Ikka myôju ( 顆明珠 ) , "Une perle brillante" : Chapitre 7 du Shõbõgenzõ
Commentaires de Mokudo Taisen Deshimaru Rõshi.
Ikka Myoju
(suite)
« Très bien, pensa-t-il. Ce moine n'est pas attaché au passé, Il oublie tout, comme !es gens qui pratiquent zazen, »
- « La réponse du moine était basée sur la conscience ordinaire et consistait à poursuivre le voleur avec le cheval du voleur. Par contre, la réponse de Gensha repose sur l'expérience de Bouddha, Pour comprendre, vous devez tourner votre lumière vers l'intérieur et réfléchir. " A quoi peut nous mener notre compréhension ? " On réalise qu'il existe différentes sortes d'expressions provisoires telles que les sept gâteaux de riz faits avec des herbes ou les cinq gâteaux faits avec du lait. Mais ces expressions provisoires sont comme l'enseignement qui remplit la terre depuis le Shoko du sud et le Tan du nord. (L'enseignement bouddhique existe partout et on peut seulement employer des termes provisoires pour le décrire ndlr.) »
Une perle brillante est l'univers entier; la caverne du démon de la montagne noire est aussi une perle brillante, Nos bonno se transforment en satori, tout comme la caverne du démon de la montagne noire devient la perle brillante et l'univers entier.
Notre esprit est sans cesse en mouvement ; il devient souvent la grotte du démon de la montagne noire, Dans la civilisation moderne, la plupart des gens sont en naraka, l'enfer: et, souffrant, ils font des plans, rêvent à un futur meilleur; mais c'est maintenant qu'il faut agir, transformer notre enfer en perle brillante, non pas en chevauchant le cheval du voleur, comme le font la plupart des gens ; on ne peut se libérer de l'enfer des malaises et des insatisfactions en attisant le feu des désirs, Les gens veulent devenir libres dans l'enfer.
Seules les personnes qui font zazen peuvent être au-delà de cet état.
Durant cette sesshin vous êtes en dehors de la caverne du démon de la montagne noire, car vous y faites briller la perle, par la conscience hishiryo de zazen,
- « Gensha dit : " Je comprends, vous luttez et vous démenez maintenant dans naraka pour tenter de vous libérer. " Vous devez réaliser que cela est comme la relation qui existe entre le soleil et la lune : aucun des deux n'a remplacé l'autre à aucun moment. Le soleil se lève toujours en tant que soleil, la lune en tant que lune. En d'autres termes, il est dit que bien que le sixième mois (Selon le calendrier lunaire, le sixième mois correspond à août ndlr.) soit la saison chaude, notre nature originelle ne sent pas la chaleur (ou le froid). »
Donc le commencement ou la fin de la perle brillante est au-delà de la compréhension.
Le bouddhisme Mahayana s'est toujours refusé à toute discussion relative aux questions métaphysiques ou ontologiques, tels les problèmes de l'existence ou de la non-existence, du devenir, du limité et de l'illimité, de l'immanence et de la transcendance, etc.
Car ce genre de discussion a toujours été considéré comme stérile et, de ce fait, puéril ; le bouddhisme Mahayana a toujours réfuté le dualisme, produit de notre forme mentale limitée par l'espace temps, mais prône l'unité de toutes choses réalisable par la transcendance de la pensée grâce à la pratique de zazen, et la conscience hishiryo.
Pour ce qui est du monde phénoménal (non différencié du monde de l'absolu), la loi de causalité qui régit le manifesté est présentée comme l'envers du principe de liberté absolue qui fonde le potentiel cosmique; plus les limites de la compréhension sont resserrées, plus la loi de causalité est influente dans la production de karma (du corps, de la parole et de l'esprit) ; plus la compréhension s'élargit, plus la liberté s'accroît, ouvrant sur la potentialité d'actions infinies.
Cette vraie liberté épuise le karma passé et engendre l'acte potentiel qui s'actualise dans le phénoménal en fonction des circonstances.
Aussi, la pratique de zazen ici et maintenant engendre l'acte potentiel infini qui se répercute ici et maintenant, à travers le cosmos, et cet acte est perpétué pour l'éternité; en d'autres termes, l'éternité s'actualise dans l'ici et maintenant de chaque action.
Le karma de notre corps et de notre parole sont apparents à autrui; mais personne ne peut connaître le karma de notre conscience. Aussi personne n'y prend garde, pas même durant zazen.
Ainsi, beaucoup laissent défiler leurs pensées, les entretiennent, sans se douter que ce karma de la pensée est également apparent; il se concrétise, par exemple, sur les traits du visage, dont l'expression témoigne soit de la noblesse, soit de la bassesse des pensées, et qu'embellit l'abandon de soi, ou qu'enlaidit l'égoïsme. Aucune action (du corps, de la parole ou de la pensée) ne peut tromper; le karma engendré (proche ou lointain) atteste toujours de sa nature.
Au début de mon séjour en Europe, je fus invité par une belle jeune femme macrobiote, danseuse de profession, dans la superbe propriété de son père au Luxembourg. Nous avions pris l'habitude de nous promener dans le parc en discourant de choses et d'autres ; un soir toutefois, où le clair de lune brillait plus qu'à l'ordinaire, je pus voir son visage se figer sous les traits d'une tête de vache; j'en demeurais stupéfait, incapable de dissimuler mon étonnement. Alors elle éclata en sanglots et entreprit de me parler de son enfance; son père, m'expliquait-elle, n'avait cessé durant des années de tuer des animaux de boucherie dont il faisait commerce ; il tirait de son travail de grands bénéfices qui lui avaient permis de mener la vie de château; mais elle n'en avait jamais été heureuse, et avait éprouvé un profond sentiment de culpabilité à cause de la profession de son père. Lui-même, malgré la vie confortable qu'il menait, ne se sentait pas heureux, et du jour au lendemain avait décidé de tout lâcher pour devenir macrobiote. Malgré cela, le karma le poursuivait.
Je la rassurais, lui disant que si elle continuait de s'attacher à son état elle ne ferait que l'aggraver; elle devait au contraire l'oublier et considérer l'action passée de son père comme celle d'un grand bodhisattva, puisque, par son métier ingrat, il avait aidé les hommes à obtenir une nourriture dont ils avaient besoin. De plus, il avait su se reprendre et changer la direction de sa vie. Considérant cela, elle devait cesser de cristalliser ses sentiments sur le seul aspect de la réalité qui lui répugnait ; ainsi se déferait-elle du karma qu'elle entretenait.
Seule existe pour notre monde phénoménal la loi implacable de la causalité, dont la connaissance devrait nous amener à agir avec la plus grande circonspection.
- « Le commencement ou la fin de la perle brillante est au-delà de la compréhension. »
- « La seule chose qu'on puisse dire est que tout l'univers est une perle brillante, pas deux ni trois. »
La perle brillante est "l'œil du shobogenzo" (sho. Vrai dharma; gen, œil. La perle brillante est l'œil du vrai dharma) et le corps de vérité.
Le corps de la vérité cosmique éternelle et universelle.
L'œil du vrai dharma: l'œil traduit une notion très importante.
L'œil nous éveille. Le mokugyo utilisé dans les temples zen dessine la forme d'une tête de poisson, car le poisson exprime l'éveil, la vigilance, Un poisson, même mort, garde toujours les yeux ouverts.
Dans les temples zen, sa présence signifie donc ne pas dormir, persévérer dans l'effort.
La perle brillante est l'œil du shobo, de la vraie Loi, du vrai dharma.
- « La perle brillante est l'œil du shobo et le corps de vérité.
Cela est révélé dans cette unique expression. Le corps entier est la lumière divine et l'esprit universel. Une perle brillante est le corps tout entier. Il n'y a pas d'obstacle en elle, ronde et tournant sans fin, elle est partout. La vertu de la perle brillante se manifeste ainsi et permet à Kannon (Avalokitesvara) et à Miroku (Maîtreya) d'écouter les sons du monde et de voir ses formes réelles ; donc les Bouddhas du passé et du présent sont manifestés corporellement pour proclamer l'ordre cosmique, la vérité cosmique, la Voie véritable.
Lorsque le moment est venu, l'essence de la perle brillante peut être saisie. Elle est suspendue dans le vide, cachée dans la doublure du vêtement, trouvée sous le menton des dragons et dans la couronne des rois. Cette perle est toujours à l'intérieur de nos vêtements, à l'intérieur de nous-mêmes, dans notre nature réelle. Ne pensez pas la mettre à la surface. Elle doit demeurer dans les couronnes et sous les mâchoires. Ne tentez jamais de la porter à la surface. Quand vous serez plongé dans un état d'illusion, il se trouvera un ami proche pour vous donner une perle, pour vous révéler l'enseignement du Bouddha. Et, sans faute, vous devrez donner la même perle à votre ami proche. Lorsque la perle est placée autour du cou, même si la personne est toujours plongée dans un état d'illusion, elle est cependant dans l'univers d'une perle brillante. »
De nombreuses métaphores de ce passage sont tirées du Sutra du Lotus, telle celle de la perle logée dans la doublure d'un vêtement, ou celle de la perle blanche sous le menton des dragons. Dans le Sutra du Lotus. Une histoire raconte qu'un dragon avait une perle précieuse sous son menton. Il l'ignorait, mais le roi le savait et voulait capturer ce dragon.
Une autre métaphore encore parle d'une pierre précieuse cachée dans le chignon du roi. Mais la plus célèbre reste celle de la doublure du vêtement. Deux amis, l'un riche et l'autre pauvre, s'étaient retrouvés un jour après une longue séparation; aussi, pour fêter leurs retrouvailles, arrosèrent-ils l'événement d'abondantes coupes de saké. Complètement ivre, le pauvre s'endormit. Mais le riche voulait lui faire ses adieux avant de partir et tenta, en vain, de le réveiller. Il se souvint alors qu'il avait une perle brillante et il la cousu à l'intérieur du vêtement de son ami.
« Sûrement lorsqu'il se réveillera, il la trouvera et pourra la vendre, pensa+il. Cet ami n'est pas très malin, il est en difficulté et ne peut emprunter de l'argent aux autres. Ainsi je pourrai l'aider. » L'ami pauvre se réveilla ; mais comme il ignorait être en possession de cette perle, il continua de mener sa vie errante. Un an s'était écoulé lorsqu'il rencontra à nouveau son ami.
« Après que tu es parti, j'ai beaucoup souffert, dit-il. Tu t'es sauvé, me laissant dans la plus grande misère. - Mais n'as-tu pas trouvé la perle brillante ? répliqua l'ami. -Quelle perle? Je n'ai rien trouvé. - Regarde là, dans le vêtement... »
La perle brillante y était toujours logée, telle qu'il l'y avait mise, ce qui surprit et réjouit fort le pauvre.
Cette métaphore du Sutra du Lotus est un koan. Nous avons tous la nature du Bouddha en nous, le diamant ou cette perle brillante.
Mais toujours nous nous débattons, pour quitter l'enfer, pour nous libérer, toujours en quête de quelque chose et errant sans cesse ... On ne peut trouver le vrai trésor, la vraie pierre précieuse ; pourtant point n'est besoin d'aller la chercher au-delà des mers, ni par-delà les montagnes, ni au Japon, ni dans la macrobiotique.
Mais beaucoup s'y méprennent, qui me demandent de les recommander à un temple au Japon, ou de leur conseiller telle ou telle pratique qui favoriserait leur progression, etc.
Même Gensha, au début, voulut errer. Mais il obtint le satori. C'est ikka myoju. Nous l'avons tous à l'intérieur de notre esprit, ce vrai trésor. Mais notre esprit tourmenté, nos pensées nous rendent le monde infernal. Et l'esprit de la plupart des gens devient la caverne du démon de la montagne noire.
« Quand vous serez plongé dans un état d'illusion, un ami proche vous donnera une perle, vous révélera l'enseignement du Bouddha.
Et, sans faute, vous devrez donner la même perle à votre ami proche. Lorsque cette perle est placée autour du cou, la personne, même plongée dans un état d'illusion, se trouve cependant dans l'univers de la perle brillante. »
Vous devez comprendre ce koan.
En chacun de nous existe une perle brillante, mais souvent nous l'ignorons, comme le dragon. Le roi qui le savait le cherchait pour s'en saisir; mais le dragon ne se laisse pas facilement capturer, vivant dans les profondeurs des lacs, ou volant parfois dans les cieux, entouré d'un nuage noir qui le dissimule.
C'est une métaphore. Toujours les perles, les pierres précieuses ou les diamants sont des métaphores qui expriment la nature de Bouddha. Quoi qu'il en soit zazen signifie se regarder soi-même, où demeure le vrai trésor. Notre mental peut être l'enfer, mais zazen le transmute en perle brillante. La caverne du démon de la montagne noire, pendant zazen, inconsciemment, naturellement, automatiquement devient une perle brillante.
- « C'est pourquoi, bien que les situations paraissent changer, toute chose demeure toujours la perle brillante.
Savoir que la perle est exactement ainsi, c'est l'expérience d'une perle brillante. De cette façon, nous pouvons rencontrer les sons et les formes de la perle. Cela est la nature de la perle, et nous ne devrions absolument pas en douter. Même si des doutes s'élèvent, ou que nous affirmions, ou niions, ou que nous soyons perplexes quant à son existence, tout cela, ce ne sont que des observations passagères et incomplètes. »
Il en est toujours ainsi dans notre vie: enfermés dans la caverne des démons de la montagne noire, nous soumettons tout à nos catégories étroites, optant pour un côté et rejetant l'autre. Nous possédons la perle brillante ; nous sommes nous-mêmes la perle brillante; mais par notre aliénation, notre attachement à la petitesse, nous refermons sur la perle brillante la caverne des démons de la montagne noire.
Pendant zazen, toutes ces petitesses qui font que, dans la vie, nous nous agitons en tous sens peuvent se détacher de nous, et tomber, comme du bois mort, comme une carapace usée, Libérés de notre enveloppe protectrice, nous pouvons alors, une fois, mourir au cosmos, et laisser notre perle être éclairée par la lumière du cosmos.
En zazen, nous devons mourir au moins une fois, totalement, sans laisser de «petits restes», sans garder aucune attache; il nous faut oublier tout, et surtout soi-même, prendre place dans son cercueil, comme on s'installe devant sa télé; de la même façon qu'on se laisse captiver par le film, oubliant tout alentour, nous devons nous laisser ravir par le cosmos, oubliant tout de nous-mêmes et du monde.
Notre mort véritable est ainsi; notre vie s'achève, et avec elle notre propre cosmos, cependant que se perpétuent les bonno de notre vie dans le cycle des transmigrations et des réincarnations.
Atteindre la conscience hishiryo pendant zazen est très difficile :
- Quand on souffre, c'est le Zen naraka, le Zen infernal.
- Ensuite vient le Zen gaki : le Zen à la recherche de la satisfaction d'un but. (Gaki - preta en sanscrit - signifie avoir trop d'appétits, chercher toujours à obtenir quelque chose.)
- Puis le Zen chikusho : le Zen animal, le sujet ressent des pulsions fortes, ou bien est plongé dans un état de somnolence, sans pensée; c'est kontin.
- Puis le zazen asura : le zazen combatif, où le sujet est en compétition avec les autres,
- Puis le zazen humain, sans trop de pensées, sans trop de somnolence.
- Enfin le zazen extatique, qui fait retomber en naraka. La conscience hishiryo est au-delà de ces divers états de zazen.
« Ne chérit-on pas la brillance infinie de la perle brillante ? Qui peut surpasser la vertu de cette perle brillante et rayonnante qui couvre l'univers? De la sorte, personne ne peut jeter même une tuile sur une place de marché, Aussi, ne vous souciez pas de tomber dans les six royaumes d'existence. »
Pendant une sesshin et surtout dans le dojo, il faut trancher toute relation avec la vie quotidienne, a écrit Dõgen dans le Fukanzazengi.
Il faut devenir une perle brillante. Entrer dans le dojo est pareil à entrer dans son cercueil.
Faire zazen, c'est redevenir une perle brillante. Tout est une perle brillante, toutes les existences; mais par notre karma nous tombons dans l'antre du démon de la montagne noire. Par le karma passé, par le karma d'avant notre naissance, par le karma de notre éducation, par celui de l'école, de l'université, de l'environnement social.
- (à suivre...)