Vraiment des textes très intéressants, merci beaucoup ! Le rapport au désir notamment est important. On reproche souvent au bouddhisme une chose qu'on a pu reproché à énormément de sagesses différentes : celle de se transformer en pierre froide. C'est par exemple ce que Calliclès reproche à Socrate :
- Extrait du Gorgias, source : https://fr.wikisource.org/wiki/Gorgias_%28trad._Cousin%29 ):
"CALLICLÈS.
J’ai déjà dit que ce sont les hommes habiles dans les affaires politiques, et courageux : c’est à eux qu’appartient le gouvernement des états, et il est juste qu’ils aient plus que les autres, ceux qui commandent plus que ceux qui obéissent.
SOCRATE.
Et relativement à quoi ? est-ce relativement à eux-mêmes, mon cher ami ? ou relativement à quoi est-ce qu’ils commandent ou obéissent ?
CALLICLÈS.
Que veux-tu dire ?
SOCRATE.
Je dis que chaque individu commande à soi-même. Est-ce qu’il ne faut pas qu’on commande à soi-même, mais seulement aux autres ?
CALLICLÈS.
Qu’entends-tu par commander à soi-même ?
SOCRATE.
Rien d’extraordinaire, mais ce que tout le monde entend ; savoir, être tempérant, maître de soi-même, et commander aux passions et désirs qui sont en nous.
CALLICLÈS.
Que tu es charmant ! tu nous parles d’imbécilles sous le nom de tempérans. Qui ne le sent ?
SOCRATE.
Il n’est personne, au contraire, qui ne comprenne que ce n’est pas là ce que je veux dire.
CALLICLÈS.
C’est cela même, Socrate. Comment, en effet, un homme serait-il heureux, s’il est asservi à quoi que ce soit ? Mais je vais te dire avec toute liberté ce que c’est que le beau et le juste dans l’ordre de la nature. Pour mener une vie heureuse, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, et ne point les réprimer ; et lorsqu’elles sont ainsi parvenues à leur comble, il faut être en état de les satisfaire par son courage et son habileté, et de remplir chaque désir à mesure qu’il naît. C’est ce que la plupart des hommes ne sauraient faire, à ce que je pense ; et de là vient qu’ils condamnent ceux qui en viennent à bout, cachant par honte leur propre impuissance. Ils disent donc que l’intempérance est une chose laide, comme je l’ai remarqué plus haut, ils enchaînent ceux qui ont une meilleure nature, et, ne pouvant fournir à leurs passions de quoi les contenter, ils font, par pure lâcheté, l’éloge de la tempérance et de la justice. Et, dans le vrai, pour ceux qui ont eu le bonheur de naître d’une famille de rois, ou que la nature a faits capables de devenir chefs, tyrans ou rois, y aurait-il rien de plus honteux et de plus dommageable que la tempérance ? Tandis qu’ils peuvent jouir de tous les biens de la vie, sans que personne les en empêche, ils se donneraient eux-mêmes pour maîtres les lois, les discours et la censure du vulgaire ? Comment cette beauté prétendue de la justice et de la tempérance ne les rendrait-elle pas malheureux, puisqu'elle leur ôterait la liberté de donner plus à leurs amis qu’à leurs ennemis, et cela tout souverains qu’ils sont dans leur propre ville ? Telle est, Socrate, la vérité des choses, que tu cherches, dis-tu. La volupté, l’intempérance, la licence, pourvu qu’elles aient des garanties, voilà la vertu et la félicité. Toutes ces autres belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que des extravagances humaines, auxquelles il ne faut avoir nul égard.
SOCRATE.
Tu viens, Calliclès, d’exposer ton sentiment avec beaucoup de courage et de liberté : tu t’expliques nettement sur des choses que les autres pensent, il est vrai, mais qu’ils n’osent pas dire. Je te conjure donc de ne te relâcher en aucune manière, afin que nous voyions clairement quel genre de vie il faut embrasser. Et dis-moi, tu soutiens que, pour être tel qu’on doit être, il ne faut point gourmander ses passions, mais leur lâcher la bride, et se ménager d’ailleurs de quoi les satisfaire ; et qu’en cela consiste la vertu.
CALLICLÈS.
Oui, je le soutiens.
SOCRATE.
Cela posé, on a donc grand tort de dire que ceux qui n’ont besoin de rien sont heureux.
CALLICLÈS.
À ce compte, il n’y aurait rien de plus heureux que les pierres et les cadavres."