(...) j'aimerais tenter d'expliquer ce qu'est le Zen.
Pour moi, le Zen est la pratique en communauté d'une profonde enquête individuelle.
Tout au long de l'histoire, il y a eu des gens qui se sont préoccupés du sens profond de l'existence. Il y a plusieurs façons de tenter de comprendre ces choses. Il y en a qui étudient les sciences, d'autres la psychologie, d'autres étudient en écrivant des livres ou des poèmes, ou même en jouant de la musique ou à des sports et ainsi de suite.
Parmi ces chercheurs, il existe une classe de personnes qui tentent de comprendre la condition humaine en s'asseyant très tranquillement et en s'observant simplement dans l'action. Le Bouddha en faisait partie.
Le Bouddha eut cette grande révélation après s'être séparé du groupe de cinq collègues méditants avec lesquels il s'était lié. Après son grand éveil, il décida de tenter d'expliquer à ces types ce qu'il avait compris voire leur enseigner la façon dont il y était arrivé. Ces cinq types furent les premiers bouddhistes au monde.
Tout ce qui s'est passé depuis dans le monde de ce que nous appelons désormais "Bouddhisme" est fondé sur cette série d'événements. Nous devons toujours nous rappeler de la façon dont cela a commencé.
Même si l'on peut, et je crois que l'on devrait, pratiquer zazen seul, la chose à plus grande échelle que nous appelons le Bouddhisme Zen est une pratique en communauté. Ce n'est pas quelque chose qu'on fasse par soi-même. Et pourtant, nous n'avons ni doctrines ni de système de croyances.
C'est assez étrange. Chaque église que j'ai jamais visité parlait de doctrines et de croyances. Pour autant que je sache, la plupart des temples hindous, des mosquées, des synagogues font pareil. En fait il y a un certain nombre de formes de bouddhisme où on se préoccupe beaucoup que chacun des membres partage un jeu de croyances fondamentales et puisse réciter les doctrines de base de leur forme de Bouddhisme à la demande.
Mais mes maîtres n'ont jamais fait le moindre effort pour me faire mémoriser des doctrines ou des professions de foi ou pour me faire croire ce qu'eux croyaient. Le fait de le remarquer m'a amené à me faire une idée différente de ce que nous faisons quand nous participons à cette pratique.
Quand nous nous réunissons pour nous asseoir sur nos coussins et fixer le mur, , nous ne nous tournons vers personne d'autre pour encadrer notre expérience à notre place. Nous ne faisons pas, disons, de méditations guidées dans lesquelles le dirigeant nous dit sur quoi nous concentrer ou comment respirer. On nous laisse découvrir par nous mêmes ce que nous pourrions découvrir.
C'est vraiment comme si on était monté au sommet d'une montagne ou qu'on était entré dans une profonde caverne pour fuir toutes les distractions et se concentrer sur soi-même. Mais — et c'est très significatif — nous ne sommes pas au sommet d'une montagne, ni au plus profond d'une grotte, et nous ne sommes pas seuls. Au lieu de quoi, nous sommes dans un temple, dans un studio de yoga loué, une maison, ou qu'importe ce nous avons trouvé pour nous réunir. Et nous faisons partie d'un groupe de gens qui sont intéressés de même à cette sorte de profonde recherche du sens de ce qu'est être humain.
Nous ne tenons pas de nous imposer mutuellement ce que nous trouvons. Même la personne qui dirige le groupe ne tente pas d'imposer ce qu'il ou elle a découvert, pas plus que quiconque d'autre. Nous considérons que l'expérience particulière de chaque personne est pleinement et également valide.
Néanmoins, afin d'établir un espace qui ressemble le moindrement à ce que nous trouverions au sommet d'une montagne ou dans la solitude au fond d'une grotte, nous devons établir des règles sur la façon de nous comporter au sein de l'espace que nous avons choisi pour ce faire.
A la base, il s'agit de rester tranquille et respectueux, afin que toutes les personnes puissent passer à l'affaire de s'étudier elles-mêmes.
Ceci, pour moi, est l'objectif ultime de tout espace zen — fournir un endroit aussi adéquat que possible pour que les gens s'asseoient tranquillement ensemble et regardent profondément en eux-mêmes. Les gens qui viennent dans de tels espaces y viennent pour deux choses, fondamentalement. Ils veulent chercher en eux-mêmes et ils veulent le faire en compagnie d'autres personnes, pas tout seuls.
Au contraire de toute autre religion à ma connaissance, les règles du Zen s'appliquent strictement à la façon de se comporter dans les espaces où nous nous rassemblons pour travailler sur nous-mêmes.
Pour prendre ce qui semble être mon exemple préféré, considérons les idées bouddhistes sur l'homosexualité. Pour de nombreuses religions, l'homosexualité est interdite en tant que péché. Pour les bouddhistes, on n'en parle que dans la mesure où les activités homosexuelles peuvent être perturbatrices au sein des espaces partagés où les gens se réunissent pour s'étudier eux-mêmes.
Il n'y a pas de règles disant que l'on ne peut pas avoir des activités homosexuelles. Il n'y a que des règles disant que l'on ne peut pas avoir d'activités homosexuelles alors qu'on poursuit une formation en méditation dans un environnement communautaire, et cela seulement parce que ces activités entraînent des bruits bizarres et sont potentiellement génératrices d'interactions sociales inconfortables. Qui plus est, ce n'est pas qu'entre personnes du même sexe que ces activités sont interdites, dans ce contexte; tous les types de sexe vont également à l'encontre des règles. Mais une fois qu'on a quitté cet environnement, on peut faire ce qu'on veut.
Chacune des règles établies dans nos espaces communs de profonde recherche individuelle est établie pour la même raison: faire en sorte que chacun puisse se concentrer sur ce pour quoi il y est venu.
Il se produit quelque chose d'intéressant quand on le fait ensemble. Sans jamais se faire endoctriner dans un ensemble commun de croyances, on trouve qu'on se met à s'aligner les uns sur les autres, comme des pièces de métal magnétisées. On se met à découvrir que tous les êtres humains sont très, très similaires. On découvre que les systèmes de croyances qui nous sont les plus chers sont en réalité entièrement superficiels, peu importe la profondeur qu'on leur prête. On découvre que ce qui est vraiment important est partagé par chacun et par tous ceux qu'on rencontre.
Pratiquer le Zen signifie simplement se réunir dans cet esprit et apprendre comment, dans la mesure du possible, allouer à chacun l'espace le mieux approprié pour que chacun le trouve pour soi. Nous avons des règles et des codes de comportement, mais juste pour fournir cet espace à la recherche personnelle et ne jamais tenter d'imposer à quiconque un système de croyances ou une façon de vivre.
Brad Warner.
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[Quelques commentaires:]
Alan Sailer a écrit:January 30, 2015 at 1:22 pm
“Comment intégrer les 4 Nobles Vérités là-dedans? Vues correctes? Octuple sentier, etc?”
Pour ma part, tout ce qui est ici mentionné, c'est des idées géniales qui ont besoin d'être examinées en pratique pour voire si elle tiennent la mer ou pas. Cet examen est un processus constant.
Chaque fois qu'on observe qu'on souffre, on établit la Vérité numéro 1. Lorsqu'on observe qu'on tente d'y échapper, on établit la Vérité numéro 2. Et ainsi de suite…
Je soupçonne que si on se met à les traiter comme des faits éternels, elles meurent en tant que vérités.
Brad a écrit:January 30, 2015 at 2:24 pm
Traiter de ce sujet aurait fait que cet article aurait vite dépassé la limite arbitraire de 1000 mots que je m'étais fixée pour ce blog. Et je l'ai déjà dépassée de 200 mots, déjà.
Ces activités, en ce qui me concerne, servent à établir une ambiance. Lorsque l'on a une activité ensemble, on se sent davantage liés. C'est pourquoi on chante des sûtras, qu'on tape sur le mokugyô, et qu'on brûle de l'encens, etc. Ces trucs actifs, avec tous leurs mouvements et leur coordination, servent à lier le groupe.
C'est l'une des raisons pour lesquelles certaines personnes dans le Zen n'aiment pas traduire les sûtras. Même au Japon, ils se servent de trucs comme le Sûtra du Coeur, l'Enmei Juku Kannon Gyô, la Daihi Shin Darani, etc. qui sont essentiellement inintelligibles pour ceux qui les chantent.
Nous chantons les noms de personnes décédées afin de souligner davantage le fait que que notre communauté dépasse le groupe immédiat de personnes qui se pointent ce jour là, mais remonte à des milliers d'années et continuera, espérons nous, à s'étendre dans le futur.
Dernière édition par Yudo, maître zen le Dim 1 Fév 2015 - 9:33, édité 1 fois