Arthur Schopenhauer
le “bouddhiste occidental”
Stoïciens, épicuriens et sceptiques proposaient des exercices spirituels pour extirper de l’âme ses troubles.
Pourtant, la pensée de Schopenhauer se résume souvent au constat tragique que l’existence est corrompue par deux fléaux : le désir et l’ennui. Sa vie même semble, il est vrai, incarner à la perfection cette tragédie. Au terme d’un voyage qui l’a confronté à la souffrance des bagnards, ce « bouddhiste occidental », comme il aime à se décrire, résumera d’une phrase sa mission : « La vie est un dur problème, j’ai résolu de consacrer la mienne à y réfléchir. » Ainsi Schopenhauer a-t-il mis sa volonté au service de la sagesse, dans la quête d’un bonheur défini avant tout comme une absence de douleur.
Sa sensibilité me touche. Et ce pessimiste fournit ses remèdes : contemplation esthétique, compassion, ascétisme. La biographie de cet adepte de la dissolution de l’ego laisse toutefois apparaître quelque complexité. Schopenhauer dormait avec un pistolet sous l’oreiller et mangeait avec sa vaisselle personnelle lorsqu’il fréquentait des lieux publics.
En outre, l’auteur portait un grand soin à se faire photographier pour la postérité. Mais quelques anecdotes ne sauraient réduire un penseur et une philosophie. Celle-ci appelle chacun à se mobiliser pour faire de sa vie une œuvre d’art.
“Pour ne pas devenir très malheureux, le moyen le plus certain est de ne pas demander à être très heureux."
Pensées de Arthur Schopenhauer.
S’affranchir du “vouloir-vivre”
Schopenhauer sait que, derrière de trompeuses apparences, l’univers est le règne d’une volonté aveugle, le "vouloir-vivre", dont nous sommes tous les esclaves. Ce monde, qui n’est rien d’autre que notre représentation, est gouverné par cette force absurde. Les nombreux voyages que fit Schopenhauer ont nourri cette conception ; il déploiera donc toute sa philosophie pour nous arracher à cette servitude.
Accepter l’ennui
Jouets du vouloir-vivre, nous sommes tout entiers dirigés vers ce que nous voulons, vers ce qui nous manque. Nous traversons les océans, fournissons mille efforts pour obtenir ce que nous désirons. Mais une fois accompli, le désir cède la place à l’ennui, lequel intervient dans l’intervalle qui sépare l’absence de souffrance et le désir. Pour Schopenhauer, « la vie oscille comme un pendule, de gauche à droite, de la souffrance à l’ennui ». Cet ennui, toutefois, rapproche des êtres qui ne sauraient se supporter autrement.
Parvenir à la contemplation
Le penseur de Francfort assume son pessimisme et se fait thérapeute en proposant des remèdes à ce monde. Il préconise une conversion de notre regard : il s’agit d’anéantir le désir et, ce faisant, de cesser de donner prise à l’ennui, de l’assumer, de le mettre à distance au lieu de tenter de le détruire. L’art permet ce retournement. Par son truchement, souffrance et ennui ne sont plus vécus mais contemplés. Le spectateur, affranchi de son individualité, regardera l’œuvre avec détachement. Il se départira ainsi de sa volonté, de son affectivité, autant de motifs de troubles. En accédant à la connaissance gratuite, nous goûtons à l’éternité exprimée par l’œuvre. Quant à l’œil de l’artiste, ainsi apaisé, il pourra s’unir à l’univers.
Se guérir par la compassion
Pour échapper à l’égoïsme, source de nos malheurs, la pitié sert de remède. Grâce à la conversion de notre regard, nous pouvons envisager nos semblables comme des compagnons d’infortune. Tous les hommes partagent le même sort. Les règles du jeu sont valables pour tous. Dès lors, la compassion, la pitié envers autrui permet d’élargir notre point de vue et de se détourner d’un moi trop étroit. Abolir une volonté destructrice en compatissant à la douleur de l’autre, telle est pour Schopenhauer la véritable sainteté.
Devenir ascète
Le stade ultime de notre « thérapie » réside dans l’abolition de toute volonté. Si l’adepte de la pitié et l’esthète opposent de paisibles trêves au vouloir-vivre, l’ascète se guérit définitivement. Il renonce complètement au désir. Bouddha incarne aux yeux de Schopenhauer cet idéal. Bouddha aperçut la vanité du monde phénoménal, il comprit la vacuité de l’individualité.
Chez Schopenhauer, l’ennui trouve son remède dans l’indifférence. L’indifférence désintéressée du sage qui contemple le monde sans attente, sans désir, et goûte ainsi la paix.
Quelle est votre opinion sur ce résumé décrivant l'attitude philosophique de Schopenhauer et connaissez-vous d'autres philosophes qui se sont rapprochés de la vision des pratiquants bouddhistes ?