Bonsoir Fenrir, et tout le monde.
Ta réticence me semble un symptôme qui existe chez plusieurs personnes, et un signe des temps face à une évolution de la pratique depuis plusieurs années, qui suscite à la fois critiques, résistances, doutes, espoirs, un mouvement de rigidification d'une logique de système d'un côté, et de volonté de liberté individuelle de l'autre.
Pour ma part, je me suis donné à la pratique en groupe, puis je me suis confronté à la pratique seul. Mais après cette formation.
Attention, quand je parle du zen strong, c'est qu'il y a une tendance chez certains à proposer(imposer?) une pratique dite "strong", qui à mon avis est rigide, basée sur trop de volontarisme et pas assez de détente, et qui correspond à tout un imaginaire sur le zen japonais et son ambiance austère voire martiale, mais qui à mon avis ne libère de rien, sauf de quelque argent, de temps.
Il y a forcément un risque à prendre dans la confrontation à l'autre. Aussi le risque de la déception.
Mais l'on pourrait se demander si l'engouement pour la pleine conscience et une pratique axée vers le mieux-être ne pourrait pas poser la question d'une pratique tendant vers un absolu de l'Eveil, qui peut être en fait un nouveau mythe dans lequel on s'emprisonne, pour en fait ne pas affronter le monde et ses turpitudes, et s'enfermer dans son monde intérieur, sa respiration, son auto observation, bref, un autocentrage au nom de l'éveil à la réalité ultime qu'on enferme dans sa chambre.
Après, on peut aussi être rétif à entrer dans un groupe où le fonctionnement est rentré dans le ronron d'un hyperconservatisme d'une pratique destinée à alimenter un système de pouvoir : pouvoir du maître, du responsable, où au nom de l'éveil on dira de renoncer à sa propre vie pour donner temps, argent, énergie au dojo.
Je présente à dessin les cas extrèmes, mais ils existent réellement, il faut donc ne pas se leurrer.
L'important, est de clarifier à chaque fois ce qu'on veut vraiment vivre, et aussi de démonter les mythes qu'on se construit au sujet de la pratique. Il est vrai que pour cela, rencontrer d'autres pratiquants peut largement aider à relativiser ce qu'on vit seul.
Il ne faut pas croire que le zen échappe aux crises de notre civilisation : il est frappé comme tout le monde. Cela veut dire qu'il y a des défis à relever : quelle est le sens et la forme d'une tradition ancienne dans un monde moderne? Que garder, que ne plus garder?
Il faut aussi se rappeler pourquoi l'on a décidé de pratiquer, et se le rappeler souvent. Et aussi vivre, sa vie normale, se confronter aux autres, résoudre ses problèmes...et ne pas trop s'en vouloir de ne pas coller à un idéal.
Je ne crois pas qu'on ne convienne pas à une voie. Le maître de Ryokan écrit à propos de lui : "O Ryo, tu es comme un idiot, mais ta grande voie est large!"
Car oui, le pire c'est de voir que tout ce qu'on construit autour de ce qu'on pense être "notre" voie, tombe par terre en morceaux. Or, la réalité ne fera pas de cadeaux : les illusions tomberont. Mais elle fera aussi de grands cadeaux : quand on rentre dans la réalité sans ses illusions, on vit sa vie plus réellement. Notre voie, c'est vivre la réalité. Vivre la réalité, même zazen n'est pas nécessaire pour cela.
Si l'on comprend cela, alors quand on s'assied, on peut se rendre compte qu'à chaque fois on le choisit, on le désire, et que ce choix et ce désir se dissolvent en eux-mêmes, en nous-mêmes, et qu'on peut vivre avec choix et désir, sans plus souffrir. On n'a plus besoin de faire zazen pour se libérer.
On vit la liberté dans zazen, hors de zazen, et fini de se faire du mal avec encore des devoirs à faire.
Aimer la vie, c'est être libre.
Après, que certains veuillent pratiquer pour le bien-être, c'est bien mieux que vouloir exploiter les autres, dire du mal, faire du mal. Chacun peut trouver la pratique qui lui va.
La dimension ultime c''est bien, mais la dimension relative n'en est jamais absente.