Si l'on me demande: «Qu'est le véritable esprit de méditation?» je répondrai qu'il consiste à maintenir en tout temps un cœur bienveillant et compatissant, que l'on parle ou que l'on remue son coude en écrivant, que l'on soit en mouvement ou en repos, que la chance soit bonne
ou mauvaise, que l'on soit dans l'honneur ou dans la honte, en gain ou en perte, dans le bien ou le mal, ramassant tous ces éléments en une seule strophe, dirigeant et concentrant son énergie avec la force d'un roc de fer sous le nombril et la partie inférieure de l'abdomen.
Ce dont il importe de se souvenir avant tout, c'est que le premier devoir est d'observer la discipline correcte, seul, dans son propre cœur, et qu'il ne faut pas choisir et adopter pour la satisfaction de ses propres désirs égoïstes l'une ou l'autre des deux conditions de vie - j'entends, celle de l'activité et celle du calme. On est parfois tenté de penser que la vie de calme nous aide à progresser au-delà même de nos espoirs, tandis que la vie active ne nous semble d'aucun secours, mais celui qui poursuit la vie calme s'apercevra tôt ou tard qu'il est incapable de prendre aucune part à la vie active.
Si un homme qui a mené la vie de calme doit à un moment ou à un autre entrer dans la vie active, avec ses contingences matérielles, il peut s'apercevoir qu'il perd entièrement tous les avantages des pouvoirs qu'il avait atteints dans son tranquille lieu de méditation. Il verra qu'il a perdu toute la vitalité spirituelle qu'il croyait avoir acquise. Il sera même inférieur, sans doute, à l'homme averti des choses de ce monde, mais qui n'a prêté aucune attention aux affaires spirituelles de la vie de calme.
La véritable discipline de l'introspection nous enseigne à nous rendre compte que «la vérité inexprimable, absolue", dont parlait Jo-Shu, doit être identifiée avec les éléments mêmes que nous voyons dans nos propres personnes, dans nos propres corps. La véritable pratique de l'introspection est - pour ma part - fixée sous le nombril, centre respiratoire de l'abdomen, le bassin et la plante des pieds pris ensemble ou combinés l'un à l'autre.
L'art de conserver la vie est comparable à l'art de protéger un pays. Ce que nous appelons « l'esprit" serait le prince, ce que nous appelons ~~âme" serait un ministre d'État et ce que nous appelons «la pensée" serait la population. Tout comme la population est le moyen de perfectionner l'État, le soin porté au traitement de l'âme et de la pensée est le moyen de perfectionner le corps. Quand le peuple est mené à la dilapidation, le pays périt. Quand la pensée est exténuée, le corps meurt.
C'est pourquoi un prince sage met au fond de son propre cœur [ses désirs].
Quand, dans le bas de l'abdomen, tout est établi aussi immuablement qu'un rocher, avec une persistance intense, alors, on n'y trouvera pas un iota de pensée illusoire, pas un atome de désir ou de convoitise, pas un demi-point de désirs romantiques. Alors le ciel et la terre sont à vos ordres, l'univers est le coursier que l'on monte, on suivra la discipline avec assiduité, on sera dur et ferme comme le mont Ko-Ju et comme le miséricordieux et bienveillant océan. Bouddha lui-même ne pourrait insérer ses mains à l'encontre d'un tel homme. Les démons ne pourraient guetter pareille personne. Jour après jour, celui-là pourrait accomplir dix mille bonnes œuvres sans fatigue. On l'appellera un enfant reconnaissant du Bouddha.
Hakuin