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L’idéal du bodhisattva dans le Theravada et le Mahayana
L’idéal du bodhisattva dans le Theravada et le Mahayana
Vénérable Walpola Rahula
Le vénérable Walpola Rahula, de Ceylan, se définit comme un moine bouddhiste, insistant par là sur ce fait que l’ordination monastique bouddhique est Une, au-delà des écoles. Érudit mondialement connu, il a été professeur à la Northwestern University de l’Illinois (U.S.A.) et chancelier de l’Université de Ceylan. Il a traduit en français l’Abhidharmasamuccaya, d’Asanga (École française d’Extrême-Orient, Paris 1971). Il est également l’auteur de ce best-seller qu’est “L’enseignement du Bouddha”, (Seuil, 1961)
On croit, très généralement, et tout particulièrement dans le monde occidental, que l’idéal du Theravada, que l’on confond Rentiers avec le Hinayana, est de devenir un arhant, tandis que celui du Mahayana est de devenir un bodhisattva avant d’atteindre finalement l’état de Bouddha. Cette façon de voir les choses est complètement erronée. Cette idée a été initialement répandue par les premiers orientalistes à une époque où on commençait à étudier le bouddhisme en occident, et leurs successeurs ne se sont pas donné la peine d’approfondir le problème par l’étude des textes et des traditions vivantes des pays bouddhiques. La vérité est que le Theravada, comme le Mahayana, considère l’état de bodhisattva comme son idéal.
Les termes de Hinayana (Petit véhicule) et Mahayana (Grand véhicule) n’existent pas dans la littérature pâli Theravada. On ne les trouve ni dans le Canon pâli (Tipitaka), ni dans les commentaires du Tipitaka, ni même dans les Chroniques pâli de Ceylan, le Dipavamsa et le Maha-vamsa. Le Dipavamsa (quatrième siècle de notre ère) et certains commentaires pâli mentionnent les Vitandavadins, certainement une secte de dissidents qui professaient des points de vue non orthodoxes sur certains passages de l’enseignement du Bouddha. Vitandavadin et Theravadin se réfèrent aux mêmes autorités et citent les sûtras du Tipitaka pour étayer leurs positions ; il y a seulement des différences d’interprétation. Le Mahâsamva (cinquième siècle de notre ère) et un commentaire de l’Abhidhamma citent les Vetulla ou Vitulyavadins (sanscrit : Vaitulyavadins) au lieu de Vitandavadins. À l’évidence des textes, il ne semble pas faux de considérer que les deux termes Vitanda et Vetulya désignent une seule et même secte ou école. L’Abidharma-sammucaya, texte philosophique Mahayana du quatrième siècle de notre ère, qui fait autorité, indique que les termes Vaitulya et Vaipulya sont synonymes et que le Vaipulya est le Bodhisattva-pitaka. Or, le Bodhisattva-pitaka est indiscutablement Mahayana. Donc, le Vaitulya désigne sans aucun doute le Mahayana.
Nous pouvons donc être assurés que les termes Vitanda et Vetulya, employés dans les chroniques pâli et dans les commentaires, se rapportent au Mahayana. Mais les termes Hinayana et Mahayana étaient inconnus, ou volontairement ignorés, on non reconnus officiellement.
Les érudits sont maintenant tous d’accord sur le fait que les termes Hinayana et Mahayana ont été introduits plus tard. Sur le plan historique, le terme Theravada existait bien avant que ces vocables voient le jour. Ce même terme Theravada, considéré comme l’enseignement original du Bouddha, a été introduit et s’est développé à Ceylan au cours du troisième siècle avant J-C., pendant le règne de l’empereur Asoka en Inde. À cette époque, on ne parlait pas de Mahayana, expression qui apparut beaucoup plus tard, au début de l’ère chrétienne. Sans Mahayana, il n’y avait évidemment pas de Hinayana. Le bouddhisme, qui s’implanta à Ceylan avec son Tipitaka et ses commentaires, et cela au troisième siècle avant J-C., y demeura intact comme Theravada et ne fut pas mêlé aux disputes entre hinayanistes et mahayanistes dont l’Inde fut le théâtre. Il semble donc illogique de faire entrer le Theravada dans l’une ou l’autre des deux catégories. Néanmoins, depuis la mise en place du “World Fellowship of buddhists” à Ceylan, en 1950, beaucoup de bons esprits, tant en orient qu’en occident, utilisent le terme Theravada et non le terme Hinayana, pour désigner le type de bouddhisme qui est répandu dans l’Asie du Sud-est (Ceylan, Birmanie, Thaïlande et Cambodge). Seuls quelques retardataires utilisent encore le terme Hinayana. Le Mahayana se préoccupe essentiellement du Bodhisattvayana, c’est-à-dire le véhicule du bodhisattva. Mais il n’ignore pas pour autant les deux autres véhicules : Sravakayana et Pratyckabuddhayana. Par exemple, Asanga, fondateur du système Yogacara, dans son “opus magnum”, le Yogacara-bhumisastra, consacre deux sections au Sravakabhumi et au Pratyekabhumi, de la même façon qu’il consacre une section au Bodhisattvabhumi, ce qui montre bien que les trois “yanas” ont droit de cité dans le Mahayana. Mais l’état de sravaka ou de pratyekabuddha est inférieur à celui de bodhisattva. Ceci est en plein accord avec la tradition Theravada, laquelle prétend également qu’on peut devenir bodhisattva et, de là, atteindre l’état d’un Bouddha pleinement illuminé. Mais, si on ne le peut pas, il est possible d’atteindre l’état de pratyekabuddha ou de sravaka, suivant ses capacités. Ces trois états doivent être considérés comme trois réalisations sur le même chemin et, en fait, le Sandhinirmoca-nasûtra – qui est un sûtra du Mahayana – dit clairement que Sravakayana et Mahayana constituent un seul et unique yana (ekayana) et que ce ne sont pas deux “véhicules” distincts et différents.
Que signifient ces trois termes : sravaka, pratyekabuddha et bodhisattva ? Très brièvement, on peut dire que :
– Un sravaka est le disciple d’un Bouddha. Un disciple peut être un moine, une religieuse, un laïc ou une laïque. Mais, en vue de sa libération, un sravaka suit et pratique l’enseignement du Bouddha afin d’atteindre le nirvana. Il rend service aux autres, mais, dans ce domaine, ses aptitudes sont limitées.
– Un pratyekabuddha (Bouddha solitaire) atteint le nirvana seul et par ses propres moyens, dans une époque où il n’y a pas de Samyaksam-buddha, de Bouddha pleinement illuminé, dans notre univers. Lui aussi rend des services aux autres, mais sans pouvoir dépasser une certaine limite. Il est incapable de révéler la vérité aux hommes comme le fait un Samyaksambuddha.
– Un bodhisattva est un individu (religieux ou laïc) qui est à même d’atteindre le nirvana comme un sravaka ou un pratyekabuddha mais, parce qu’il a une immense compassion (mahâkaruna) pour les êtres vivants, il y renonce et continue à souffrir dans la chaîne samsarique pour le plus grand bien des autres ; il se perfectionne pendant une période de temps d’une longueur incalculable pour finalement atteindre le nirvana, devenir un arhant, un Samyaksambuddha, un Bouddha pleinement illuminé. Ayant découvert la vérité, il l’annonce au monde. Sa capacité d’aider les autres est illimitée.
La définition donnée par Asanga des trois yanika (adeptes des trois yanas) est édifiante et clarifie certains points.
D’après lui, un sravakayanika (celui qui utilise le véhicule des disciplines) vit suivant la règle des disciples, n’est pas doué par la nature de facultés remarquables, cherche sa propre libération par la pratique du détachement, obéit au Canon des disciples (Sravakapitaka), met en œuvre ses qualités majeures et mineures et, progressivement, met un terme à la souffrance.
Un pratyekabuddhayanika (celui qui prend le véhicule des Bouddhas solitaires) vit suivant la loi des Bouddhas solitaires, est doué de facultés modérées, recherche la libération par l’exercice du détachement, vise exclusivement à l’illumination par son développement mental, est attaché au Sravakapitaka, met en œuvre ses qualités majeures et mineures, est né à une époque où il n’y a pas de Bouddha dans notre univers et met progressivement un terme à la souffrance.
Un mahayanika (celui qui prend le Grand véhicule) est un individu qui vit en accord avec la règle des bodhisattvas, qui a des facultés remarquables, qui se penche sur la libération de tous les êtres, obéit au Canon des bodhisattvas, inspire les autres êtres vivants, s’épanouit dans le pur domaine des Bouddhas, reçoit des prédictions ou des expositions (vyakarana) des Bouddhas, et atteint, en fin de compte, la parfaite et totale illumination (Samyasambodhi).
II résulte de tout cela que celui qui aspire à devenir un Bouddha est un bodhisattva, un mahayaniste, même s’il vit dans un pays ou une communauté traditionnellement considéré comme Theravada ou Hinayana. De la même façon, un individu qui aspire à atteindre l’état de nirvana en tant que disciple est un sravakayanika, un hinayaniste, même s’il habite ou fait partie d’une communauté dite Mahayana. Il est donc ridicule de croire qu’il n’y a pas de bodhisattvas dans les pays Theravada et que tous les bodhisattvas se trouvent dans les pays Mahayana. Il n’est pas imaginable que l’état de sravaka ou de bodhisattva soit déterminé par des conditions géographiques.
De même, Asanga dit que lorsqu’un bodhisattva atteint finalement l’illumination, il devient un arhant, un Tathâgata (c’est-à-dire Bouddha). Il faut bien comprendre que non seulement un sravaka – disciple – mais également un bodhisattva, deviennent des arhant quand ils atteignent finalement la bouddhéité. La position du Theravada est strictement identique : le Bouddha est un arhant (araham sammasambuddho) “arhant, Bouddha totalement et parfaitement illuminé”.
Le Mahayana précise sans équivoque qu’un Bouddha, un pratyekabuddha et un sravaka (disciple) ne sont pas différents vis-à-vis de l’illumination (bodhi) du fait qu’ils sont débarassés de toute souillure et de toute impureté (klesavarana visuddhi). C’est l’état de vimuktikaya (libération du corps) qui est le même pour les trois catégories. Ceci veut dire qu’il n’y a pas trois nirvanas ou trois véhicules différents suivant la catégorie. Nirvana et Vimukti sont les mêmes pour tous. Mais seul un Bouddha (pas les sravaka no les pratyekabuddha) peut atteindre la libération complète des obstacles à la connaissance (jneyavaranavisuddhi), ce qui s’appelle également Dharmakaya (corps de Dharma).
C’est en cela, et en d’innombrables autres qualités et dons, que le Bouddha est incomparablement supérieur aux sravaka et aux pratyekabuddha.
Le point de vue Mahayana est tout à fait conforme au Tipitaka pâli Theravada. Dans le Samyuttanikaya, le Bouddha dit qu’un Tathâgata – c’est-à-dire un Bouddha et un bhikkhu – c’est-à-dire un sravaka ou disciple – libérés par la sagesse sont égaux quant à leur vimutti (libération) ; mais le Tathâgata est différent et se distingue du bhikkhu libéré en ce que lui, (le Tathâgata), découvre et montre le chemin (magga) qui était inconnu avant sa venue.
Les trois états de sravaka, pratyekabuddha et Bouddha sont mentionnés dans le Nidhikandasutta que l’on trouve dans le Khuddakapatha, le premier livre du Khuddakanikaya, qui est l’une des Cinq collections du Tipitaka Theravada. Il y est dit qu’en pratiquant les vertus comme la charité, la moralité, le contrôle de soi-même, etc, on peut atteindre, entre autres objectifs, “la perfection du disciple” (savakaparami), “illumination du pratyekabuddha” (paccekabodhi) et “le domaine de la bouddhéité” (Buddhabhumi). Il n’est point question ici de yanas (véhicules).
Dans la tradition Theravada, on parle de Bodhis et non de Yanas. Il existe un traité en pâli, le Upasakajanalankara, qui traite de l’éthique du laïc bouddhiste et qui a été décrit au douzième siècle par un vénérable (Thera) appelé Ananda, dans la tradition Theravada du Mahavihara d’Anuradhapura, à Sri Lanka. Il y est dit qu’il existe trois Bodhis : Savakabodhi (sanscrit: Sravakabodhi) et Sammasambodhi (sanscrit : Samyaksambodhi). Tout un chapitre est consacré à une discussion de détail de ces trois bodhis. Il y est dit également que, lorsqu’un disciple atteint la Bodhi (illumination), on l’appelle un Savaka-Bouddha (sanscrit : Sravaka-Bouddha).
Un disciple, même s’il n’a pas atteint l’état de Bodhi, est parfois appelé Suta-Bouddha s’il est exceptionnellement versé dans la connaissance du Tipitaka (Suta-Bouddha signifie Bouddha par la connaissance) – cette appellation est évidemment une appellation de courtoisie, en respectueuse reconnaissance de sa profonde érudition dans l’enseignement du Bouddha (1).
Le Theravada, exactement comme le Mahayana, place le bodhisattva dans la position la plus élevée. Le commentaire sur le Jataka, dans la tradition du Mahavihara d’Anuradha pura, nous en donne un bon exemple. Dans un passé lointain, à un nombre incalculable d’éons de distance, le Bouddha Gotama, au cours de sa carrière de bodhisattva, était un ascète du nom de Sumedha. En ce temps-là, il y avait un Bouddha du nom de Dipankara qu’il rencontra et sous la conduite duquel il acquit la possibilité de réaliser le nirvana en tant que disciple (sravaka). Mais Sumedha renonça à cette possibilité et décida, par une extraordinaire compassion pour le monde, de devenir un Bouddha comme Dipankara pour apporter le salut à tous les êtres vivants. Alors, le Bouddha Dipankara prédit que ce grand ascète deviendrait un jour un Bouddha, offrit huit bouquets de fleurs à Sumedha et l’honora du pradaksina (faire le tour de la personne vénérée en la gardant sur sa droite). Cette légende relative à Sumedha montre bien la position exceptionnelle qu’occupé le bodhisattva dans le Theravada.
Bien que le Theravada affirme que n’importe qui peut être un bodhisattva, il ne stipule ni ne recommande que tout le monde doit être un bodhisattva, objectif considéré comme théorique. C’est à l’individu de décider s’il prendra le chemin du sravaka, du pratyekabuddha ou du Samyaksambouddha. Mais il est en tout état de cause bien clairement précisé que l’état de Samyaksambouddha est supérieur aux deux autres qui ne sont pas, pour autant, négligés. En Birmanie, au douzième siècle de notre ère (la Birmanie est un pays de stricte obédience Theravada), Alaungsithu, roi de Pagan, après avoir construit le temple Shwegugyi, fit graver une inscription en vers pâli pour commémorer cet acte de piété. Dans cette inscription, il déclarait publiquement son intention de devenir un Bouddha et non un sravaka.
A Sri Lanka (Ceylan), au dixième siècle de notre ère, le roi Mahinda IV (956-972) proclame, dans une inscription, que seuls des bodhisattvas pourront devenir rois de Sri Lanka. D’où la croyance que ces rois étaient des bodhisattvas. Vers le cinquième ou le sixième siècle de notre ère, deux inscriptions rupestres trouvées à Vessagiriya (Sri Lanka) indiquent que deux personnes, à la suite de la réalisation d’un acte méritoire, ont manifesté leur désir d’atteindre la bouddhéité.
Un Vénérable (Thera) nommé Maha-Tipitaka Culabhaya, auteur du MilindaTika (vers le douzième siècle de notre ère) dans la tradition Theravada de Mahavihara d’Anuradhapua, dit à la fin de son livre, dans le colophon, qu’il aspire à devenir un Bouddha : Buddhobhareyyam : “Puissè-je devenir un Bouddha !” ce qui laisse entendre que cet auteur était un bodhisattva.
À la fin de certains manuscrits écrits sur des feuilles de palmier à Sri Lanka, on trouve le nom de plusieurs copistes qui ont transcrit leur désir de devenir des Bouddhas ; on doit les considérer également comme des bodhisattvas.
À la fin d’une cérémonie religieuse ou d’une manifestation de piété, le bhikkhu qui donne les bénédictions encourage généralement l’assemblée à poursuivre la recherche du nirvana en réalisant une des trois Bodhis : Sravakabodhi, Pratyekabodhi ou Samyaksambodhi, suivant le désir et en fonction des possibilités de chacun.
Il y a beaucoup de bouddhistes, aussi bien des bhikkhus que des laïcs, à Sri Lanka, en Birmanie, en Thaïlande et au Cambodge, pays qui sont d’obédience Theravada, qui font le vœu ou prennent la résolution de devenir Bouddhas pour apporter le salut aux autres. Ce sont, en fait, des bodhisattvas à des degrés différents de développement. On voit ainsi qu’en pays Theravada, tout le monde n’est pas Sravaka. Il y a également des bodhisattvas.
Il y a une différence non négligeable entre le Theravada et le Mahayana à propos de l’idéal du bodhisattva.
Le Theravada, bien qu’il considère l’idéal du bodhisattva comme le plus élevé et le plus noble, n’y consacre pas une littérature particulière. L’enseignement relatif à l’idéal du bodhisattva et à la carrière du bodhisattva est dispersé dans les ouvrages pâli.
Le Mahayana qui, par définition, s’intéresse essentiellement à l’idéal du bodhisattva, a non seulement été la source d’une littérature remarquable sur le sujet, mais a également créé une famille fascinante de bodhisattvas mythiques.
(1) (DA III (PTS), p 745; MA I, Tripitaka Publication Press, Colombo, 1933, p. 209).
Traduit de “Zen and the taming of the Bull”, Gordon Fraser, Londres, 1978, avec l’aimable autorisation de l’auteur. Réimpression des Cahiers du bouddhisme n°6.
http://www.buddhawiki.fr/bwiki/bin/view/RevuesDharma/D5A3
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Vénérable Walpola Rahula
Le vénérable Walpola Rahula, de Ceylan, se définit comme un moine bouddhiste, insistant par là sur ce fait que l’ordination monastique bouddhique est Une, au-delà des écoles. Érudit mondialement connu, il a été professeur à la Northwestern University de l’Illinois (U.S.A.) et chancelier de l’Université de Ceylan. Il a traduit en français l’Abhidharmasamuccaya, d’Asanga (École française d’Extrême-Orient, Paris 1971). Il est également l’auteur de ce best-seller qu’est “L’enseignement du Bouddha”, (Seuil, 1961)
On croit, très généralement, et tout particulièrement dans le monde occidental, que l’idéal du Theravada, que l’on confond Rentiers avec le Hinayana, est de devenir un arhant, tandis que celui du Mahayana est de devenir un bodhisattva avant d’atteindre finalement l’état de Bouddha. Cette façon de voir les choses est complètement erronée. Cette idée a été initialement répandue par les premiers orientalistes à une époque où on commençait à étudier le bouddhisme en occident, et leurs successeurs ne se sont pas donné la peine d’approfondir le problème par l’étude des textes et des traditions vivantes des pays bouddhiques. La vérité est que le Theravada, comme le Mahayana, considère l’état de bodhisattva comme son idéal.
Les termes de Hinayana (Petit véhicule) et Mahayana (Grand véhicule) n’existent pas dans la littérature pâli Theravada. On ne les trouve ni dans le Canon pâli (Tipitaka), ni dans les commentaires du Tipitaka, ni même dans les Chroniques pâli de Ceylan, le Dipavamsa et le Maha-vamsa. Le Dipavamsa (quatrième siècle de notre ère) et certains commentaires pâli mentionnent les Vitandavadins, certainement une secte de dissidents qui professaient des points de vue non orthodoxes sur certains passages de l’enseignement du Bouddha. Vitandavadin et Theravadin se réfèrent aux mêmes autorités et citent les sûtras du Tipitaka pour étayer leurs positions ; il y a seulement des différences d’interprétation. Le Mahâsamva (cinquième siècle de notre ère) et un commentaire de l’Abhidhamma citent les Vetulla ou Vitulyavadins (sanscrit : Vaitulyavadins) au lieu de Vitandavadins. À l’évidence des textes, il ne semble pas faux de considérer que les deux termes Vitanda et Vetulya désignent une seule et même secte ou école. L’Abidharma-sammucaya, texte philosophique Mahayana du quatrième siècle de notre ère, qui fait autorité, indique que les termes Vaitulya et Vaipulya sont synonymes et que le Vaipulya est le Bodhisattva-pitaka. Or, le Bodhisattva-pitaka est indiscutablement Mahayana. Donc, le Vaitulya désigne sans aucun doute le Mahayana.
Nous pouvons donc être assurés que les termes Vitanda et Vetulya, employés dans les chroniques pâli et dans les commentaires, se rapportent au Mahayana. Mais les termes Hinayana et Mahayana étaient inconnus, ou volontairement ignorés, on non reconnus officiellement.
Les érudits sont maintenant tous d’accord sur le fait que les termes Hinayana et Mahayana ont été introduits plus tard. Sur le plan historique, le terme Theravada existait bien avant que ces vocables voient le jour. Ce même terme Theravada, considéré comme l’enseignement original du Bouddha, a été introduit et s’est développé à Ceylan au cours du troisième siècle avant J-C., pendant le règne de l’empereur Asoka en Inde. À cette époque, on ne parlait pas de Mahayana, expression qui apparut beaucoup plus tard, au début de l’ère chrétienne. Sans Mahayana, il n’y avait évidemment pas de Hinayana. Le bouddhisme, qui s’implanta à Ceylan avec son Tipitaka et ses commentaires, et cela au troisième siècle avant J-C., y demeura intact comme Theravada et ne fut pas mêlé aux disputes entre hinayanistes et mahayanistes dont l’Inde fut le théâtre. Il semble donc illogique de faire entrer le Theravada dans l’une ou l’autre des deux catégories. Néanmoins, depuis la mise en place du “World Fellowship of buddhists” à Ceylan, en 1950, beaucoup de bons esprits, tant en orient qu’en occident, utilisent le terme Theravada et non le terme Hinayana, pour désigner le type de bouddhisme qui est répandu dans l’Asie du Sud-est (Ceylan, Birmanie, Thaïlande et Cambodge). Seuls quelques retardataires utilisent encore le terme Hinayana. Le Mahayana se préoccupe essentiellement du Bodhisattvayana, c’est-à-dire le véhicule du bodhisattva. Mais il n’ignore pas pour autant les deux autres véhicules : Sravakayana et Pratyckabuddhayana. Par exemple, Asanga, fondateur du système Yogacara, dans son “opus magnum”, le Yogacara-bhumisastra, consacre deux sections au Sravakabhumi et au Pratyekabhumi, de la même façon qu’il consacre une section au Bodhisattvabhumi, ce qui montre bien que les trois “yanas” ont droit de cité dans le Mahayana. Mais l’état de sravaka ou de pratyekabuddha est inférieur à celui de bodhisattva. Ceci est en plein accord avec la tradition Theravada, laquelle prétend également qu’on peut devenir bodhisattva et, de là, atteindre l’état d’un Bouddha pleinement illuminé. Mais, si on ne le peut pas, il est possible d’atteindre l’état de pratyekabuddha ou de sravaka, suivant ses capacités. Ces trois états doivent être considérés comme trois réalisations sur le même chemin et, en fait, le Sandhinirmoca-nasûtra – qui est un sûtra du Mahayana – dit clairement que Sravakayana et Mahayana constituent un seul et unique yana (ekayana) et que ce ne sont pas deux “véhicules” distincts et différents.
Que signifient ces trois termes : sravaka, pratyekabuddha et bodhisattva ? Très brièvement, on peut dire que :
– Un sravaka est le disciple d’un Bouddha. Un disciple peut être un moine, une religieuse, un laïc ou une laïque. Mais, en vue de sa libération, un sravaka suit et pratique l’enseignement du Bouddha afin d’atteindre le nirvana. Il rend service aux autres, mais, dans ce domaine, ses aptitudes sont limitées.
– Un pratyekabuddha (Bouddha solitaire) atteint le nirvana seul et par ses propres moyens, dans une époque où il n’y a pas de Samyaksam-buddha, de Bouddha pleinement illuminé, dans notre univers. Lui aussi rend des services aux autres, mais sans pouvoir dépasser une certaine limite. Il est incapable de révéler la vérité aux hommes comme le fait un Samyaksambuddha.
– Un bodhisattva est un individu (religieux ou laïc) qui est à même d’atteindre le nirvana comme un sravaka ou un pratyekabuddha mais, parce qu’il a une immense compassion (mahâkaruna) pour les êtres vivants, il y renonce et continue à souffrir dans la chaîne samsarique pour le plus grand bien des autres ; il se perfectionne pendant une période de temps d’une longueur incalculable pour finalement atteindre le nirvana, devenir un arhant, un Samyaksambuddha, un Bouddha pleinement illuminé. Ayant découvert la vérité, il l’annonce au monde. Sa capacité d’aider les autres est illimitée.
La définition donnée par Asanga des trois yanika (adeptes des trois yanas) est édifiante et clarifie certains points.
D’après lui, un sravakayanika (celui qui utilise le véhicule des disciplines) vit suivant la règle des disciples, n’est pas doué par la nature de facultés remarquables, cherche sa propre libération par la pratique du détachement, obéit au Canon des disciples (Sravakapitaka), met en œuvre ses qualités majeures et mineures et, progressivement, met un terme à la souffrance.
Un pratyekabuddhayanika (celui qui prend le véhicule des Bouddhas solitaires) vit suivant la loi des Bouddhas solitaires, est doué de facultés modérées, recherche la libération par l’exercice du détachement, vise exclusivement à l’illumination par son développement mental, est attaché au Sravakapitaka, met en œuvre ses qualités majeures et mineures, est né à une époque où il n’y a pas de Bouddha dans notre univers et met progressivement un terme à la souffrance.
Un mahayanika (celui qui prend le Grand véhicule) est un individu qui vit en accord avec la règle des bodhisattvas, qui a des facultés remarquables, qui se penche sur la libération de tous les êtres, obéit au Canon des bodhisattvas, inspire les autres êtres vivants, s’épanouit dans le pur domaine des Bouddhas, reçoit des prédictions ou des expositions (vyakarana) des Bouddhas, et atteint, en fin de compte, la parfaite et totale illumination (Samyasambodhi).
II résulte de tout cela que celui qui aspire à devenir un Bouddha est un bodhisattva, un mahayaniste, même s’il vit dans un pays ou une communauté traditionnellement considéré comme Theravada ou Hinayana. De la même façon, un individu qui aspire à atteindre l’état de nirvana en tant que disciple est un sravakayanika, un hinayaniste, même s’il habite ou fait partie d’une communauté dite Mahayana. Il est donc ridicule de croire qu’il n’y a pas de bodhisattvas dans les pays Theravada et que tous les bodhisattvas se trouvent dans les pays Mahayana. Il n’est pas imaginable que l’état de sravaka ou de bodhisattva soit déterminé par des conditions géographiques.
De même, Asanga dit que lorsqu’un bodhisattva atteint finalement l’illumination, il devient un arhant, un Tathâgata (c’est-à-dire Bouddha). Il faut bien comprendre que non seulement un sravaka – disciple – mais également un bodhisattva, deviennent des arhant quand ils atteignent finalement la bouddhéité. La position du Theravada est strictement identique : le Bouddha est un arhant (araham sammasambuddho) “arhant, Bouddha totalement et parfaitement illuminé”.
Le Mahayana précise sans équivoque qu’un Bouddha, un pratyekabuddha et un sravaka (disciple) ne sont pas différents vis-à-vis de l’illumination (bodhi) du fait qu’ils sont débarassés de toute souillure et de toute impureté (klesavarana visuddhi). C’est l’état de vimuktikaya (libération du corps) qui est le même pour les trois catégories. Ceci veut dire qu’il n’y a pas trois nirvanas ou trois véhicules différents suivant la catégorie. Nirvana et Vimukti sont les mêmes pour tous. Mais seul un Bouddha (pas les sravaka no les pratyekabuddha) peut atteindre la libération complète des obstacles à la connaissance (jneyavaranavisuddhi), ce qui s’appelle également Dharmakaya (corps de Dharma).
C’est en cela, et en d’innombrables autres qualités et dons, que le Bouddha est incomparablement supérieur aux sravaka et aux pratyekabuddha.
Le point de vue Mahayana est tout à fait conforme au Tipitaka pâli Theravada. Dans le Samyuttanikaya, le Bouddha dit qu’un Tathâgata – c’est-à-dire un Bouddha et un bhikkhu – c’est-à-dire un sravaka ou disciple – libérés par la sagesse sont égaux quant à leur vimutti (libération) ; mais le Tathâgata est différent et se distingue du bhikkhu libéré en ce que lui, (le Tathâgata), découvre et montre le chemin (magga) qui était inconnu avant sa venue.
Les trois états de sravaka, pratyekabuddha et Bouddha sont mentionnés dans le Nidhikandasutta que l’on trouve dans le Khuddakapatha, le premier livre du Khuddakanikaya, qui est l’une des Cinq collections du Tipitaka Theravada. Il y est dit qu’en pratiquant les vertus comme la charité, la moralité, le contrôle de soi-même, etc, on peut atteindre, entre autres objectifs, “la perfection du disciple” (savakaparami), “illumination du pratyekabuddha” (paccekabodhi) et “le domaine de la bouddhéité” (Buddhabhumi). Il n’est point question ici de yanas (véhicules).
Dans la tradition Theravada, on parle de Bodhis et non de Yanas. Il existe un traité en pâli, le Upasakajanalankara, qui traite de l’éthique du laïc bouddhiste et qui a été décrit au douzième siècle par un vénérable (Thera) appelé Ananda, dans la tradition Theravada du Mahavihara d’Anuradhapura, à Sri Lanka. Il y est dit qu’il existe trois Bodhis : Savakabodhi (sanscrit: Sravakabodhi) et Sammasambodhi (sanscrit : Samyaksambodhi). Tout un chapitre est consacré à une discussion de détail de ces trois bodhis. Il y est dit également que, lorsqu’un disciple atteint la Bodhi (illumination), on l’appelle un Savaka-Bouddha (sanscrit : Sravaka-Bouddha).
Un disciple, même s’il n’a pas atteint l’état de Bodhi, est parfois appelé Suta-Bouddha s’il est exceptionnellement versé dans la connaissance du Tipitaka (Suta-Bouddha signifie Bouddha par la connaissance) – cette appellation est évidemment une appellation de courtoisie, en respectueuse reconnaissance de sa profonde érudition dans l’enseignement du Bouddha (1).
Le Theravada, exactement comme le Mahayana, place le bodhisattva dans la position la plus élevée. Le commentaire sur le Jataka, dans la tradition du Mahavihara d’Anuradha pura, nous en donne un bon exemple. Dans un passé lointain, à un nombre incalculable d’éons de distance, le Bouddha Gotama, au cours de sa carrière de bodhisattva, était un ascète du nom de Sumedha. En ce temps-là, il y avait un Bouddha du nom de Dipankara qu’il rencontra et sous la conduite duquel il acquit la possibilité de réaliser le nirvana en tant que disciple (sravaka). Mais Sumedha renonça à cette possibilité et décida, par une extraordinaire compassion pour le monde, de devenir un Bouddha comme Dipankara pour apporter le salut à tous les êtres vivants. Alors, le Bouddha Dipankara prédit que ce grand ascète deviendrait un jour un Bouddha, offrit huit bouquets de fleurs à Sumedha et l’honora du pradaksina (faire le tour de la personne vénérée en la gardant sur sa droite). Cette légende relative à Sumedha montre bien la position exceptionnelle qu’occupé le bodhisattva dans le Theravada.
Bien que le Theravada affirme que n’importe qui peut être un bodhisattva, il ne stipule ni ne recommande que tout le monde doit être un bodhisattva, objectif considéré comme théorique. C’est à l’individu de décider s’il prendra le chemin du sravaka, du pratyekabuddha ou du Samyaksambouddha. Mais il est en tout état de cause bien clairement précisé que l’état de Samyaksambouddha est supérieur aux deux autres qui ne sont pas, pour autant, négligés. En Birmanie, au douzième siècle de notre ère (la Birmanie est un pays de stricte obédience Theravada), Alaungsithu, roi de Pagan, après avoir construit le temple Shwegugyi, fit graver une inscription en vers pâli pour commémorer cet acte de piété. Dans cette inscription, il déclarait publiquement son intention de devenir un Bouddha et non un sravaka.
A Sri Lanka (Ceylan), au dixième siècle de notre ère, le roi Mahinda IV (956-972) proclame, dans une inscription, que seuls des bodhisattvas pourront devenir rois de Sri Lanka. D’où la croyance que ces rois étaient des bodhisattvas. Vers le cinquième ou le sixième siècle de notre ère, deux inscriptions rupestres trouvées à Vessagiriya (Sri Lanka) indiquent que deux personnes, à la suite de la réalisation d’un acte méritoire, ont manifesté leur désir d’atteindre la bouddhéité.
Un Vénérable (Thera) nommé Maha-Tipitaka Culabhaya, auteur du MilindaTika (vers le douzième siècle de notre ère) dans la tradition Theravada de Mahavihara d’Anuradhapua, dit à la fin de son livre, dans le colophon, qu’il aspire à devenir un Bouddha : Buddhobhareyyam : “Puissè-je devenir un Bouddha !” ce qui laisse entendre que cet auteur était un bodhisattva.
À la fin de certains manuscrits écrits sur des feuilles de palmier à Sri Lanka, on trouve le nom de plusieurs copistes qui ont transcrit leur désir de devenir des Bouddhas ; on doit les considérer également comme des bodhisattvas.
À la fin d’une cérémonie religieuse ou d’une manifestation de piété, le bhikkhu qui donne les bénédictions encourage généralement l’assemblée à poursuivre la recherche du nirvana en réalisant une des trois Bodhis : Sravakabodhi, Pratyekabodhi ou Samyaksambodhi, suivant le désir et en fonction des possibilités de chacun.
Il y a beaucoup de bouddhistes, aussi bien des bhikkhus que des laïcs, à Sri Lanka, en Birmanie, en Thaïlande et au Cambodge, pays qui sont d’obédience Theravada, qui font le vœu ou prennent la résolution de devenir Bouddhas pour apporter le salut aux autres. Ce sont, en fait, des bodhisattvas à des degrés différents de développement. On voit ainsi qu’en pays Theravada, tout le monde n’est pas Sravaka. Il y a également des bodhisattvas.
Il y a une différence non négligeable entre le Theravada et le Mahayana à propos de l’idéal du bodhisattva.
Le Theravada, bien qu’il considère l’idéal du bodhisattva comme le plus élevé et le plus noble, n’y consacre pas une littérature particulière. L’enseignement relatif à l’idéal du bodhisattva et à la carrière du bodhisattva est dispersé dans les ouvrages pâli.
Le Mahayana qui, par définition, s’intéresse essentiellement à l’idéal du bodhisattva, a non seulement été la source d’une littérature remarquable sur le sujet, mais a également créé une famille fascinante de bodhisattvas mythiques.
(1) (DA III (PTS), p 745; MA I, Tripitaka Publication Press, Colombo, 1933, p. 209).
Traduit de “Zen and the taming of the Bull”, Gordon Fraser, Londres, 1978, avec l’aimable autorisation de l’auteur. Réimpression des Cahiers du bouddhisme n°6.
http://www.buddhawiki.fr/bwiki/bin/view/RevuesDharma/D5A3
http://portail-dhamma.com/lideal-du-bodhisattva-dans-le-theravada-et-le-mahayana
avec metta
gigi