L’ignorance, au sens bouddhiste,
n’est pas tant intellectuelle qu’existentielle. Elle repose sur
l’expérience éronnée que nous avons du monde, dont la perception est
déformée par notre fixation égocentrique.
Par Jean-François
Gantois
La cause de tout conflit est, pour le
bouddhisme, l’ignorance. La réconciliation relève donc de la sagesse,
réalisation de l’absence d’existence en soi des êtres et des phénomènes.
Cette sagesse est l’expression de la nature de bouddha que possèdent
tous les êtres, pas seulement humains, mais qu’ils ne reconnaissent pas.
Les renaissances se produisent selon la loi du karma, loi naturelle de
causalité : les actes positifs font renaître dans des états heureux, et
vice versa. Ainsi, tous les êtres sont à la fois impermanents et
interdépendants. Selon le Bouddha, l’absence d’existence en soi implique
un continuum de moments s’engendrant les uns les autres, sans
substance, mais non interrompu par la mort. L’être qui renaît n’est donc
ni le même ni un autre que le précédent dont il est issu sur une même
chaîne de causalité, mais plutôt son héritier, comme chacun est
l’héritier de son enfance, de sa jeunesse.
Ainsi, la réconciliation, constamment
prêchée par le Bouddha à ses disciples, peut-elle s’envisager dans trois
domaines : intérieur, extérieur et interreligieux.
Dans le domaine
intérieur, il importe de comprendre la vacuité des émotions
conflictuelles : colère, jalousie, orgueil, etc., pour les abandonner et
de se réconcilier avec soi-même. L’état humain est le plus favorable à
l’Eveil. Il est rarissime, très fragile, et il n’y a aucune fatalité à
ce qu’il soit conservé. Pour aller vers l’Eveil ou, à tout le moins,
vers une nouvelle précieuse renaissance humaine, une conduite éthique et
généreuse est indispensable. Ce qui a fait dire au Dalaï-Lama : « Soyez
égoïstes, pratiquez l’altruisme ! »
La réconciliation
extérieure naît d’un esprit paisible. Le Bouddha a enseigné que
tous les êtres que nous rencontrons ont été nos mères dans une vie
antérieure et que nous devons leur rendre leur bonté. Ainsi, un disciple
du Bouddha, Sharibou, mendiait son repas (comme, alors, tous les
moines) auprès d’une femme venant de pêcher un poisson, tenant son bébé
dans ses bras et frappant son chien qui voulait s’emparer du poisson.
Sharibou, qui était un arhat, vit le karma de ces quatre êtres. Dans
leur existence précédente, le poisson, que la femme s’apprêtait à
manger, avait été son père ; le chien, qu’elle battait, avait été sa
mère, et son bébé chéri, son pire ennemi. Sharibou, très attristé par
l’absurdité du samsara (cycle des existences conditionnées), partit
avant d’avoir reçu l’offrande de nourriture.
Les êtres cherchent le bonheur mais, à
cause de leur ignorance, trouvent la souffrance, éprouvant de la haine
et de l’attachement, ne voyant pas que tous sont leur propre famille. La
sagesse implique l’amour et la compassion envers tous, sans distinction
d’ami ou d’ennemi. Shantideva, un grand maître du passé, invitait ses
disciples à reconnaître leur « ennemi » pour leur maître, parce qu’il
leur révèlait leurs défauts.
Dans le domaine
interreligieux, les bouddhistes considèrent les grandes
religions comme l’émanation de la sagesse de tous les Bouddhas. Les
critiquer est mettre sa petite sagesse au dessus de celle des fondateurs
de ces traditions, considérés comme des bodhisattvas, êtres éveillés
œuvrant pour le bien de tous en fonction de leurs tendances
particulières. Le Bouddha a comparé son enseignement à une barque
permettant de traverser le fleuve du samsara pour accoster sur la rive
de l’Eveil : pourquoi s’attacher à cette barque, puisqu’elle est devenue
inutile lorsque le but est atteint ? Il n’y a pas lieu non plus de
s’attacher à quelque opinion que ce soit. « Lorsque l’on renonce à une
opinion par le moyen de la compréhension, l’opinion en question
disparaît et demeure alors seulement la connaissance », écrit Mohan
Vijayaratna, érudit bouddhiste contemporain.
Puissions-nous tous embarquer, sinon sur
le même radeau, du moins ramer vers la rive de l’Eveil et y accoster
dès cette vie ! Peu importeront alors les dénominations que nous aurons
employées pour désigner notre embarcation.
Septembre 2000
Jean-François
Gantois
http://www.buddhaline.net/spip.php?article241
avec metta
gigi