Zazen des moines
Les points importants sur lesquels toujours nous revenons : la posture, hishiryo, mushotoku.
Il y a beaucoup de traductions pour hishiryo: penser du tréfonds de la non-pensée, penser mais ne pas penser, ne pas penser mais penser. De toute façon, aucune traduction ne peut nous satisfaire complètement. Ainsi, hishiryo ne peut et ne doit pas devenir une catégorie de plus pour notre cerveau.
Qu’est ce que hishiryo ? c’est toujours la question essentielle, pour chacun.
Par exemple lorsque nous crions au feu! Notre bouche ne brûle pas. Lorsque nous faisons des conférences et parlons de hishiryo, c’est comme crier au feu!
Ce n’est pas "penser" avec le sens commun.
Par exemple, on dit parfois: dans le zen il n’y a pas de règles. Mais cela ne veut pas dire que tout est permis. Pas de règles, ne doit pas être compris avec le sens commun, c’est hishiryo.
Quand la conscience personnelle crée des concepts, on ne peut pas comprendre.
Ceux qui ont connu Maître Deshimaru se rappellent que son langage et son vocabulaire étaient très succincts; son anglais, un peu particulier (le zenglish), était tout à fait simple. Cependant avec quelques mots, il a pu enraciner pour ses disciples ce qui était tout à fait essentiel.
Voici un poème de Kyôgen que je voudrais vous recommander de lire:
Maintenant que sais-je ? Qu’ai-je appris? Est-ce que je sais ce qu’est hishiryo?Des années durant j’ai cherché en vain...
Etudiant les paroles du passé avec mes opinions du moment,
Poursuivant le savoir, j’ai franchi mille montagnes, traversé mille fleuves,
N’épargnant aucun effort pour trouver la vérité.
Au bout du chemin mon maître m’a montré l’ancien miroir
Où j’ai vu mon visage d’avant mes parents.
Maintenant que je sais, qu’ai-je appris?
Libérez le merle à minuit et il s’évanouira
Les plumes couvertes de flocons
Dans le blanc pur de la neige.
Lorsque les gens commencent zazen, rapidement, au bout de quelques années, ils ont l’impression d’avoir appris plein de choses. Ils peuvent parler de hishiryo, de mushotoku.
Quand on pense comprendre quelque chose, le merle est toujours là, il ne s’est pas évanoui. Il y a toujours une obscurité qui apparaît, l’ego qui se manifeste. Il ne doit pas rester de traces du satori.
Libérez le merle à minuit et il s’évanouira,
Les plumes couvertes de flocons
Dans le blanc pur de la neige
Les plumes, lorsqu’elles sont couvertes de neige, on ne les voit pas et cependant elles sont là.
Ne pas expliquer hishiryo ne signifie pas que nous sommes ignorants.
Jin issai iko.
La Réalité absolue de la Vie. La chose véritable. L’instant tel qu’il est.
Comprendre que chaque phénomène de notre vie n’est ni favorable, ni en désaccord. Cet instant là, si on l’accepte, on peut comprendre le sens des attitudes des moines : accepter, remercier.
Certainement vous connaissez le poète japonais Bashô, très fameux au Japon mais aussi en occident. Célèbre pour ses haiku.
Vous connaissez certainement celui qui est le plus connu:
L’histoire de ce haiku est très intéressante.Un vieil étang
Une grenouille saute dedans
Plouf !
C’était au printemps. Bashô était dans la forêt. Il était resté seul enfermé dans son ermitage durant tout l’hiver. Son maître Butcho vint lui rendre visite. Bashô était très heureux de le recevoir et l’accueillit chaleureusement. Le vieux maître se dit, certainement Bashô a réalisé quelque chose de profond pendant tous ces mois. Alors il lui demanda : "Qu’avez-vous compris récemment ?"
Bashô lui dit: "Après la pluie, la mousse verte paraît encore plus propre."
C’était la manière ancienne, traditionnelle, de parler. Exprimer l’esprit, l’esprit de hishiryo est très difficile à exprimer. Chez nous en occident, on veut toujours tout expliquer. Comment, pourquoi, on veut tout comprendre. Mais les gens ne comprennent pas, de plus ils ne veulent pas pratiquer.
Comment exprimer au-delà des sensations personnelles ?
Le vieux maître insista, lui demanda: "A quel point cette mousse est-t-elle verte ?"
Bashô répondit: "Après la pluie elle est si rare et délicate, qu’on a l’impression de se teindre les doigts dès qu’on la touche."
Certainement, à la fin d’une sesshin, on peut être sensible à la beauté de ce mondo.
Le maître demanda à nouveau: "Comment était-elle avant qu’elle ne pousse, avant qu’elle ne naisse?"
Comme le poème de Kyôgen. Le visage d’avant mes parents, notre visage originel, avant la naissance. Avant de dépendre d’un père, d’une mère. Avant la division, avant la dualité.
Comment était mon esprit avant qu’il ne soit compliqué, avant qu’il ne tranche entre le bien et le mal, le passé, le présent.
Si nous discutons ensemble de ça, il peut y avoir beaucoup de réponses. Réponses de philosophes, de psychologues… Mais toutes ces réponses sont comme des maladies.
Comment était la mousse avant qu’elle ne naisse?
A l’instant où Bashô ouvrit la bouche pour répondre, à cet instant là, une grenouille a plongé dans le petit étang à côté, plouf.
Et il a ajouté: "Avez-vous entendu ?"
Dans le silence, une grenouille saute dans l’étang. Les phénomènes de notre vie apparaissent dans ce silence. C’est ce qu’on appelle le présent.
Plouf, ici et maintenant.
Ce plouf c’est la véritable intimité avec ce présent.
Par la suite, Bashô a raconté cette histoire à ses disciples. Il leur a demandé un poème afin d’expliquer cet esprit.
L’un a dit: Un vieil étang/ Une grenouille plonge/ Solitude
Un autre a conclu par la rose fleurit.
Un autre encore: Un vieil étang/ Une grenouille plonge/ Poussière.
A la fin, seul Bashô a expliqué.
Pour ses disciples, la pluie n’était pas tombée, le doigt de leur esprit s’était glissé entre la grenouille et l’étang. Ils ne pouvaient rendre compte de jin issai iko, la réalité telle qu’elle est.
A la fin d’une sesshin, chacun peut comprendre ce qu’est cette pluie qui rend la mousse plus verte.
Mais cela ne veut pas dire qu’auparavant elle était sale.
Notre pratique c’est cela, laver ce qui ne peut être sali.