Notre arrière-plan culturel nous a habitués aux commandements chrétiens qui sont comminatoires. Les préceptes ne sont pas ainsi. Ce sont des engagements envers la responsabilité.
Historiquement, les conditions de l'arrivée du Zen en Occident ont été préjudiciables à cette compréhension. En effet, aux USA, cette pénétration s'est principalement faite à l'époque des Beatnicks, pour qui le Zen était intéressant en ce qu'il leur semblait être un "anything goes" (tout est possible) à condition que cela soit fait dans le bon état d'esprit. Quant à l'Europe, l'action de Taisen Deshimaru a pu également entraîner le même effet.
D'autre part, maître Dôgen avait décidé de laisser tomber les préceptes de bhikkhu, trop nombreux et contraignants, pour leur substituer les préceptes de bodhisattva. Ce qui n'impliquait nullement pour lui de relâcher la garde: simplement de ne pas s'encombrer de règles parfois désuètes et cela, selon l'admonestation du Bouddha sur son lit de mort, de "changer si nécessaire les préceptes mineurs".
Cela a conduit a négliger cet aspect si fondamental du Dharma qui est le Noble Octuple Sentier, qui est une invitation forte à un comportement éthique, en conjonction avec cet extrait du Dharmapada dont la version pâlie est
Sabbe papass' akaranam kuselass' upassampada
Sacitte pariyoda panam etam Buddhana sasanam
qu'on connaît par ailleurs par l'anecdote de maître Chôka Dôrin avec le préfet Haku Rakuten (白楽天 Bai Juyi) où le préfet demande au maître : "Quelle est l'essence de l'enseignement du Bouddha?" et où le maître répond par le verset qui précède: "Eviter le mal, pratiquer toutes les sortes de bien, se purifier l'esprit, tel est l'enseignement du Bouddha".
Je rappelle que la réaction première du préfet est "Mais cela, même un gamin de trois ans pourrait me le dire!" à quoi rétorque le maître : "Certes, mais même un vieux de quatre-vingts ans n'y arrive pas".
Je prendrai pour exemple, puisque c'est d'actualité, le précepte sur l'inconduite sexuelle. C'est probablement celui qui emm...e le plus les pratiquants occidentaux.
Au contraire du catholicisme, le célibat des moines bouddhistes ne correspond pas à une sexualité qui serait "mal", mais tout simplement au fait que la sexualité est génératrice des attachements les plus forts et les plus difficiles à transcender. Sans compter les problèmes de responsabilité qu'elle comporte. De ce fait, jamais dans le Bouddhisme on a interdit aux simples fidèles de s'abstenir de sexe ou de le réserver ou quoi que ce soit. Et, de plus, même dans le cadre de la réforme sus-mentionnée des préceptes, les moines japonais ont dû rester célibataires jusqu'à la réforme de Meiji en 1856, essentiellement destinée à affaiblir le clergé bouddhiste en lui enlevant la part de prestige liée au célibat.
Mais à partir du moment où la réglementation japonaise a permis aux moines de se marier (mais pas aux nonnes, hein!) les temples ont enclenché leur déclin, car la gestion du temple devient alors familiale et le bonze doit s'occuper aussi de sa famille.
Cela ne le dispense pas de manifester l'éthique dans sa conduite.
L'introduction du Zen japonais en Occident a également introduit l'idée que l'on puisse être "moine" sans le célibat, et sans vivre en communauté monastique. J'avoue que, personnellement, cette liberté sémantique m'a toujours gêné. Soit, mais je préfère dire "bonze".
Seulement, cette liberté n'a pas été accompagnée (ou trop peu) de l'insistance sur une pratique éthique. Pourtant, M° Deshimaru déplorait que des "moines" et "nonnes" mariés ou en couple se séparent, en disant que ce "n'était pas un bon gyoji"(que cela ne témoignait pas d'une pratique sincère).
Le précepte est souvent formulé ainsi: s'abstenir de l'inconduite sexuelle. Il s'agit toujours d' "éviter le mal et pratiquer le bien pour toutes les créatures". Que l'on soit marié, que l'on soit pacsé, ou simplement en couple, ne pas s'astreindre à un minimum de correction est générateur de souffrances et faire souffrir les autres n'est jamais anodin, car les autres ne sont pas séparés de nous, et cette souffrance devra nécessairement, un jour ou l'autre, nous revenir.
Je me rappelle cette fille, décédée depuis, qui avait fait un long séjour à la Gendronnière et qui s'était plaint que, toutes les nuits, un "moine" venait sauter la "nonne" voisine de sa couchette. Evidemment, cela la dérangeait. Du temps de Deshimaru, cela aurait sans doute fini à coups de bâton en pleine nuit, et en expulsion, mais à l'époque, le chef de temple était beaucoup trop occupé à se saoûler au haschich (autre précepte...) pour que cela le touche.
On pourrait donc dire, d'une certaine manière, que le célibat est plus facile à maintenir qu'une vie où la sexualité est autorisée mais où on doit la limiter. C'est un peu comme l'alcool: on peut en boire si on ne dépasse pas le taux d'alcoolémie autorisé pour conduire. Mais s'astreindre à cette discipline est tout sauf évident.
Maître Nishijima disait qu'en tant que bonze, soit on se marie (et on s'y tient!) soit on reste célibataire.
Mais il reste un précepte sous-estimé qui entre en compte dans ce genre de choses: le dernier. Car, lorsqu'on s'engage à ne pas diffamer les Trois Trésors, cela implique aussi de ne pas avoir d'actions, de paroles ou d'attitudes qui seraient nuisibles au Dharma. Et il me paraît évident que des attitudes qui tiennent aussi peu de compte de l'autre que celles auxquelles je vient de faire allusion sont préjudiciables aux Trois Trésors.
J'ai déjà mentionné le cas Sogyal: un de mes collègues de Montpellier, qui avait passé cinq ans au Japon entre Harada rôshi et Nishijima rôshi, sortait avec une fille qui était la secrétaire montpelliéraine de Rigpa. Quand Nishijima est venu à Montpellier, invité à donner une conférence à un colloque "Bouddhisme et médecine", nous avons croisé Sogyal, qui voulait rencontrer l'ami de sa secrétaire. Sogyal savait donc fort bien que celle-ci était avec un pratiquant bouddhiste, héritier du Dharma d'un maître zen. Je l'avais, pour ma part, discrètement mis en garde, mais je suppose qu'il n'a pas osé répéter cette mise en garde à sa copine. Qui a été fort choquée lorsque Sogyal a entrepris de la séduire. Ce qui l'a amenée à mettre fin à sa pratique et a contribué à briser leur couple. Que Sogyal ne soit pas gelong (moine) n'a aucune incidence. Il est un enseignant bouddhiste et son action a fait du mal dans son entourage.
Encore une fois, il me paraît que la trop grande déférence que l'on accorde aux enseignants bouddhistes est un poison qui ne peut que se retourner contre eux autant que contre les personnes séduites. Et il me paraît extrêmement important de prendre le risque d'apostropher une telle personne lorsqu'elle se sert de sa situation pour tenter de séduire quelqu'un. Si encore la personne était séparée et libre, cela pourrait passer, mais rendrait de toute façon la relation d'enseignant à étudiant impossible. Si la personne a des responsabilités ailleurs, ce type de comportement veut tout simplement dire que cet enseignant n'a pas une notion claire et nette de sa situation, et donc que son enseignement en est totalement faussé.