L'ouvrage est d'Antoine Marcel, il s'appelle "zen et connaissance-pour une écologie spirituelle". Il est très intéressant car c'est argumenté intellectuellement sans être intellectualiste, et il aborde la linguistique, la phénoménologie, en bref une approche vaste du zen. Pour ma part je suis vraiment convaincu par ce qu'il écrit.
"...Le Chan est souvent décrit comme une synthèse du bouddhisme Mahayana et du taoïsme. Du fait de son inscription dans la culture chinoise et taoïste en particulier, la pensée du Chan est de tendance naturaliste et immanentiste. En ce qui concerne la part bouddhiste, les conceptions des maîtres de Chan s'inspiraient des enseignements du Lankavatara sutra, des sutras de la Prajnaparamita, du Sutra du Diamant, elles admettaient les théories de la vacuité généralisée du Madhyamika. Dans l'enseignement contemporain du zen, une grande place est faite à la citation des maîtres chinois des dynasties Tang et Song, qui sont les fondateurs de l'école Chan/Zen.
Simultanément, l'enseignement actuel du Zen s'appuie sur les écrits de Dogen, maître japonais contemporain des Song, introducteur de l'école Soto au Japon, dont la pensée est sur de nombreux points en complète contradiction avec celle de ces maîtres chinois des origines. L'enseignement de Dogen, que l'on trouve principalement dans le Shobogenzo, est d'inspiration transcendaliste. Le titre en lui-même donne une indication sur le type de conceptions développées par Dogen dans cet ouvrage, pour qui la réalité se situe non pas tellement dans une coïncidence de nirvana et samsara, mais dans la compréhension exacte et minutieuse de la pure Loi bouddhique, seule réelle, dont il se montre, en négatif, comme l'unique interprète pertinent en dehors des maîtres (les anciens éveillés) qu'il s'est choisis en établissant sa filiation spirituelle.
Dogen, pour développer sa doxa, s'inspire en particulier de la doctrine du Sarvastivada, une école du Petit Véhicule selon laquelle « tout existe », c'est à dire que les dharma, ou phénomènes, sont réels. Les conceptions du Sarvastivada sont en contradiction avec la doctrine de la vacuité généralisée du Madhyamika, aussi Dogen ne l'admet-il pas, comme il renie le naturalisme taoïste du Chan des origines, ainsi que la doctrine de l'esprit.
En conséquence de sa croyance en l'existence des dharma, Dogen croit en la pertinence du verbe, en particulier son verbe propre, d'une nature hermétique et paradoxale, qui emprunte ses images poétiques et sa technique allusive à la culture chinoise des poètes Tang. Là où Dogen croit en une vision « juste » sur une vérité qu'il présente de façon récurrente comme d'une exactitude exclusive, que son auditeur ou lecteur est prié d'étudier avec attention et minutie, comme sur le fil du rasoir, le bouddhiste du Shunyavada verra toujours une conception ultimement vide. C'est ce point de vue de la vacuité universelle qui a été adopté dans cet ouvrage, et c'est pourquoi nous avons voulu ici le signaler.
Bien entendu, les écrits de Dogen inspirés par une vie religieuse intense, une pratique assidue de l'assise en méditation, sont riches et pleins de pertinence, malgré le ton polémique, quelquefois plein de noirceur, les critiques récurrentes, les propos injurieux et même les calomnies. La manière dont Dogen parle du zazen, qui pour lui est l'éveil lui-même, est très instructive dans le cadre de cette pratique. On est loin, cependant, de l'immenser liberté spirituelle des anciens éveillés du Chan !..."