par Yudo, maître zen Mer 16 Mai 2012 - 9:22
Voici le même passage tiré de la version Nishijima-Cross
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Dans l'ordre du maître Chosa Keishin* , le haut-fonctionnaire du gouvernement Jiku** demande : On coupe un ver de terre en deux et les deux morceaux bougent tous deux. Je me demande lequel des deux morceaux contient la nature-de-Bouddha ?
[*Changsha Jingcen, ? -868, un des successeurs du maître Nansen Fugan]
[**un étudiant laïc dans l'ordre du maître Chosa. Son titre尚書 (shousho) indique que c'était un mandarin chargé de la promulgation des documents officiels]
Le maître dit: Ne vous faites pas d'illusions.
Le fonctionnaire dit: Mais on ne peut pas nier que les deux morceaux bougent.
Le maître dit: C'est juste que le vent et le feu ne sont pas encore dissipés.
Or, quand le fonctionnaire dit "On coupe un ver de terre en deux", en a-t-il conclu qu'avant d'avoir été coupé il ne faisait qu'un? Dans la vie quotidienne des patriarches bouddhistes, l'état n'est pas comme cela. Un ver de terre n'est pas un à l'origine, et, une fois coupé, il n'est pas deux. Nous devons nous efforcer d'apprendre en pratique le sens des mots un et deux. Il dit, "les deux parties ensemble* bougent."
[*倶 (GU, tomo[ni] signifie soit "les deux", soit "ensemble." Dans son commentaire, le maître se demande si le fonctionnaire comprend le caractère dans son second sens.]
A-t-il compris que les deux parties sont une unité avant d'être coupées, ou a-t-il compris que l'état ascendant de Bouddha est une unité? Peu importe que le fonctionnaire ait compris les mots "deux parties," nous ne devons pas rejeter les mots. Serait-ce que deux parties qui ont été séparées sont intégrées dans une unité et que, par la suite, une unité existe ? En décrivant le mouvement, il dit "bougent ensemble." [Quoique] "l'équilibre le fasse bouger et la sagesse l'enlève"*, il se pourrait bien que tous deux soient mouvement.
[*Le Sûtra du Nirvâna dit : "De même que, pour enlever un pieu fermement enfoncé, d'abord on le bouge avec les mains, ensuite il vient facilement, ainsi en va-t-il de l'équilibre et de la sagesse des bodhisattvas : d'abord [les bodhisattvas] font bouger [une inférence émotionnelle] grâce à l'état d'équilibre, ensuite ils l'enlèvent avec la sagesse."]
"Je me demande dans quelle partie se trouve la nature-de-Bouddha ?" On pourrait l'exprimer ainsi : "La nature-de-Bouddha a été coupée en deux. Je me demande dans quelle partie se trouve le ver de terre ?" Nous devons clarifier cette expression de la vérité en détail. Est-ce que dire "Les deux parties bougent ensemble. Dans quelle partie se trouve la nature-de-Bouddha ?" signifie que si toutes deux bougent, elles sont inaptes en tant qu'emplacement pour la nature-de-Bouddha ? Est-ce que cela signifie que, si toutes deux bougent, quoique le mouvement se situe dans les deux, l'emplacement de la nature-de-Bouddha devrait être l'une ou l'autre des deux ? Le maître dit : "Ne vous faites pas d'illusions." Que veut-il dire, ici ? Il dit : "Ne vous faites pas d'illusions." Ceci étant, veut-il dire que lorsque les deux parties bougent, elles sont sans illusions, ou au delà de l'illusion ? Ou veut-il seulement dire que la nature-de-Bouddha est sans illusions ? Il nous faut aussi enquêter pour savoir s'il dit juste "Il n'y a pas d'illusions !" sans engager la discussion sur la nature-de-Bouddha et sans engager la discussion sur les deux parties. Est-ce que les mots "Qu'en est-il de leur mouvement ?" disent que, parce qu'ils bougent, on devrait étaler une couche supplémentaire de nature-de-Bouddha dessus ? Ou est-ce que ces mots affirment que, puisqu'elles bougent, elles sont au delà de la nature-de-Bouddha ? Dire "Le vent et le feu ne se sont pas encore dissipés" pourrait amener la nature-de-Bouddha à se manifester. Devons-nous les voir comme étant la nature-de-Bouddha ? Devons nous les voir comme le vent et le feu ? Nous ne devons pas dire que la nature-de-Bouddha et le-vent-et-le-feu apparaissent ensemble, et nous devons pas dire que lorsque l'un apparaît, l'autre n'apparaît pas. Nous ne devons pas dire que le vent et le feu ne sont autres que la nature-de-Bouddha. Par conséquent, Chosa ne dit pas "Un ver de terre possède la nature-de-Bouddha" et il ne dit pas "Un ver de terre n'a pas la nature-de-Bouddha." Il dit juste "Ne vous faites pas d'illusions" et dit "Le vent et le feu ne se sont pas encore dissipés." Pour sonder l'état vigoureux de la nature-de-Bouddha, il nous faut faire des paroles de Chosa deviennent la référence. Nous devons tranquillement considérer les paroles "Le vent et le feu ne se sont pas encore dissipés." Quelle sorte de vérité y a-t-il dans les mots "ne se sont pas encore dissipés" ? Dit-il "pas encore dissipés" pour exprimer que le vent et le feu se sont accumulés, mais que le temps n'est pas encore venu pour qu'ils se dispersent ? Cela se pourrait*.
[*"Pas encore dissipés" est 未散 (MISAN). 未 (MI, ima[da] signifie litt. "pas encore," mais 未散 (MISAN) décrit l'état qui est réel à l'instant présent (sans relation avec le passé).]
"Le vent et le feu ne se sont pas encore dissipés" est un bouddha en train de prêcher le Dharma, et le vent et le feu non dissipés sont le Dharma en train de prêcher le Bouddha. Par exemple, un son qui prêche le Dharma est l'instant qui vient d'arriver, et le prêche-du-Dharma en tant que son unique est l'instant arrivé – car le Dharma est un seul son, et un seul son est le Dharma. Qui plus est, penser que la nature-de-Bouddha n'existe que dans le temps de la vie, et qu'elle s'évanouira au moment de la mort, est extrêmement naïf et superficiel. Le temps de la vie est la nature-de-Bouddha en tant qu'existence et c'est la nature-de-Bouddha en tant qu'être sans. Le temps de mourir est la nature-de-Bouddha en tant qu'existence et c'est la nature-de-Bouddha en tant qu'être sans. Si nous sommes capables de discuter de la dissipation et de la non-dissipation du vent et du feu, cela pourrait être [discussion de] la dissipation et de la non-dissipation de la nature-de-Bouddha. Le temps de la dissipation peut être existence en tant que nature-de-Bouddha et peut être être sans en tant que nature-de-Bouddha. Le temps de la non-dissipation peut être existence en tant que nature-de-Bouddha et peut être être sans en tant que nature-de-Bouddha. Ceux qui sont fortement attachés à la vue contraire, que la nature-de-Bouddha pourrait exister ou pourrait ne pas exister selon le mouvement ou le non-mouvement, pourrait être ou pourrait ne pas être divine selon la conscience et la non-conscience, et pourrait être ou pourrait ne pas être la fonction naturelle dépendant de la connaissance et de la non-connaissance, sont des non-bouddhistes. Depuis le kalpa sans commencement, de nombreuses personnes stupides ont vu la conscience du divin comme étant la nature-de-Bouddha et comme état humain originel. On pourrait en mourir de rire ! Pour exprimer davantage la nature-de-Bouddha, quoiqu'elle n'ait aucun besoin d'être recouverte de boue et de croupir dans l'eau, elle est clôtures, murs, tuiles et galets. Lorsqu'on l'exprime dans l'état ascendant ultérieur, qu'est-ce au juste que la nature-de-Bouddha ? Avez-vous bien compris ? Trois têtes et huit bras !
Shôbôgenzô Bussho
Prêché à l'assemblée au temple Kannon-dôri-kosho-hôrin-ji dans la préfecture de Kyôto, le 14 du 10° mois lunaire de la seconde année de Ninji [1241].