pour moi aussi. C’est quelque chose que je veux suivre, mais je ne suis pas forcément complètement dans la réalisa-tion de ce que je j’enseigne, et je le reconnais, je ne me prends pas pour un super Bouddha. Donc je donne un enseignement que j’ai reçu, que je considère valable, dont j’ai testé la valeur, que je suis, que je réalise parfois et que parfois je ne réalise pas. Et il faut aussi avoir l’honnêteté de le reconnaître. Donc finalement, maître et disciple, on chemine ensemble, et on suit la même direction. Par exemple le Bouddha Shakyamuni lui-même a dit qu’il n’avait pas découvert ou inventé la voie qu’il enseignait, c’est la voie qu’il avait reçue des Bouddhas du passé, et il a dit : « J’ai suivi le chemin parcouru par tous les anciens bouddhas », lui-même a eu dans les vies antérieures des maîtres. Il disait à ses disciples : « Vous ne devez pas me croire, vous devez tester mon enseignement. » Donc vous ne devez pas être dans une relation de confiance naïve. Vous devez avoir confiance évidemment dans l’enseignement du maître – si on n’a pas confiance on est perdu – mais il faut vérifier que, dans le cas de tel enseignement, cette confiance est justifiée. Et comment ? Pas en mettant en doute l’enseignement du maître mais en le pratiquant et en voyant ce que ça donne, en testant par soi-même qu’il est valable. Donc c’est tout un travail, la relation de maître à disciples, mais ça ne devrait pas être une re-lation trop dans l’affectivité et trop dans les attentes de reconnaissance. Parce que là, ça fausse tout.
Il ne faut pas non plus avoir peur, parce qu’il y a des gens qui ont peur de s’engager dans une relation de maître à disciple. Soit parce qu’ils ont peur – parfois c’est le karma passé – que le maître abuse d’eux, soit trop autoritaire, leur demande de faire des choses qu’ils n’ont pas envie de faire, peur de s’engager, de s’embarquer (« On ne sait pas où ça va nous mener, cette histoire »). Mais pour autant, je crois qu’il faut faire l’expérience. Et si c’est un bon maître, le maître ne retient pas le disciple, il ne cherche pas à le capturer, à exercer de l’emprise sur lui. Le vrai rôle d’un maître – en tout cas c’est ce que j’essaie de faire – est d’aider les disciples à se libérer, se libérer de leurs propres attachements, y compris leur attachement à moi-même. Devenir autonomes. Le but de l’enseignement du Bouddha est de rendre les êtres libres. Le dernier piège est d’être attaché au maître, justement. Même d’être attaché au dharma. En même temps il faut nuancer un peu, parce qu’une certaine dose d’attachement est nécessaire. C’est pareil, nous parlions de relation parents-enfant hier : si les parents ne sont pas attachés à leurs enfants, les pauvres enfants ne vont pas aller loin… Il faut quand même qu’il y ait un attachement, qui fait qu’on protège, qu’on éduque, qu’on investisse du temps à s’occuper de la personne dont on a la responsabilité. Donc il faut une certaine dose d’attachement pour ça, mais il ne faut pas que l’attachement soit trop important. Ça mérite toujours de faire le point, de réfléchir et de voir où on en est, et de ne pas hésiter d’ailleurs à parler de la relation de maître à disciple. Et surtout, si vraiment on a envie de quitter un maître, il faut d’abord aller le voir. Je vois parfois des gens qui changent de maître, ils ne vont même pas aller voir le godo qu’ils quittent, ils ne vont même pas lui dire pourquoi ils s’en vont – ce qui serait une bonne chose pour lui, au moins il pourrait comprendre pourquoi il a fait une erreur… – ils changent. Moi je n’accepterais pas que quelqu’un vienne me voir en ayant changé de maître, sans être allé s’expliquer avec son précédent maître."