Il est peut-être intéressant, pour avoir un rapport plus apaisé avec la notion de "maître", et pour mieux la comprendre, de la désolidariser un peu de l'image du "guru spirituel" que l'on peut avoir dans un premier temps.
Je ne saurais pas trop, dans les autres langues, ce que peut nous apporter l'étude de l'étymologie du mot (sensei en japonnais, par exemple), mais en français, un maître, c'est soit quelqu'un qui a une autorité plus ou moins total sur un "serviteur", soit quelqu'un qui a une "maîtrise" incontestable (ou presque) de son art. De fait, cela lui confère aussi, dans la seconde acceptation du terme, une forme d'autorité, mais cette fois-ci limitée à son art.
Dans le premier cas, le maître l'est par "nature", dans le cas du racisme esclavagiste par exemple, on considère qu'il est dans la nature de l'occidental d'être le maître d'une race à tort jugée inférieure. Ou dans la monarchie de droit divin, c'est par nature aussi que le roi est le "maître" de tous. Dans le deuxième cas, ce n'est pas par nature, mais par apprentissage et expertise qu'une personne devient un maître. Il me semble que le bouddhisme récuse fortement l'idée selon laquelle un être soit par nature quelque chose (si ce n'est un potentiel bouddha), c'est donc bien uniquement dans le deuxième sens du terme qu'on peut comprendre, il me semble, la notion de "maître" en bouddhisme.
Un maître luthier sait faire des instruments. Il peut éventuellement transmettre son savoir-faire et savoir-être, quoique tous ne soient pas forcément capables d'enseigner. J'ajoute savoir-être en italique, car si ce n'est pas l'aspect principal, le savoir-faire ne va jamais sans un savoir-être (patience, obstination, précision, respect de la matière qu'on travaille pour la lutherie peut-être). Un maître luthier ne fait pas constamment des instruments. C'est dans le cadre de son activité qu'il est un maître, et même si cela implique forcément des qualités qui débordent en dehors d'un domaine précis, si l'on apprend auprès d'un maître luthier l'art de faire des guitares, on ne va pas forcément chercher à apprendre les accès de colère éventuels de cette personne, ou son penchant pour tel ou tel vice, qui n'est pas directement relié au fait de faire des guitare. De plus, même s'il sait faire de magnifiques guitares, il n'est pas du tout impossible qu'il en "rate" une, parce que le bois peut toujours surprendre, parce qu'il peut lui aussi expérimenter, et parce qu'on peut avoir envie de faire une guitare un peu différente. On s'appuie sur un savoir-faire (et savoir-être) pour développer le sien, mais ça ne peut pas non plus être, à terme, une simple copie.
Je vois les choses de la même manière pour le maître zen. C'est quelqu'un qui sait s'accorder, qui a acquis une certaine maîtrise dans "l'art du soi", qui est un subtil équilibre entre des opposés (la fameuse voie du milieu), et qui est donc aussi un "art du non-soi". Cela ne veut pas dire qu'il s'accorde toujours et constamment. Ni que sa "technique" soit directement transposable. N'empêche, s'il est possible d'aller loin en tant qu'autodidacte, pour ce qui est du geste, il est difficile de le trouver si personne ne nous le montre.
Je comprends donc assez bien l'insistance des maîtres quand ils préconisent aux "étudiants-pratiquants" du bouddhisme de trouver avant tout un maître. On retrouve ça dans Milarépa dans le bouddhisme tibétain, et je crois que Deshimaru le disait aussi.
Après, on retombe dans le jeu des relations humaines, et tout est possible, le meilleur comme le pire, les jeux d'influence et d'égo. Quelqu'un qui sait vraiment méditer peut rester un sale type, quelqu'un qui veut apprendre peut en fait ne pas vouloir apprendre, poser sans cesse la même question en espérant une réponse différente parce que la réponse ne lui va pas, etc...
En tout cas, puisque étudier sérieusement le bouddhisme c'est nécessairement le pratiquer, qu'on ait trouver un maître ou non, il est essentiel de dire que l'étude du bouddhisme passe quasi-impérativement par l'apprentissage auprès d'un maître. Tout comme on ne peut guère devenir un maître luthier sans apprendre auprès d'un "professeur" (je change de mot pour éviter les répétitions).
Pour ma part, j'ai une véritable passion pour l'auto-didactisme. J'ai appris la musique de cette façon, c'est à dire que je ne l'ai jamais vraiment apprise ; de même pour la peinture. Je sais que cela est très limité, que je pourrai être un bien meilleur musicien avec beaucoup d'effort et quelques cours alors que je ne suis qu'un bidouilleur, mais l'idée de bidouiller dans mon coin convient bien à mon tempérament un peu asocial. Au final, ce n'est pas si différent d'un apprentissage avec maître ou prof', dans le sens où, dans tous les cas, il faut à un moment donné "oublier" un peu ce que l'on a appris (ça agira tout seul si c'est bien intégré) et bidouiller, toujours bidouiller.
En zazen, avec ou sans maître, on bidouille corps et esprit pour trouver la bonne attitude, la bonne posture. On remue sur le zafu pour que le corps soit bien posé, on hésite à changer de jambe quand on est en demi-lotus et qu'une douleur arrive, on change un peu l'angle du regard, on ferme un peu plus ou un peu moins les yeux, on laisse passer les pensées ou on revient un peu sur le souffle, jusqu'à un moment où on entre vraiment en méditation (ça me prend au moins dix minutes la plupart du temps).
Simplement, on aura sûrement moins longtemps à "bidouiller" si quelqu'un de bon conseil nous guide.
De plus, je ne sais plus du tout où j'ai lu ça, mais il y a aussi l'idée d'humilité qui joue à plein : si on trouve (ou croit trouver) tout seul le "truc", on risque d'être vachement fier, du genre "c'est moi qui l'ai fait tout seul" ; alors que si le "truc" nous est donné, il y a beaucoup moins de risque de s'attacher avec une fierté déplacée à ce "truc", parce qu'il était là avant, qu'il a simplement été transmis, qu'il n'est donc pas notre bien propre ni notre qualité personnelle.
Mais dans tous les cas, quand on a la possibilité de suivre une "master class", d'avoir accès à un maître ou à des conseils (s'il y a un dojo pas loin), je crois qu'il faut le faire. Même si on a tendance, en fonction de son tempérament, à être plus ou moins dans la pratique solitaire ou dans la pratique en groupe, les deux sont complémentaires. Et même si je me suis présenté plus haut comme un "bidouilleur autodidacte", je ne suis pas non plus si autodidacte que ça, ayant vu il y a déjà six ou sept ans un maître zen (il avait le titre en tout cas) montrer zazen lors d'une sorte de conférence, et lisant souvent, apprenant aussi sur ce forum auprès de personnes plus expérimentées.