Brad Warner a écrit:Donc, même avec l'idée de karma, le Bouddhisme ne s'occupe pas du Problème du Mal. Mais attention, ici. L'idée que le bien et le mal n'existent pas vraiment peut créer des problèmes si on ne la comprend pas clairement. Regardez cette lettre que j'ai reçue d'un lecteur de mon premier livre :
« En étudiant le Zen, j'en suis venu à ressentir l'unité sous toutes ses formes, la vie et la mort sont également parfaites, le bien et le mal sont également parfaits, tout est un. Comme le mal et le bien sont également importants et parfaits, pourquoi ne montrons-nous que l'amour et la compassion en tout, et pourquoi pas la haine et la méchanceté envers tout? Peut-on être un individu éveillé tout en étant un assassin et un violeur de nonnes? Ces pensées me font un peu peur parce que ce sont celles qu'on les cinglés fous et assassins ».
Certes, de telles idées sont ce que croient les cinglés. Les croire est la définition même du fait d'être cinglé. Juste avoir des idées est une autre paire de manches. Les mauvaises idées, ça va, tant qu'on ne se met pas à les croire. Reconnaître que de telles idées sont folles et ne pas les croire est une chose exceptionnellement saine.
Il existe une tendance à croire que le Bouddhisme est affaire de quitter ce monde de distinctions pour un endroit imaginaire nébuleux et mal défini où tout se vaut. Mais en fait, l'idée que tout est un et l'idée que tout est séparé sont également importants. La réalité comprend les deux. Ce qu'il faut, c'est un équilibre des deux vues, et ça, c'est difficile à trouver.
Adopter le point de vue bouddhique ne veut pas dire se retrouver tout béat et dire que tout est un. Il faut des distinctions. Il faut connaître la différence entre son cul et un trou dans le sol, entre les Chips Hostess et les étrons de chiens, entre votre petit copain et celui de votre soeur. Les distinctions sont très importantes.
Contrairement à la croyance populaire, l'affaire du Bouddhisme n'est pas de se débarrasser de toutes distinctions. C'est de voir les distinctions pour ce qu'elles sont réellement. Ce qui ne veut pas dire qu'on les jette au vent et qu'on se met à manger des étrons de chien au lieu des chips. Comme j'ai dit, il faut faire attention! Dôgen s'occupe beaucoup de cette différence réelle par opposition aux fausses différences, et nous reverrons cela plus tard dans ce livre.
Juste parce qu'il n'y a aucune substance éternelle et absolument immuable que nous puissions appeler le Mal n'implique pas que le bien et le mal n'existent pas. L'action correcte, c'est faire ce qu'il faut faire juste ici et juste maintenant. L'action erronée, c'est faire ce qui n'est pas à faire. Connaître la différence requiert un équilibre mental et physique. Pour être plus équilibré, il faut... à ce stade, vous savez ce que je vais dire, je crois.1
Je soupçonne qu'une grande partie, sinon tout, du « mal » qui se fait dans le monde l'est à titre de test, en tant que façon pour le « malfaisant » de tenter de se prouver qu'il ou elle est réellement séparé(e) du reste de la création. Si vous piquez votre petite soeur avec une épingle, elle crie et vous riez. Elle ressent de la douleur et vous, du plaisir. Ce qui prouve que vous êtes tous deux éternellement séparés. Du moins, c'est ce que vous croyez. Mais la loi de l'Univers ne laisse jamais une action se produire sans une quelconque réaction. Donc, elle vous en met une bonne en travers de la mâchoire. Karma instantané!
Vous êtes peut-être enclin à dire que c'est des sottises que de croire que tout « mal » sera un jour « puni » -- si ça se trouve – par la loi morale de cause à effet. Vous avez probablement en tête toutes sortes d'exemples de gens qui commettent des actes mauvais et vivent jusqu'à un âge avancé sans jamais en ressentir les effets. Mais ces gens existent-ils réellement? J'en doute. Quand je considère ma propre vie, je vois très clairement que cette loi morale de cause à effet fonctionne parfaitement, 100 pour cent des fois. Il m'est impossible de supposer qu'il puisse y avoir quelque part par là des gens à qui cette loi ne s'applique pas. On ne connaît pas toute l'histoire de toutes ces personnes qui sont censées avoir profité de leurs mauvaises actions sans jamais en souffrir les conséquences. Si c'était le cas, nous verrions peut-être autre chose que ce que nous attendions.
Dôgen traite de ce qu'il appelle « le karma dans les trois temps » dans le chapitre 84 du Shôbôgenzô, intitulé « Sanji no Go » (三時業), qui n'a rien à voir avec une personne appelée Sanji qui refuserait d'aller quelque part ; au contraire, cela veut tout simplement dire « le Karma dans les trois temps », na! Dans ce chapitre, Dôgen dit : « Ces paroles [du Bouddha] 'la rétribution du bien et du mal a trois moments' signifie que la rétribution a lieu dans le présent immédiat, dans une vie ultérieure, ou plus tard ».
Bon, s'il vous plait, ne vous prenez pas trop la tête avec ces histoires de « vie ultérieure ». Rappelez-vous qu'une seule durée de vie humaine peut être vue comme une série de vies – celle d'un gamin aux dents de lapin, d'un adolescent sans amis et accro à la masturbation, du bassiste d'un groupe de punk rock, d'un réalisateur de films de monstres japonais de série Z, d'un écrivain de livres « bouddhistes » de goût douteux, d'un... bon, vous voyez le tableau.
Ce que Dôgen nous dit, ici, c'est que les résultats de nos actions n'apparaissent pas toujours tout de suite sous une forme aisément identifiable. Parfois ils s'étalent sur une très longue période. Sans compter le fait qu'on agit constamment et qu'on crée ainsi du karma pour soi-même, ce qui peut changer le ressenti des effets de nos actions passées.
La pratique de zazen peut vous aider à éliminer progressivement les couches de bruit mental qui vous empêchent de voir comment ce qui vous arrive a un rapport avec ce que vous avez fait dans le passé. Combien les humains peuvent être ignorants de la façon dont nous sommes pleinement responsables de ce qui nous arrive est stupéfiant. J'ai un jour entendu l'histoire d'un commandant de camp de concentration nazi qui s'est fait tirer dans l'estomac par un prisonnier qui s'était procuré un pistolet. Avec son dernier souffle, il demande : « Mais qu'ai-je donc fait pour mériter de tant souffrir? »
On peut s'étonner face à une histoire pareille, mais sommes-nous si différents? Nous avons tous tendance à croire, comme le dit le grand philosophe Jerome Horwitz1, que nous sommes juste « victimes des circonstances », qu'il nous arrive simplement des choses. Mais vraiment? Ou négligeons-nous – et ce, parfois très volontairement – les modes par lesquels nous avons créé notre destin?
Accepter l'idée d'être responsable des éléments en apparence aléatoires de notre existence est bien difficile. Mais tentez donc le coup. Tentez donc d'accepter la pleine responsabilité pour tout ce qui vous arrive, y-compris ces événements en apparence dûs au hasard sur lesquels vous ne pouviez absolument pas avoir le moindre contrôle. Ne vous souciez pas du comment de votre responsabilité. Cela n'a pas d'importance. Acceptez la, tout simplement, et voyez ce qui arrive.
Accepter cette responsabilité pourrait vous paraître déprimant. Mais faites-le un petit moment et vous vous apercevrez que considérer sa vie ainsi peut développer une puissance étonnante.