Zen et nous

Le zen, sa pratique, ses textes, la méditation, le bouddhisme, zazen, mu

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    Brad Warner sur la vie de Dôgen

    Yudo, maître zen
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    Message par Yudo, maître zen Mar 12 Avr 2016 - 10:06

    Bonjour

    Je vais partager avec vous un autre texte de Brad Warner où il parle de Dôgen et de sa vie.
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    Quel genre de type était Dôgen ?
    Publié par Brad Warner le 5 avril 2016
    Brad Warner sur la vie de Dôgen Dogen01-118x150

    Mon dernier livre, Don't Be a Jerk (« Ne soyez pas minable ») fait alterner des paraphrases du Shôbôgenzô de Dôgen, un classique bouddhiste japonais vieux de 800 ans, et de courts chapitres sur des sujets en rapport avec l'étude de Dôgen, l'auteur. J'ai écrits quelques chapitres qui ont été supprimés à la publication. Ils me donnaient juste l'impression de ne pas avoir leur place. Mais il en reste une paire qui conservent leur intérêt, je pense. En voici un. J'ai inclus quelques morceaux de ce chapitre dans la version finale du livre, mais la plus grande partie n'y est pas. Profitez-en.

    Aurais-je seulement aimé Dôgen ? En personne, je veux dire ? Je suppose que c'est une idée bizarre, vu qu'il est mort 800 ans avant même que je sois né. Je ne pourrai jamais le rencontrer ailleurs que dans les mots qu'il a laissés derrière lui, et ça, je l'ai déjà fait. J'aime ses paroles. Mais l'aimerais-je, lui ?

    Peut-être pas. Il donne parfois l'impression d'avoir été un connard coincé, arrogant et maniaque des règlements. Mais encore une fois, les personnes qui ne me connaissent que par mes livres et mon blog disent que je donne une impression de connard dans ce que j'écris, mais que je suis vraiment un chic type en personne. Donc, qui sait ? Peut-être que Dôgen et moi aurions pu nous entendre et être potes.
    Le fait demeure que nous ne savons pas quel genre de personne il était et nous ne le saurons jamais.

    Même après avoir tant lu sur et par Dôgen que je l'ai fait, je me demande encore parfois quel genre de type il était. Si je pouvais d'une quelconque manière le rencontrer en personne, pourrions-nous être amis ? Ou est-ce que je le trouverais juste ennuyeux et insupportable ? Me trouverait-il indiscipliné et bizarre ? Je n'en sais vraiment rien.

    Il ne révèle pas grand-chose de son histoire personnelle dans ses écrits, du moins en termes du XXI° siècle, quoiqu'en comparaison avec les autres auteurs bouddhistes de son temps, il nous en dit beaucoup. Une chose très significative que nous savons de lui est qu'il est mort jeune. Il est triste qu'il soit mort à 53 ans seulement. Mais je trouve intéressant, pour ma part, que, parce qu'il est mort si prématurément, nous lisons les mots d'un très jeune homme  — surtout en termes d'années de maître zen. Notre image stéréotypée d'un maître zen est celle d'un personnage ancien et ridé à la Yoda aux rares cheveux blancs, trottinant appuyé sur une canne tout en répandant sa grande sagesse cosmique d'une voix râpeuses burinée par le temps. En fait, la plupart de nos grands maîtres zen étaient très vieux lorsqu'ils ont écrit leurs livres les mieux connus ou prononcé leurs sermons les plus répétés.

    Malheureusement, pour Dôgen, il n'en a jamais été ainsi. Il n'avait que 27 ans lorsqu'il a écrit les chapitres les plus anciens du Shôbôgenzô et se trouvait dans la quarantaine lorsqu'il en écrivit les dernières partie importantes. Donc, non seulement lisons nous les œuvres d'un homme profondément éveillé, mais ce sont celles d'un assez jeune homme, en plus. Il n'avait pas encore perdu la plupart de l'effronterie et de l'impatience de la jeunesse lorsqu'il a composé ces textes que vous lisez. Et je pense que cela se sent vraiment.

    En plus l'époque où vivait Dôgen était extraordinairement différente de la nôtre. Il n'y avait aucun véhicule automobile d'aucune sorte, pas d'électricité, de téléphone, de chauffage central ni d'air climatisé. Pas non plus de lotion anti-moustiques, ni désodorisant, ni supermarchés, ni de toilettes à chasse. Nous trouvons notre époque « politiquement turbulente » parce que nos élus n'arrivent pas à se mettre d'accord sur le vote du budget, mais à l'époque de Dôgen, toute personne qui faisait de la politique à un quelconque niveau avait constamment peur pour sa vie. Le propre père de Dôgen a probablement été victime d'un assassinat politique. On se demande encore qui a assassiné Kennedy, mais aux temps de Dôgen, il y avait trop d'assassinats politiques pour seulement tenter d'en tenir la liste.

    (à suivre)
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    Message par Yudo, maître zen Mar 12 Avr 2016 - 15:30

    (Deuxième partie)

    Lorsque Dôgen a fondé ses temples au Japon, la variété Zen du Bouddhisme était encore pratiquement inconnue. L'école ne jouissait pas du soutien de l’État comme c'était le cas pour le Bouddhisme Tendaï. Les temples Zen étaient tolérés, mais traités avec suspicion par les tenants du pouvoir politique et comme des intrus potentiellement dangereux par l'establishment Tendaï. C'est probablement ce qui a conduit Dôgen et son groupe à tirer leur révérence de leur temple en dehors de Kyôto et de marcher en groupe des centaines de kilomètres, chargés de tous leurs sûtras, leurs cloches et tout le bazar, jusqu'aux lointaines montagnes de la province d'Echizen  (aujourd'hui appelée Fukui) pour s'installer dans un nouvel endroit.

    Même à Kyôto ça pouvait être chaud, à l'époque. Il n'y avait pas de police et le règne de la loi n'existait presque pas. Vice, corruption, intimidation et meurtre étaient la façon dont se passaient les choses. Le temple de Dôgen ressemblait probablement plus à une église improvisée à l'époque hors la loi du Wild West qu'au genre extrême-oriental de lieu saint et serein que nous tendons à imaginer.

    De plus, comme je l'ai mentionné par ailleurs, ses moines étaient généralement de jeunes campagnards. Ils avaient vécu des vies difficiles avant d'entrer au temple, et pour eux, l'expression « prendre refuge » n'était pas juste une métaphore comme ce l'est pour nous aujourd'hui. Ils tentaient littéralement de trouver un endroit qui leur permette d'échapper à un niveau de désordre et de chaos que la plupart d'entre nous ne pourrions même pas imaginer. Ils leur fallait travailler dur pour être autosuffisants. Rien ne leur était assuré.

    Tout cela a formé la personnalité de Dôgen de façons que nous, au XXI° siècle,  ne pourrons jamais vraiment apprécier. Donc, si parfois il nous semble soupe-au-lait ou qu'il nous fait penser à un surveillant-général, ou qu'il nous donne l'impression d'être obsédé par la précision de certains détails de comportement et d'organisation dans le temple, je lui donne toujours le bénéfice du doute. Je ne crois pas que j'aurais eu la force ni la résilience de faire ce qu'il a fait. Je doute que même les plus forts d'entre nous aujourd'hui y seraient arrivés. Nous croyons que nos grand-parents étaient solides pour avoir survécu à la Grande Dépression. L'époque de Dôgen ferait passer la Grande Dépression pour une promenade dans le parc.

    Dôgen est né en 1200 EC. Il était probablement le fils illégitime d'un haut personnage de la cour. Personne ne connaît son nom personnel. Buppô Dôgen n'est que le nom de Dharma qu'on lui a donné quand il est entré dans un monastère Tendaï à 12 ans. Buppô signifie « Bouddha-Dharma » et Dôgen signifie « Chemin-Source ». Plus tard, lorsqu'il fonda le temple Eihei-ji, on l'appela Eihei Dôgen, et c'est ainsi qu'on le connaît habituellement aujourd'hui. Le père de Dôgen mourut alors qu'il n'avait que deux ans, et sa mère alors qu'il en avait sept. Cet événement, dit-il plus tard, lui fit réaliser l'impermanence de la vie et le décida à se consacrer à la voie bouddhique.
    Mais il se trouva insatisfait des enseignements et des pratiques de l'école Tendaï, dont nous aurons remarqué qu'elle était la principale forme de Bouddhisme alors pratiquée au Japon aux temps de Dôgen. Si ce que disent de nous les textes bouddhiques était vrai, à l'effet que nous sommes parfaits tels que nous sommes, alors il voulait savoir pourquoi il nous faut pratiquer dur et méditer. Aucun des moines ne put lui répondre.

    Quelques années plus tard, un peu plus agé, il termina sa formation de moine et se mit en « quête du Dharma » en allant visiter tous les temples auxquels il pouvait avoir accès. Il finit par entendre parler d'un maître appelé Eisai qui faisait partie de l'école Rinzaï du Bouddhisme zen. Eisai était le premier Japonais à détenir ce titre. Dôgen se trouva fort impressionné par l'approche réaliste, au raz des pâquerettes d'Eisai. Malheureusement, Eisai mourut avant que Dôgen ne puisse devenir son disciple. Il devint donc le disciple du successeur d'Eisai,  Myôzen, alors qu'il n'avait encore que 17 ans.

    A 21 ans, Dôgen reçut de Myôzen un certificat de pleine réalisation. Mais Myôzen lui-même voulait approfondir ses connaissances et décida d'aller pour cela en Chine. Le jeune Dôgen l'avait tant impressionné qu'il l'y emmena avec lui.

    En 1223 Myôzen, Dôgen et deux autres étudiants de Myôzen s'embarquèrent pour le dangereux voyage à travers la Mer du Japon dans un voilier en bois au milieu de vagues déferlantes qui firent se demander au jeune Dôgen s'il survivrait à ce voyage. Ils y arrivèrent mais les problèmes de Dôgen ne faisaient que commencer.

    A cause d'un tas d'irrégularités légales, Dôgen fut forcé de demeurer à bord du bateau pendant plus d'un mois. C'est là qu'il rencontra pour la première fois le Zen chinois sous la forme d'un vieux moine qui avait parcouru de longues distances, probablement à pied, pour acheter des champignons japonais pour son temple. Ce moine fit une forte impression sur Dôgen de par son ardeur pour son travail, en dépit de son âge et de son apparente fragilité. Plus tard, un autre moine chinois ferait lui aussi une forte impression sur Dôgen dans un autre épisode champignonesque que nous connaissons aussi.

    (à suivre)
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    Message par Yudo, maître zen Mar 12 Avr 2016 - 16:59

    (Troisième partie)

    Enfin, Dôgen eut l'autorisation de quitter le navire. Il visita un nombre de temples en Chine, mais la plupart le laissèrent froid. Il trouva que bon nombre d'entre eux étaient corrompus et que leurs enseignants se contentaient de donner le spectacle d'un maître zen éveillé sans réellement savoir grand-chose. Juste au moment où il s'apprêtait à faire ses bagages et rentrer, il entendit parler d'un  maître  appelé Tendô Nyôjo (Ch. Tiantong Rujing 1162-1228 EC) et décida d'aller voir.

    Tendô Nyôjo se révéla être un maître de la lignée du Zen Sôtô. Jusqu'alors, Dôgen n'avait jamais rencontré que des enseignants de la lignée de Rinzaï. La philosophie de Nyôjo était que zazen n'était pas un moyen de rechercher l'Eveil, mais était l'Eveil lui-même. Cette idée captiva Dôgen qui demanda à Nyôjo d'être son maître. Nyôjo accepta.

    A l'automne 1227, Dôgen reçut de Nyôjo un certificat de transmission du Dharma qui faisait de lui le premier Japonais à s'inscrire dans la lignée du Zen Sôtô. Il rentra au Japon peu après et débuta sa carrière d'enseignant.
    Il fonda un temple près de Kyôto. Mais comme je l'ai déjà mentionné, il dut l'abandonner quelques années plus tard pour des raisons qui restent obscures. Il paraît curieux qu'avec tout ce qu'il a pu écrire d'autobiographique, Dôgen n'ait jamais jeté sur le papier les raisons pour ce déménagement soudain et très pénible. Ceci me fait soupçonner encore plus qu'il ait pu être obligé de quitter Kyôto et qu'il aura pensé qu'il valait mieux ne pas dire publiquement pourquoi, pour ne pas empirer la situation.

    Il fonda un temple dans la province d'Echizen, désormais appelée Préfecture de Fukui. Au début, il l'appela monastère Daibutsu (Grand Bouddha) mais le renomma plus tard Eiheiji (Temple de la Paix Eternelle). Quelque part à la fin de la quarantaine, Dôgen se mit à ressentir l'effet d'une maladie chronique. Au bout d'un certain temps, il fut évident qu'il avait besoin de traitements médicaux de meilleure qualité que ce dont il pouvait disposer dans la solitude de l'Echizen, et on le ramena donc à Kyôto. Mais trop tard. Il mourut à Kyôto âgé de 53 ans.

    Au cours de sa courte vie, il a beaucoup écrit. On considère généralement le Shôbôgenzô comme son chef-d'oeuvre, mais le Eihei Koroku, les Relations détaillées du Temple Eihei-ji, est aussi un texte important. Il est essentiellement composé de transcriptions de conférences données par Dôgen à ses moines de Eihei-ji, mais il contient aussi une partie des poèmes de Dôgen et autres œuvres. Il a aussi produit un groupe de textes contenant ses instructions détailles pour les responsables du temple, groupe dont les sections philosophiques sont considérées comme étant de valeur égale à celles du Shôbôgenzô. Le bonhomme a vraiment beaucoup écrit !

    Et pourtant, nous ne savons toujours pas quel sorte de personne était Dôgen. Il y a quelques années, un bio-pic sur sa vie a été produit au Japon (j'apparais pendant une nano-seconde dans les bonus du DVD, mais vous pouvez le voir gratis sur https://www.youtube.com/watch?v=8s5Uz8XSc-Y. On l'y dépeint comme une sorte de moine gentil, à la voix douce et aux bonnes manières. Mais je ne suis pas sûr qu'il ait été tout à fait cela.

    Quand je lis ses œuvres, j'imagine un jeune un peu remonté qui a probablement lu davantage que ce qui était vraiment bon pour lui. Si je devais trouver un acteur pour le représenter dans un film, je choisirais plutôt quelqu'un comme Ian MacKaye. Il aimait aussi beaucoup les jeux de mots. Je me demande souvent s'il faisait rire son public lors de ses prêches. Je suis sûr que son public était conditionné à se montrer bien discipliné et respectueux envers un maître bouddhiste. Mais j'ai du mal à imaginer qu'il ait pu parler de la façon qui est montrée dans certaines parties du Shôbôgenzô sans leur tirer au moins quelques gloussements. Peut-être fut-il le premier comique de scène Zen.

    Même si je ne puis en rien être sûr de quelle sorte de type était Dôgen, je lui suis reconnaissant de tous ses efforts pour tenter de transmettre jusqu'à nous son entendement à travers les siècles.

    (Fin)

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