Par Brad Warner, successeur désigné de maître Gudo Nishijima
La semaine dernière, un ami de plusieurs amis à moi, à Akron (Ohio) s'est donné la mort. Il s'appelait Tyler. Je l'ai probablement croisé aux environs du café Angel Falls où lors de l'un des repas végans de l'Akron Cooking Coalition. Mais je ne le connaissais pas vraiment. Plusieurs de mes amis le connaissaient, cela dit. Et ils sont bien tristes de le savoir parti.
Dans la foulée, on m'a demandé ce qu'était la position du Bouddhisme sur le suicide. C'est un peu comme ce que j'ai dit dans mon livre Sex Sin and Zen à propos de l'avortement. Je ne sais pas vraiment. Mais le fait que je ne sache pas vraiment en dit long sur la position du Bouddhisme. Imaginez quelqu'un qui aurait étudié et pratiqué le Catholicisme pendant trente ans, par exemple et qui ignorerait la position de l'Eglise sue le suicide ou l'avortement. Cela serait impossible parce qu'il s'agit là de problèmes particulièrement brûlants pour les catholiques. Le fait que je n'aie pas de réponse toute faite montre que, pour les bouddhistes de la tradition Zen, ce ne sont pas là des problèmes très délicats. Je ne me rappelle avoir vu nulle part que Dôgen parle du suicide dans aucun de ses textes. J'ai décidé de ne pas googler la réponse avant d'écrire ceci pour que mes opinions non-googlisées puissent jeter là-dessus une lumière différente de celle des factoïdes que n'importe qui pourrait découvrir en ayant cherché sur la Toile pendant trois minutes.
Les suicides très médiatiques par auto-immolation (se faire cramer) de certains moines bouddhistes lors de la guerre du Vietnam et ailleurs ont pu induire à croire de façon erronée que le Bouddhisme considère le suicide comme un acte noble; ce qui est faux. Les bouddhistes considèrent généralement le suicide comme quelque chose à éviter, car ils pensent que cet acte tend à entraîner une renaissance moins favorable. Je crois qu'il est au nombre des "actions difficile à surmonter" dans l'un des discours du Bouddha. Ce n'est pas qu'on croie qu'on est condamné à l'enfer pour l'éternité, lorsqu'on se donne la mort, comme dans la tradition catholique. Mais on pense qu'on crée par là des conditions qui feront que la prochaine existence sera plus difficile encore que celle qu'on choisit de terminer prématurément. Cela, parce que se suicider est cause d'énormément de souffrance et de douleur pour ceux qui connaissent et aiment la personne qui fait ce choix.
Je prends moi-même tous ces trucs sur la renaissance avec un gros grain de sel. Même si nous renaissons réellement après la mort, comment peut-on dire quelle sera la vie prochaine d'une personne juste à cause du fait qu'elle s'est suicidée? La vie d'un individu est bien davantage que la seule façon dont elle prend fin. Pour ceux qui croient en la renaissance, c'est l'entièreté de la vie d'une personne qui détermine comment il ou elle renaîtra, pas juste la dernière chose qu'elle a faite.
Lorsqu'on parle de suicide, les vagues spéculations sur la renaissance ne servent à rien. C'est une façon d'éviter la vraie question qui est: que fait-on lorsque quelqu'un qu'on apprécie se donne la mort? Personne ne sait jamais quelle est la chose juste à dire ou à faire quand ça se passe. Il est bien plus important de soutenir les survivants. En fait, je dirais que discuter de quelle sorte de vie la personne aura est la chose la moins aidante du monde.
Je suis passé dangereusement près de mettre fin à mes jours, un beau matin de printemps, en 1992. Ma vie n'était que de la merde. j'habitais dans une maison de punks décrépite à Akron, Ohio. Ma copine venait de me larguer. Je n'avais pas le rond, aucune compétence, pas d'avenir. J'avais publié cinq disques sur une étiquette indépendante, qui avaient reçu de bonnes critiques, mais n'avaient abouti nulle part en terme de ventes. Mon rêve de gagner ma vie comme auteur de chansons et comme musicien n'allait de toute évidence jamais se réaliser. J'avais le sentiment que ma seule perspective était de mener une existence misérable dans le Midwest boueux.
Belle vue aérienne du barrage dans le parc métropolitain d'Akron
J'ai mis une longueur de corde dans le coffre de ma voiture et je me suis rendu dans le Gorge Metro Park, juste au bout de la rue où j'habitais. Mon plan était d'accrocher cette corde à un arbre solide, le plus loin possible des promeneurs et de m'y pendre. Mais en sortant de la voiture, j'ai vu des gamins qui jouaient dans le champ, juste à côté du parking. Je me suis rendu compte que jamais je ne trouverais un endroit suffisamment éloigné du sentier pour que jamais un petit en ballade, un jeune couple en train de se chercher un endroit discret, ou un veuf avec son panier de pique-nique et la photo de son épouse décédée, ne m'y trouvent. C'est alors que j'ai pensé à ma mère et combien elle serait tourneboulée si je me suicidais. Et j'ai pensé à mon pote “Iggy” Morningstar qui s'était flingué dix ans avant et que je ne l'avais pas encore digéré. J'ai remis la corde dans le coffre et je me suis rentré.
Ce jour m'a changé à jamais. J'ai décidé de vivre. Mais j'ai aussi décidé de ne jamais plus être lié par quoique ce soit qui se situait avant ce jour. J'ai décidé que, conceptuellement, je m'étais déjà tué. A partir de là, je pouvais faire n'importe quoi, absolument tout ce que je voulais.
Toutes les meilleures choses que la vie m'ait offertes sont arrivées depuis ce jour. Des choses si incroyables que parfois je me demande si je ne suis pas le personnage principal de quelque film existentialiste dément où, à la fin, le public se rend compte que je m'étais réellement pendu, ce jour-là.
Si vous considérez le suicide, mon conseil est d'y aller et de vous tuer. Mais ne le faites pas avec une corde, un flingue ou un couteau, voire une poignée de pilules. Ne le faites pas en détruisant votre corps. Faites-le en retranchant votre vie antérieure et en allant dans une direction complètement nouvelle. Je sais que ce n'est pas facile. Je sais que cela peut même paraître impossible. Si vous m'aviez posé la question avant ce jour de printemps de 1992, je vous aurais dit qu'il m'était absolument impossible de faire une seule des choses que j'ai faites depuis ce jour. Au début, on aurait pu croire que j'avais raison, qu'il était impossible de me sortir de la mélasse dans laquelle j'étais. Il m'a fallu plus d'un an d'efforts très grands avant que les choses se mettent à changer ne fut-ce qu'un peu. Mais lorsqu'elles s'y sont mises, elles ont vraiment changé.
Peut-être n'en êtes-vous pas encore là, cependant. Peut-être êtes-vous juste coincé en train de tenter d'imaginer comment réagir à la nouvelle que quelqu'un qui vous était cher a décidé de mettre fin à sa propre vie. Peut-être voulez-vous juste une explication. Peut-être voudriez-vous juste que les choses reviennent comme avant. Peut-être souhaiteriez-vous avoir fait quelque chose ou dit quelque chose de différent, avoir été présent au bon moment pour pouvoir éviter cela.
Vous n'êtes pas seuls. Tous ceux qui ont eu connu quelqu'un qui s'est suicidé ont eu les mêmes questions et se sont fait les mêmes reproches. Mais sachez que ce ne sont là que des pensées. Ce n'est pas réel. Cela ne signifie pas grand-chose. Le cerveau humain aime organiser les choses. Il tente de son mieux de donner du sens à ce qu'il croise. Mais il y a des choses qui n'ont aucun sens. Nous n'aimons pas cela, mais c'est la vérité.
Il est difficile de lâcher prise de ces sortes de pensées, Mais c'est la seule façon de les traiter. Elles ne mènent à rien. Elle ne sont d'aucune aide. Lâcher prise est plus vite dit que fait. Si vous trouvez impossible de lâcher prise même si vous le voulez, alors lâchez prise du lâcher prise. Laissez tomber le fait que vous ne pouvez pas laisser tomber et faites autre chose, de toute façon. Tout ce que vous pourrez faire sera probablement très bien. Allez voir un film, faites une promenade, regardez les canards, allez bosser. C'est tout bon. Juste parce que vous ne vous lamentez pas selon un stéréotype socialement agréé ne signifie rien.
Faites attention à vous.
(Source: http://hardcorezen.info/the-buddhist-view-on-suicide/1618)