par lausm Lun 25 Aoû 2014 - 23:41
Je pense qu'en fait, on mythifie trop ce truc du maître dans un monde qui évolue de plus en plus loin des structures patriarcales.
s'il est indispensable, il est trop imposant. S'il ne l'est pas, il est trop absent.
Dans le bouddhisme traditionnel, on parlait d'ami de bien. Cela me semble bien plus pertinent comme façon de considérer la chose, et bien moins chargée en symboles d'autorité spirituelle au-delà de toutes nos contingences terrestres.
Car, comme le dit si bien Daniel Odier, certains ont envie de clouer le maître au ciel et de rèver de l'y rejoindre. Et l'on projette trop d'images fantasmagoriques sur le maître et ses potentielles réalisations, au lieu de tenter de voir que le défi, c'est vivre au quotidien. Et certains aiment plus le fantasme que la réalité...et certains maîtres tirent des profits narcissiques, financiers, de la part des gens qui ont ces projections, et au mieux ils les démontent dès qu'elles surgissent, et au pire ils s'en nourrissent, et alors on n'est pas sorti de la dépendance mutuelle, tout le contraire de l'interdépendance.
Comme j'ai dit, le maître, c'est la relation. Il permet d'éviter qu'on ne cause qu'au maître intérieur, qui peut finir par n'être que sa propre fabrication mentale, si l'on dérive dans son inconscience. C'est pour ça qu'on a besoin d'autrui. Le groupe a aussi une fonction régulatrice, y compris pour éviter l'hégémonie du maître. Le groupe reflètera quelque chose de la réalisation du maître.
Perso, je pense qu'il faut en finir avec les structures "maîtro-centrées". Elles génèrent trop de problèmes où les pratiquants se démettent de leur propre réalisation, pour se pâmer devant celles qu'ils imaginent de celui qu'il croient suivre.
L'on devrait suivre le Dharma, mais le maître permet de diluer le Dharma dans le réel : ça permet de ne pas transférer l'idéalisation sur le Dharma, objet idéal, enseignement idéal et intouchable, nouvelle idole, nouvel attachement. C'est pour ça qu'on a des supports à la transmission, même si elle est sans substance, sans contenu, sans objet. Mais il y a le sujet : quoi qu'on dise sur l'ego, et les discours prônant de l'abandonner, je reste persuadé que le vrai sujet du bouddhisme, c'est se réaliser en tant que sujet, s'individuer. Dans ce sens, je pense même que le bouddhisme va dans le même sens que ce que la psychanalyse propose dans ses voies les plus saines.
Tous ces éléments sont toujours relatifs, dans le sens qu'ils ne sont pas sans relations entre eux.
Le maître n'est pas intéressant en soi : c'est la relation qu'il induit qui est intéressante. Car la relation n'est pas un "quelque chose", mais un espace où l'on peut se déployer, parce que justement quelqu'un existe dans la réalité, mais conscient que cette existence n'est pas le tout mais une partie de ce tout. Du coup tout prend sa place juste : moi, l'autre, l'espace entre nous, et la possibilité d'envisager une façon d'être au monde où l'on n'est pas obligé de supprimer soit nous-même, soit l'autre, pour avoir la paix et l'espace pour vivre, mais qu'on a un espace où l'on peut vivre à la fois ensemble et séparément. L'individuation, c'est sortir de la fusion archaïque régressive. C'est devenir soi et en même temps pouvoir envisager l'autre sans en dépendre ni le rejeter. C'est envisager l'autre sans avoir besoin de se rejeter soi ou de n'adhérer qu'à soi.
Le problème de l'acception qu'on a du maître dans notre culture, c'est qu'on en fait une espèce de super Papa idéal, une figure masculine hiérarchique, un super chef de clan. En gros, quelqu'un qui est individué et qui nous épargne de le faire, puisqu'il vaut mieux rester en-dessous de lui et ne pas tenter de le supplanter.
je pense que beaucoup de néo-maîtres sont tombés dans ce piège, passant de la soumission à la domination, mais ne pouvant envisager l'autre hors d'un rapport de soumission ou d'exclusion...faute de maturation intérieure réelle.
Je pense que les maîtres, ceux qui se veulent et s'appellent ainsi, devraient certifier à tour de bras là où ils constatent l'expérience authentique. Elle peut être très simple, l'expérience authentique. Juste réaliser que se pincer fait mal, c'est une expérience authentique. Certains ont besoin qu'on confirme des sensations aussi simples que cela pour pouvoir continuer à vivre dans ce monde de façon plus harmonieuse. L'éveil ultime c'est ça aussi, j'en suis persuadé. Beaucoup de choses, ne sont que des fantasmes, des idéalisations qu'on se fait pour éviter de se confronter à l'ordinaire de la vie, et aux larmes qu'on n'a pas versées pour faire le deuil de notre vision d'enfant à laquelle on se raccroche pour ne pas souffrir.
Cela n'empèche pas qu'on peut retrouver la joie simple de l'enfant, l'innocence d'avant être chassé du paradis pour avoir mangé le fruit de la connaissance et avoir découvert qu'on était nu. Mais on la redécouvre non pas dans la régression à la fusion infantile, mais dans la redécouverte de ce monde avec les yeux de sa propre réalisation, de son propre éveil, de l'éveil du Bouddha en soi. Gràce à la présence d'un autre, gràce au fait qu'il ne veut rien pour nous. Gràce au fait qu'il sait qu'il ne nous est en fait pas du tout indispensable ni nécessaire. Et qu'il sait que cela est en fait très précieux.
La transmission, c'est un espace ouvert. Tout le monde l'a déjà ressenti, mais quand on se force à croire que la vérité est ailleurs, ou en une seule personne, ou en un seul enseignement, alors on ne la vit plus vraiment : on court, on court, et on se fatigue.
Alors que tout est déjà là.