LES BONNOS
<<<(suite)>>>
- Méthode tai, ou méthode défensive et répressive : elle concerne particulièrement les trois bonnos de base qui sont :
ton, le désir, Jin, la colère, et chi, l'ignorance; eux-mêmes se subdivisent en douze sortes de bonnos, envers lesquels doit être adoptée une attitude (une tactique) spécifique identique à la stratégie dont on userait envers un ennemi en pareil cas.
- Méthode ten, ou méthode du changement qui consiste à imaginer ou regarder des souillures ou des cadavres lorsque s'élèvent des désirs; cette observation est supposée conduire à un bouleversement de l'état d'esprit du méditant.
Les méthodes du Hinayana conduisent souvent à des excès: une jeune personne me racontait un jour qu'elle devait accompagner en métro deux jeunes moines cambodgiens qui allaient participer à une émission télévisée. En vertu de la rigueur de leurs préceptes, ces deux moines avaient exigé que leur soient attachés deux gardes du corps qui devraient veiller à éviter tout contact indésiré avec des personnes de sexe féminin! On opta finalement pour un taxi.
- Méthode futen, ou méthode du non-changement : elle consiste en un transfert de bonno, sans que l'état d'esprit du méditant ait à s'imposer de changement par bouleversement
de l'observation.
- Méthode ten-futen, ou méthode du changement et non-changement, qui consiste donc à utiliser les deux méthodes précédentes: deux bonnos s'élèvent, désir sexuel, par exemple, et colère, deux méthodes sont utilisables; le résultat est la permutation des quatre termes : les deux bonnos et les deux méthodes.
- Méthode gu, ou méthode du tout: grâce à l'utilisation des quatre méthodes précédentes, elle est le résultat final qui aboutit à l'extinction des bonnos et permet de pénétrer l'authentique vérité au moyen de la sagesse transcendantale. Si le Hinayana a été appelé tel, c'est-à-dire petit véhicule ou plus précisément véhicule inférieur, c'est en raison même des étapes, et de l'aspect graduel que revêt son enseignement, et qui constituent en quelque sorte les garde-fous de protection.
Si ces derniers empêchent les êtres humains de se fourvoyer dans les méandres sinueux des passions et illusions, ils forment néanmoins une barrière érigée entre l'homme et sa possibilité d'accès direct à la vérité. Certes, et c'est la raison pour laquelle cet enseignement s'est perpétué et a toujours fait des adeptes, le Hinayana a le mérite d'offrir aux faibles une sécurité; la force de celle-ci ne réside pas dans le fait qu'elle est une valeur sûre et immuable, au contraire, cette sécurité n'est qu'illusoire puisqu'il faudra bien qu'en dernier lieu s'effondrent toutes les barrières discriminatoires du bien et du mal, du pur et du souillé, du vrai et du faux,
bref toutes les formes dualistes qui confortent l'homme et le stimulent dans sa recherche, comme l'on flatte un cheval en le caressant; c'est la raison d'être du Hinayana; mais il incombe à chacun de savoir que tout concept doit un jour se vider de son contenu pour qu'apparaisse la vérité. C'est ce que vise le Mahayana à travers la Voie du Milieu qui trempe d'emblée l'homme fort dans le non-tout, dans l'audelà du tout, en unissant en une fois tous les contraires, dont il fait éclater les contours illusoires par heurts successifs et répétés, à la manière de deux bulles de savon qui se rencontrent, jusqu'à anéantissement de toute enveloppe limitative.
Aussi, dans le Mahayana, les méthodes pragmatiques de destruction des bonnos sont inexistantes. Les bonnos, et leur corollaire les kai (ou préceptes) jouent finalement un rôle très secondaire, à la lumière de ce qui est le plus haut des préceptes et donc la voie d'extinction absolue des bonnos : zazcn en lequel sont réunis sagesse et samâdhi. C'est la seule el unique méthode: ku, l'essence absolue de la vérité dans le non-né originel.
C’est dans la résolution des bonnos au moyen de ku que se fonde la philosophie essentielle du Zen et du Mahayana.
Avant d’aborder le sujet en profondeur, il est bon au préalable de mettre en garde contre une erreur qui peut s'établir dans l'esprit du pratiquant du Mahayana : l'erreur qui consisterait à croire que le Mahayana, qui se veut au-delà de toute dualité, prône un enseignement selon lequel la maintenance des bonnos constitue en elle-même la Voie; ce serait une erreur grossière et totalement contraire à l'enseignement du Bouddha, qui ne ferait qu'augmenter l'héritage des dix bonnos fondamentaux qui échoit à chacun à sa naissance.
Désirs, ignorance et colère demeurent ce qu'ils sont, c'est-à-dire les illusions to, jin et chi, et suivre ses penchants illusoires est foncièrement un égarement.
Comment accéder à l'éveil, ou satori, sans avoir à s'aliéner la volonté acharnée, forcenée, et aliénante de trancher les bonnos. ?
Un seul bonno inclut tout le bouddhisme, stipulent les sutras mahayanistes; cela ne signifie pas qu'il faut se concentrer sur les bonnos, mais, au contraire, y être attentif et exercer sa patience, laquelle brise l'ignorance et conduit l'esprit à sa vraie liberté. Revenons sur cette apparente contradiction qui fait état de l'entrée dans le nirvana sans avoir à « trancher» les bonnos :
Il est fait mention, dans certains sutras mahayanistes relatifs aux bonnos, de quatre sortes de gens :
- il y a ceux qui sans « couper » leurs bonnos n'entrent pas dans le nirvana : c'est le cas de la plupart qui vivent comme des animaux, ne développant que leurs facultés matérielles, et sont particulièrement nombreux dans notre 'civilisation actuelle;
- il y a ceux qui , tranchent leurs bonnos et entrent dans le nirvana : ils sont rares, et se comptent parmi les ascètes, les moralistes; toutefois leur entrée dans le nirvana présuppose l'achèvement de leur discrimination bonnos-moralisme;
- la troisième sorte de gens sont ceux qui fortuitement coupent ou ne coupent pas leurs bonnos, et qui, de façon contingente, parviennent ou non au nirvana : cela est le lot d'un certain nombre qui pratiquent zazen. Zazen lui-même est nirvana.
Selon l'état de conscience durant zazen, les bonnos s'apaisent ou non, le nirvana est atteint ou non. Parfois l'on sombre en kontin, parfois l'on se disperse en sanran, parfois l'on parvient à l'équilibre juste, mais le seul fait de penser avoir obtenu le saton est une aberration mentale; le saton est fusion dans l'unité, aussi ne peut-il y avoir place pour la moindre réflexion de la conscience;
- enfin, il y a ceux qui ne coupent, ni ne coupent pas les bonnos, et ainsi n'entrent ni n'entrent pas dans le nirvana : cela correspond à la véritable attitude, celle où toute forme de dualisme est transcendée.
Chacune de ces quatre propositions est subdivisée en quatre énoncés, qui seront analysés par la suite…
<<< à suivre >>>