Publié par Brad le avril 2016
Parfois on m'écrit pour me demander s'il y a une façon "zen" spéciale pour traiter des pensées obsessionnelles ou récurrentes.
Avec ce genre de question, il n'y a généralement aucun moyen de savoir qui demande. Je ne sais donc pas si je correspond avec quelqu'un dont l'obsession serait de tripoter le caniche à Obama, afin d'impressionner un lapin qui parle du nom d'Horace, ou si c'est juste quelqu'un qui pense tout le temps au fromage et voudrait s'arrêter. Je vais donc essayer d'être prudent.
Pour commencer, il n'y a aucun truc zen spécial pour les pensées récurrentes. Je suis incapable de vous fournir une jolie petite ordonnance, du genre frottez-vous la plante des pieds ensemble, tirez la langue et mettez vous un sac de glace sur la tête pendant
minutes, et les pensées s'en iront. Si c'est le genre de truc que vous cherchez, vous feriez mieux de demander à un psy.
Même là, il y a trois choses que j'ai apprises de ma pratique avec mes propres obsessions récurrentes. La première, toutes les pensées ne sont que des pensées. La seconde, il n'y a aucun moyen de s'extirper d'une pensée par la pensée. Et la troisième, vous n'avez pas à croire vos propres pensées.
Nous tendons à classer nos pensées par ordre d'importance. Nous tendons à croire que certaines valent mieux que d'autres. Et c'est probablement exact, dans une certaine mesure. Mais si on pousse cette notion trop loin, on est susceptible de tenter d'utiliser ses pensées pour vaincre d'autres pensées.
Disons par exemple que vous avez une obsession de fromage. La pensée vous vient d'un délicieux morceau de vieux Cheddar anglais d'appellation contrôlée. Mais vous ne voulez pas de cette pensée. Surgit alors une autre pensée: "Je ne veux pas penser au fromage," ou "je suis un raté car j'ai encore pensé au fromage." Vous vous définissez pour vous-même comme une personne qui pense au fromage mais ne le veut pas.
Nous accordons une attention spéciale a cette seconde volée de pensée jugementales. Nous imaginons que nous pouvons en quelque sorte vaincre la pensée du fromage grâce à la pensée qui nous dit que nous sommes mauvais car nous pensons au fromage. Ce qui ne marche absolument pas. Cela nous rend au contraire encore plus susceptibles de penser à nouveau au fromage, plus tard.
Les pensées ne sont que des pensées. La pensée du fromage et la pensée que c'est mal de penser au fromage sont exactement le même processus à l'intérieur du cerveau. On ne peut pas se servir de l'une pour faire cesser l'autre. Cela ne fait que renforcer notre obsession de fromage en nous disant que c'est mal que d'être obsédé par le fromage.
Ce qui ne veut pas dire que tout espoir soit perdu. Même cette sorte de pensée est acceptable, parce qu'on n'a pas besoin de croire à ses propres pensées. Aucune d'entre elles. Ni la pensée qu'on veut du fromage ni celle qu c'est mal d'avoir cette pensée. Ce n'est jamais que de l'énergie qui passe d'un neurone à l'autre sous l'épaisseur de notre crâne. Que vous y pensiez ne veut pas dire que ce soit vrai.
Apprendre à laisser aller les pensées peut être utile, mais pas facile. "Laisser aller" ne signifie pas "les faire disparaître." Cela signifie permettre à la pensée d'être là sans pour autant y réagir. Ne vous battez pas contre elles. Ne les manipulez en aucune façon. Ne les niez pas. Ne les affirmez pas. Ne vous méprisez pas d'avoir eu cette pensée. Ou si vous le faites, ne vous préoccupez pas de cela. Ce n'est qu'une pensée de plus. Elle ne vaut ni plus ni moins que la pensée pour laquelle vous vous vous grondez. Laissez faire. Ça n'a pas d'importance.
Shunryu Suzuki disait: "Les pensées ne sont que les sécrétions de votre cerveau, comme l'estomac produit de l'acide." Ce que nous vivons comme une pensée n'est que le cerveau qui digère des expériences. Nous interrompons ce processus tout le temps, et, ce faisant, nous nous causons un paquet de problèmes. C'est comme si nous tentions consciemment de donner à notre estomac des instructions pour digérer d'abord ce délicieux fromage, et de laisser les les légumes pour plus tard. Même si c'était possible, ce ne serait pas sain. Il vaut mieux laisser l'estomac faire son boulot comme il doit le faire. Pareil pour le cerveau.
Laisser aller ses pensées est plus facile à dire qu'à faire. Nous ne sommes généralement pas habitués à laisser courir nos pensées. La plupart d'entre nous avons l'habitude de les orienter dans une direction donnée. Nous mettons beaucoup d'énergie à cultiver certaines pensées pour renforcer ce que nous imaginons être. Nous nous en servons pour nous construire un moi dont nous croyons qu'il est à nous.
Ce qui ne veut pas nécessairement dire que nous ne cultivons que les pensées que nous voulons avoir. Souvent les pensées dont nous ne voulons pas sont encore plus efficace pour nous donner un sentiment d'existence. C'est moi qui ne veut pas penser à du fromage. Moins je veux de ces idées de fromage, plus mon sentiment d'existence devient réel. Ce n'est pas conscient, mais on le fait quand même.
(à compléter).