le "satori" est une expérience sans importance et à la limite dangereuse
C'est ton point de vue et je comprends mieux, à présent, ce qui te faisait réagir dans les propos que j'ai relevés de Yasutani. Cela étant, sans doute connais-tu les essais sur le bouddhisme zen de D.T. Suzuki ? Cette question du satori est largement discutée dans ces essais et il est intéressant d'en apprécier tous les aspects car il se place du point de vue de la tradition du bouddhisme indien. En gros et pour résumer (autant que ça puisse l'être ici), Suzuki s'interroge sur l'authenticité du bouddhisme zen (depuis Bodhidarma) en rapport avec la doctrine développée depuis le bouddha en Inde et pose la question de l'importance de l'illumination dans le bouddhisme. Selon Suzuki, l'illumination (satori en japonais) est fondamentale et il ne saurait y avoir de bouddhisme sans elle (entendre qu'elle en constitue la base pratique et théorique). Partant de là, chacun est libre de mener sa pratique comme il l'entend. Je comprends que l'on puisse négliger le satori dans sa pratique au profit d'une expérience plus satisfaisante car sans exigence (du moins à ce niveau d'exigence). En ce qui me concerne, je n'en fais pas une condition indispensable à une pratique authentique et profonde. Aucune personne honnête ne saurait avancer une telle chose car cela reviendrait à nier le fait que "tout être vivant est de la nature de bouddha", éveillé à cette nature ou non. A la limite, nous pourrions dire que les animaux, les arbres mais aussi les bébés, pratiquent un zazen authentique. Ceci ne vient cependant pas en contradiction avec la réalisation du satori. Je pense que ce qui est important, c'est d'être animé d'une pratique authentique (et c'est ce qu'il convient de définir pour soi). Une réponse à la question de la raison de la venue de Bodhidarma en Chine était "le cyprès dans le jardin". Ce koân célèbre renvoie au zazen de l'arbre, au fond.
C'est également vrai que le satori a quelque chose d'assez séduisant pour un débutant et, en ce sens, il peut être considéré comme dangereux. Mais cette séduction qu'il exerce, pour peu que la personne pratique avec honnêteté, est vite remise à sa place, c'est à dire au rang des volontés égotistes. Un maître remettrait rapidement l'élève sur la voie s'il faisait du satori son moteur (sa seule motivation). Il pourrrait peut-être lui dire, par exemple, "si tu veux faire avancer une charrette, tu fouettes le boeuf ou la charrette ?". Ceci, je pense, recadrerait les choses et placerait le satori là où il doit être (c'est à dire quelque chose d'étranger à l'égo).