Zen et nous

Le zen, sa pratique, ses textes, la méditation, le bouddhisme, zazen, mu

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    Le Zen et l'Art de l'entretien de la motocyclette (extrait)

    Yudo, maître zen
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    Message par Yudo, maître zen Ven 9 Aoû 2019 - 15:52

    Robert M. Pirsig a écrit:"L’application de ce couteau, la division du monde en parties et la construction de cette structure, sont des choses que fait tout un chacun. Nous sommes tout le temps conscients de millions de choses autour de nous – ces formes changeantes, ces collines brûlantes, le bruit du moteur, la sensation de la poignée de gaz, chaque caillou et broussaille et poteau de clôture et débris sur le bas-côté de la route – conscients de ces choses, mais pas vraiment conscients, à moins qu’il n’y ait quelque chose d’inhabituel ou qu’elles reflètent quelque chose que nous sommes prédisposés à voir. Il ne nous serait pas possible d’être conscients de ces choses et de nous les rappeler toutes parce que nos esprits seraient si pleins de trop de détails inutiles qu’il nous serait impossible de penser. Il nous faut choisir parmi toute cette conscience, et ce que nous choisissons et appelons conscience n’est jamais la même chose que la conscience parce que le processus de choix la transforme. Nous prenons une poignée de sable dans l’infini paysage de la conscience qui nous entoure, et nous appelons monde cette poignée de sable.
    Une fois que nous avons cette poignée de sable, le monde dont nous sommes conscients, un processus de discrimination se met au travail. C’est ça le couteau. Nous divisons le sable en parties. Ceci et cela. Ici et là. Noir et blanc. Maintenant et alors. La discrimination est la division en parties de l’univers conscient.
    La poignée de sable paraît uniforme, au début, mais plus on la regarde, et plus on y trouve de diversité. Chaque grain de sable est différent. Il n’y en a pas deux pareils. Certains sont similaires d’une certaine façon, certains d’une autre, et on peut disposer le sable en piles différentes – par dimensions différentes – par formes des grains – par sous-types de forme des grains – par degrés d’opacité – et ainsi de suite, ad infinitum. On pourrait penser que ce processus de subdivision et de classification finirait par trouver son terme, mais ce n’est jamais le cas. Ça ne fait que continuer à l’infini."

    Ce passage que je vous cite se trouve au chapitre 7 du livre "Le Zen et l'Art de l'entretien de la motocyclette" (ma traduction perso: la traduction officielle aux Editions du Seuil est un scandale de nullité).

    Je ne puis m'empêcher de le mettre en parallèle avec la nouvelle de Borgès, "Funès el Memorioso". Funès est un infirme parce qu'il se rappelle absolument tout, et lorsqu'il évoque un souvenir, cette évocation lui prend autant de temps que l'événement lui-même en avait pris.  Il n'a donc jamais le temps de rien.

    Il m'évoque aussi cette difficulté que nous avons tous à voir, à voir, parce que nous ne voyons que ce que nous avons appris à voir.
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    Message par Rémi Mar 13 Aoû 2019 - 20:45

    Ci-dessous : un canard-lapin ou lapin-canard ; nous pouvons y voir un lapin ou un canard selon que l'on prenne le bec pour des oreilles où les oreilles pour un bec.

    Le Zen et l'Art de l'entretien de la motocyclette (extrait) ?u=http%3A%2F%2Fwww.illusions-optique.fr%2Fimages%2Fillusion-canard-lapin-519

    Je ne sais pas encore dans quelle mesure les processus pré-déterminants une qualité d'expérience sont à exclure pour s'approcher de la vue juste (ne pas saisir) et dans quelle mesure ils sont à resituer (continuer de les utiliser mais en sachant bien ce qu'ils ont d'excluant). J'imagine à l'heure actuelle que zazen permet de "travailler" un peu les deux : d'un côté on sent plus directement en quoi ces processus de choix plus ou moins conscients nous précipitent parfois un peu rapidement dans une vue un peu trop lacunaire (ne voir qu'un seul aspect des choses), et de l'autre côté, la précision de ces mécanismes s'affine, allant parfois un peu au-delà du langage et des mots qu'on peut utiliser habituellement.

    En clair : d'un côté on cesse de classe les grains de sable (pour reprendre l'image de Robert Prisig) ce qui correspond aussi à la traduction de Yudo : "Suivre la grande Voie n'a rien de difficile,
    Il suffit d’éviter de choisir et trier!" (Shin jin mei, traduction de Yudo), et d'un autre côté, tout en cessant de classer, la précision augmente et chaque grain de sable est paradoxalement mieux "connu" même en lien comparatif avec les autres.

    Dans une tournure apparemment paradoxale qui sonne un peu "zen caricatural" on pourrait peut-être résumer cela ainsi :

    "En cessant de vouloir classer et opposer, tout se range bien mieux, selon un classement plus "naturel" : le dharma. En suivant le "classement" / "tri" du dharma, tout est à sa place, le "nous" coproduit également ; on continue donc de ranger son bureau, mais on ne le range pas pour autant. C'est en rangeant qu'on ne range pas, et c'est aussi en rangeant qu'on range. Car il serait absurde de vouloir faire cela "tout seul"."

    EDIT : cela rejoint également la notion d'intuition liée à celle d'expérience. Le geste juste ou la place juste n'est plus discrimination mais adaptation / prise en compte. L'atelier d'un bricoleur expérimenté a "une place pour chaque chose" non pas en vertu d'un classement hiérarchique mais en vertu de la simple praticité qui est : mise en relation. Le marteau est là où il faut. Le travail s'organise pour fluidifier un geste : enlever les points de frottements, les gestes superflus, pour plonger dans l'acte. Il ne s'agit donc pas de classer les grains de sable mais de s'intégrer dans une relation.

    La problématique soulevée par ce message n'est peut-être pas claire : je la résume ici et la mets en gras pour la faire ressortir, car là se situe l'essentiel de mon questionnement : comment concevoir l'existence d'un "geste juste" (ranger son bureau, samu, etc.) conjointement avec la nécessité de "ne pas trier" ?

    Un élément de réponse pourrait aussi venir de l'image du joueur d'échecs expérimenté : l'expérience amène à ne plus perdre de temps à calculer les coups qu'on sait d'avance mauvais. Ce gain de temps rend meilleur, mais parfois empêche de trouver LE meilleur coup qui n'était peut-être pas celui vers lequel notre expérience nous faisait tendre. Là, la distinction de Shunryu Suzuki sur "l'esprit du débutant" (sho-shin) est aussi intéressante, et me semble faire signe faire un travail en apparence paradoxal : acquérir une meilleure intuition sans laisser de côté l'ouverture de celui qui débute toujours (car tout débute toujours ici et maintenant). Trier en ne triant pas. C'est bizarre, mais appliqué à une activité qu'on "maîtrise", cela fait sens : on peut marcher sans marcher (sans effort, naturellement, et parfois même "inconsciemment"), on peut respirer sans respirer également...

    Trouver la fluidité (acte juste) sans être pris au piège par cette fluidité ? Savoir que les grains de sable sont différents sans les trier à l'infini ? Et les laisser se tier d'eux-mêmes, se tirer d'eux-mêmes les uns les autres ? "ne pas pratiquer les mille dharmas mais se laisser pratiquer par eux" (Dogen) ?
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    Message par Yudo, maître zen Mar 20 Aoû 2019 - 14:36

    Autre citation de Pirsig, sur laquelle j'avais totalement glissé en 1973 (chap. 20):

    Le passé n'existe que dans nos mémoires, et le futur que dans nos projets. Le présent est notre seule réalité. L'arbre dont on a conscience intellectuellement, du fait de ce laps de temps, se trouve toujours dans le passé et est, subséquemment, toujours irréel. N'importe quel objet conçu intellectuellement se trouve toujours dans le passé, et est subséquemment toujours irréel. La réalité est toujours le moment de vision qui précède celui de l'intellectualisation. Il n'existe pas d'autre réalité. C'était cette réalité pré-intellectuelle que Phèdre croyait avoir correctement identifiée comme étant la Qualité. Vu que toutes les choses intellectuellement identifiables doivent sortir de cette réalité pré-intellectuelle, la Qualité est le parent, la source de tout sujet et objet.

    J'observe que les deux éléments qui, je pense, m'ont fait ne pas percuter sur cette phrase à l'époque (à part le fait que j'étais un jeune con, mais la seule chose qui ait changé, c'est que je suis désormais un vieux con), c'est d'une part l'herméneutique à quatre parties, dont je rappelle qu'elle n'est pas exclusive à Nishijima, car Okumura l'emploie lui aussi, et Dante Alighieri fait observer qu'elle était la règle au Moyen-Age (rappelons que Dante suit Dôgen d'à peine 50 ans).

    Philippe Cornu, dans sa préface à la nouvelle publication du SBGZ que j'ai annoncée, écrit d'ailleurs
    Cette herméneutique-là, qui n’est pas sans rappeler les quatre volets de notre herméneutique médiévale (le sens littéral, le sens allégorique, le sens anagogique et le sens tropologique), est sans nul doute une clé pour lire cette œuvre.
    D'autre part, il me manquait évidemment la pratique de Zazen. Mais c'est aussi là qu'on voit qu'une pratique assise non nourrie par l'enseignement peut elle-aussi dévier de façon sévère, puisque Didier Airvault, qui a côtoyé Tokuda pendant 30 ans, me dit que ce dernier dérivait totalement dans des explications mystiques de Dôgen et jamais concrètes.
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    Message par Lumpinee Mar 20 Aoû 2019 - 20:22

    Yudo, maître zen a écrit:Autre citation de Pirsig, sur laquelle j'avais totalement glissé en 1973 (chap. 20):

    Le passé n'existe que dans nos mémoires, et le futur que dans nos projets. Le présent est notre seule réalité. L'arbre dont on a conscience intellectuellement, du fait de ce laps de temps, se trouve toujours dans le passé et est, subséquemment, toujours irréel.

    Je partage ce point de vue mais j'emets une réserve car il n'est pas abolu. Dans le monde des énergies, le futur existe deja, et le passé existe encore. Les reves prémonitoires sont tout à fait dans le présent, pourtant nous voyons le futur...

    A un endroit où on va ériger une cathédrale dans 1000 ans, une partie des énergies de la cathédrale existe deja. Je sais de quoi je parle.

    Ensuite je ne suis pas sur que nous ne voyons la réalité avec du retard (hormis la vitesse de la lumière). Nos réactions oui, mais pas notre conscience.[/quote]

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