Bonjour à tous !
Après un moment d'absence du à une perte de mot de passe, je reviens sur ce forum avec plaisir. J'ai écrit il y a peu le développement qui suit pour répondre aux questions de quelqu'un sur le concept de non-soi, "anātman" (अनात्मन् en sanskrit). Je l'ai fait un peu vite, de tête, sans réel retour aux textes des maîtres ou aux sutras, ce qu'il aurait pourtant fallu faire. Pourtant, je pense que ça peut être un exercice intéressant pour voir ce qu'il reste de tout ça. C'est très égoïste, mais j'aimerais, si la longueur de ce texte ne vous embête pas, avoir vos retours sur ce truc. Un peu comme une sorte de test. Est-ce cohérent ? Est-ce n'importe quoi ? Ai-je à peu près compris la philosophie du bouddhisme zen, ou pas du tout ? Quelles limites à cette vision des choses ?
En vous remerciant d'avance pour vos rectifications éventuelles et en espérant que cela vous intéressera. On connaît le dicton : "quand on allume une lampe pour soi, elle brille pour les autres."
___
Dans le bouddhisme, on se confronte souvent à l'idée de deux niveaux de réalité différents, présentés par plusieurs enseignants bouddhistes. Un niveau conventionnel et un niveau qui serait plus absolu.
Sur le plan conventionnel, il est évident qu'il y a bien quelqu'un qui s'appelle "X" et qui répond à son nom quand on l'appelle, qui est responsable de ses actes. Dans "la vie de tous les jours", il y a bien quelque chose de l'ordre de l'égo, de l'ordre d'un "je", et pour échanger avec les autres il faut être un peu "quelqu'un".
Sur un plan plus "absolu", ce "quelqu'un", en inter-dépendance totale avec l'ensemble des phénomènes, n'est rien d'autre qu'un concept pratique pour échanger. C'est un ensemble de formations ou agrégats (skandhas) qui n'a pas d'existence autonome. En explorant, grâce à la concentration détendue de la méditation, la nature du soi, on peut ressentir avec beaucoup de clarté cette réalité qui fait que nous ne sommes certainement pas le "moi social", utile d'un point de vue pratique, mais très artificiel au final. Ce détachement vis-à-vis de la sacralisation de l'identité et du "je" se fait nécessairement peu à peu, avec un jeu de balancement, de va et viens, jusqu'à s'approcher d'un équilibre (dans le mahayana, toute la question tourne autour de cet équilibre, de la Voie du Milieu), où l'on dépasse la pensée conventionnelle sans la nier (on ne devient pas un malade mental ne comprenant plus rien des us et coutumes de ses contemporains =) ).
Quoique très simple en réalité, la philosophie bouddhiste (même si c'est un peu caricatural et qu'il y a plusieurs philosophies bouddhistes, pas une seule) est dure à aborder car elle implique un entraînement et un abandon du langage Le langage est fait pour être pratique. On dit : "il y a un chevreuil dans cette direction" et toute la meute part dans "cette direction". Le langage est fait pour zoomer sur un élément, exclure de l'ensemble une chose particulière pour agir dessus, ou s'informer. Il est taillé dés le départ pour être exclusif, excluant. Or, la pensée bouddhiste peut se présenter en une progression en quatre points qui vont à l'encontre de cet usage exclusif pour proposer un usage inclusif qui ne fait sens que vis-à-vis du "niveau de réalité plutôt "absolu"", et qu'on peut résumer ainsi :
1 - J'existe.
2 - Je suis néant (c'est à dire "je n'existe pas", mais pour que le reste soit plus clair, il me fallait une tournure affirmative).
3 - J'existe et je suis néant.
4 - Je n'existe pas et je ne suis pas néant.
1 - niveau conventionnel : je constate qu'il y a quelqu'un qui s'appelle "Paul" ou "Marie", qui a telle ou telle caractéristique etc...
2 - niveau, disons, philosophique : je constate que malgré le niveau 1, mes caractéristiques sont éphémères, dépendantes du contexte, et que nulle part, malgré la première intuition du niveau 1, je ne peux trouver quelque chose qui soit "moi".
3 - niveau synthétique : Les deux premiers niveaux ayant été vécus, force est de constater que l'on voit maintenant les choses selon ces deux niveaux à la fois : il est à la fois évident que j'existe et que je m'appelle "X" ou "Y", avec telle ou telle caractéristique, et il est à la fois évident que rien de précis et durable n'est identifiable que l'on pourrait qualifier de "moi". Donc, j'existe et je suis néant à fois.
4 - niveau absolu : puisque je viens de ressentir profondément que deux états antinomiques, ne pouvant exister en même temps d'un point de vue logique, existaient en même temps (j'existe et je suis néant), alors cela veut dire que c'est en fait tout autre chose : "je n'existe pas, mais je ne suis pas néant". Ce stade est celui d'une sorte de révolution dans notre façon de voir le réel, le monde, et où les mots sont incapables de nommer. Sensation d'identité avec le Tout, le Cosmos, et en même temps de grande simplicité, de "rien de spécial", aucune sensation de fierté pour la chose accomplie car rien n'a été accompli, c'était déjà comme ça depuis le début. Bref, état indicible !
Tout ceci, quoiqu'assez peu référencé, est ce qui me reste de mes zazens et, surtout, de la lecture du Shobogenzo de Maître Dogen et des explications de Maître Nishijima (Face au vrai dragon) sur les quatre niveaux interprétatifs utilisés par Dogen. C'est peut-être imprécis, surtout dans la formulation maladroite "je suis néant" qui ne correspond pas à grand chose, mais je crois que ça donne un bon aperçu de tout ça.
Et vous, vous en pensez quoi ?
Après un moment d'absence du à une perte de mot de passe, je reviens sur ce forum avec plaisir. J'ai écrit il y a peu le développement qui suit pour répondre aux questions de quelqu'un sur le concept de non-soi, "anātman" (अनात्मन् en sanskrit). Je l'ai fait un peu vite, de tête, sans réel retour aux textes des maîtres ou aux sutras, ce qu'il aurait pourtant fallu faire. Pourtant, je pense que ça peut être un exercice intéressant pour voir ce qu'il reste de tout ça. C'est très égoïste, mais j'aimerais, si la longueur de ce texte ne vous embête pas, avoir vos retours sur ce truc. Un peu comme une sorte de test. Est-ce cohérent ? Est-ce n'importe quoi ? Ai-je à peu près compris la philosophie du bouddhisme zen, ou pas du tout ? Quelles limites à cette vision des choses ?
En vous remerciant d'avance pour vos rectifications éventuelles et en espérant que cela vous intéressera. On connaît le dicton : "quand on allume une lampe pour soi, elle brille pour les autres."
___
Dans le bouddhisme, on se confronte souvent à l'idée de deux niveaux de réalité différents, présentés par plusieurs enseignants bouddhistes. Un niveau conventionnel et un niveau qui serait plus absolu.
Sur le plan conventionnel, il est évident qu'il y a bien quelqu'un qui s'appelle "X" et qui répond à son nom quand on l'appelle, qui est responsable de ses actes. Dans "la vie de tous les jours", il y a bien quelque chose de l'ordre de l'égo, de l'ordre d'un "je", et pour échanger avec les autres il faut être un peu "quelqu'un".
Sur un plan plus "absolu", ce "quelqu'un", en inter-dépendance totale avec l'ensemble des phénomènes, n'est rien d'autre qu'un concept pratique pour échanger. C'est un ensemble de formations ou agrégats (skandhas) qui n'a pas d'existence autonome. En explorant, grâce à la concentration détendue de la méditation, la nature du soi, on peut ressentir avec beaucoup de clarté cette réalité qui fait que nous ne sommes certainement pas le "moi social", utile d'un point de vue pratique, mais très artificiel au final. Ce détachement vis-à-vis de la sacralisation de l'identité et du "je" se fait nécessairement peu à peu, avec un jeu de balancement, de va et viens, jusqu'à s'approcher d'un équilibre (dans le mahayana, toute la question tourne autour de cet équilibre, de la Voie du Milieu), où l'on dépasse la pensée conventionnelle sans la nier (on ne devient pas un malade mental ne comprenant plus rien des us et coutumes de ses contemporains =) ).
Quoique très simple en réalité, la philosophie bouddhiste (même si c'est un peu caricatural et qu'il y a plusieurs philosophies bouddhistes, pas une seule) est dure à aborder car elle implique un entraînement et un abandon du langage Le langage est fait pour être pratique. On dit : "il y a un chevreuil dans cette direction" et toute la meute part dans "cette direction". Le langage est fait pour zoomer sur un élément, exclure de l'ensemble une chose particulière pour agir dessus, ou s'informer. Il est taillé dés le départ pour être exclusif, excluant. Or, la pensée bouddhiste peut se présenter en une progression en quatre points qui vont à l'encontre de cet usage exclusif pour proposer un usage inclusif qui ne fait sens que vis-à-vis du "niveau de réalité plutôt "absolu"", et qu'on peut résumer ainsi :
1 - J'existe.
2 - Je suis néant (c'est à dire "je n'existe pas", mais pour que le reste soit plus clair, il me fallait une tournure affirmative).
3 - J'existe et je suis néant.
4 - Je n'existe pas et je ne suis pas néant.
1 - niveau conventionnel : je constate qu'il y a quelqu'un qui s'appelle "Paul" ou "Marie", qui a telle ou telle caractéristique etc...
2 - niveau, disons, philosophique : je constate que malgré le niveau 1, mes caractéristiques sont éphémères, dépendantes du contexte, et que nulle part, malgré la première intuition du niveau 1, je ne peux trouver quelque chose qui soit "moi".
3 - niveau synthétique : Les deux premiers niveaux ayant été vécus, force est de constater que l'on voit maintenant les choses selon ces deux niveaux à la fois : il est à la fois évident que j'existe et que je m'appelle "X" ou "Y", avec telle ou telle caractéristique, et il est à la fois évident que rien de précis et durable n'est identifiable que l'on pourrait qualifier de "moi". Donc, j'existe et je suis néant à fois.
4 - niveau absolu : puisque je viens de ressentir profondément que deux états antinomiques, ne pouvant exister en même temps d'un point de vue logique, existaient en même temps (j'existe et je suis néant), alors cela veut dire que c'est en fait tout autre chose : "je n'existe pas, mais je ne suis pas néant". Ce stade est celui d'une sorte de révolution dans notre façon de voir le réel, le monde, et où les mots sont incapables de nommer. Sensation d'identité avec le Tout, le Cosmos, et en même temps de grande simplicité, de "rien de spécial", aucune sensation de fierté pour la chose accomplie car rien n'a été accompli, c'était déjà comme ça depuis le début. Bref, état indicible !
Tout ceci, quoiqu'assez peu référencé, est ce qui me reste de mes zazens et, surtout, de la lecture du Shobogenzo de Maître Dogen et des explications de Maître Nishijima (Face au vrai dragon) sur les quatre niveaux interprétatifs utilisés par Dogen. C'est peut-être imprécis, surtout dans la formulation maladroite "je suis néant" qui ne correspond pas à grand chose, mais je crois que ça donne un bon aperçu de tout ça.
Et vous, vous en pensez quoi ?