Sampai devant Kaikan, et ce n'est pas une plaisanterie de ma part.
D'autant plus que sa parole est celle de quelqu'un qui a vécu toutes ces choses, et je partage pleinement son ressenti.
Il y a quinze ans, j'éprouvais dans la cérémonie une fraîcheur. On m'avait expliqué que c'était l'expression de zazen, et le responsable qui m'a enseigné, n'était pas formaliste...mais les formes étaient habitées du souffle de l'Esprit. Elles nous rassemblaient, elles ne nous divisaient pas. Anciens, nouveaux, on était tous unis dans les mêmes gestes, dans le même souffle.
effectivement, j'ai ressenti, quand il y a eu cette réintroduction de sutras et de formes après la reprise de contact de l'AZI avec le Japon, comme un déssèchement, toute l'énergie n'investissait plus le hara, mais remontait au cerveau...et les querelles se multiplièrent faute d'enracinement et de sérénité vécue dans son corps. Chacun se réclamant des bonnes manières.
Quand on prend le thé dans son bol, est-ce pour contempler le reflet de son ego, ou pour dédier son repas pour toutes les existences??
Deshimaru n'a pas tout dit, pensent certains anciens maintenant hauts dignitaires?? J'ai ressenti aussi ce doute en eux depuis plus de dix ans que tout le monde s'agite autour de signes visibles et saisissables de la réalisation. Des formes. Des cérémonies. Des règles.
Ce doute, les a fait prendre un chemin qui n'est à mes yeux pas celui de la libération, mais celui de la dépendance à une église, à une institution.
Est-il étonnant, alors qu'on a été virés d'un dojo, que j'ai écrit à l'AZI, qui ne m'a jamais répondu, que trois ans après, je reçoive aujourd'hui même un courrier pour solliciter ma cotisation?????
Notre sort ne les intéresse pas, mais ils savent nous écrire pour notre argent! Quelle grandeur spirituelle!
Oui, Deshimaru n'a pas tout dit car zazen est silencieux, et tout ne peut se dire.
Mais n'a-t-il pas tout transmis??? N'a-t-il pas donné toute sa vie à ses disciples, quelles que soient leurs qualités???
N'a-t-il pas donné ce que Sawaki lui a transmis, et ce que Tokuda, et tant d'autres ont reçu aussi, et nous aussi : faire zazen en silence avec le grand kesa??
Non, il n'a pas tout dit car il voulait que les gens soient créatifs : qu'ils créent à partir de zazen. Qu'ils innovent à partir de la source qu'est zazen. Qu'ils donnent zazen au monde. Deshimaru prétendait que des gens comme nous puissions devenir de grands éducateurs, pour aider le monde à sortir de sa crise. Pas pour enfermer le zen dans des temples, des règles, des formes figées. Il voulait je pense que les règles, les formes, les temples, servent avant tout dans ce but-là, pas pour devenir une fin en soi.
Pas pour faire un zen de bonnes manières. Un zen du costume.
Je n'ai jamais connu Deshimaru, pourtant ce que j'ai reçu, de certains de ses disciples, et ce que j'ai lu de lui, et que je lis ici aussi, me semble absolument évident et sans aucun doute. En fait, il était tellement au-delà de lui-même que j'ai le sentiment que je l'ai toujours connu et qu'il n'est jamais mort.
Par contre, je pense que plein de ses successeurs voudraient le faire oublier, tout en se réclamant de son nom. Je pense même qu'ils ne s'en rendent pas compte, ce n'est pas pour juger. Mais un maître, ce n'est pas une marque publicitaire. Et il y en a d'autres ,des maîtres. Et faire ainsi, c'est faire mourir ce qu'il a voulu faire vivre. C'est dommage.
Je pense que développer de l'arrogance, devenir formaliste, pro des règles, c'est quand au fond on n'est pas sûr spirituellement. Quand on n'a pas touché son vrai centre. Quand on cherche encore à fuir sa souffrance et à fuir le mur. Quand on ne se donne pas la chance d'être heureux sans masque.
C'est facile de fuir le mur quand on ne fait face qu'aux autres et qu'on prend le droit de parler pendant zazen que personne ne conteste. Je l'ai fait, je sais ce que ça fait, on a vite fait de croire qu'on est quelqu'un et d'oublier le silence. Et on ne s'en rend pas compte.
Deshimaru prenait ce droit, peut-être, mais il avait une sacrée clique à tenir. Fallait qu'il soit fort, je pense que Kaikan ne me démentira pas.
Donc, ce n'est pas un décorum, la cérémonie. Ca le devient quand on en perd le sens. Quand on la fait pour faire comme les autres, parce que ça fait bien.
La cérémonie, c'est quand après avoir rejoint son centre pendant zazen, on fait le chemin inverse : on repart vers la périphérie, on manifeste ce qu'on a été rejoindre dans l'intime. C'est au-delà d'être beau, d'être bien fait, d'être bien. C'est être tout simplement. C'est pleinement chanter, c'est pleinement offrir de l'encens. C'est pleinement se prosterner. C'est pleinement dédier son repas à tous les bouddhas et à tous les êtres.
C'est pleinement manger, pleinement boire.
C'est vivre éveillé, assis, debout, allongé, ou en marchant.
Quand on vit, quand on respire pleinement, on n'a pas de façade.
On est, tout simplement.
Et j'vas poster ce truc sur mon blog, du coup.
Parce que faut pas oublier : le 29 Avril, on commémorera les 30 ans de la mort de Me Deshimaru.
Ca vaut bien un petit encens, et une petite prosternation.